PADURA Leonardo, ‘L’homme qui aimait les chiens’.

Sortie : 2011, Chez : Métailié.

Leonardo Padura, écrivain cubain né en 1955, a écrit ici un fantastique roman historique centré sur l’assassinat de Trotski, exécuté en 1940, sur ordre de Staline, au Mexique où il était en exil après son expulsion d’Union soviétique. Les personnes réelles (le plus souvent) se mêlent aux personnages romancés dont Ivan, écrivain cubain mis en contact sans le savoir avec Ramon Mercader, l’assassin (vrai) de Trotski dont il va écrire et publier l’histoire. C’est le roman dans le roman.

Cette histoire réelle et violente est racontée à travers trois parcours, celui de Trotski lui-même, celui de Mercader, l’agent stalinien espagnol choisi pour accomplir le noir dessein de Staline et celui d’Ivan l’écrivain cubain témoin halluciné de ces évènements tragiques. Les deux premiers ont été les acteurs de l’Histoire, engagés dans un combat de titans, une bataille idéologique, militaire et d’égos que Staline va remporter, assis sur plus de 20 millions de morts, victimes d’une des plus grandes répression organisée par un régime politique.

L’histoire commence durant la guerre civile en Espagne à la fin des années 1930, où s’affrontèrent les « Républicains » et les « fascistes » sous les ordres du général Franco. Dans cette période où montaient les pouvoirs fascistes en Allemagne et en Italie, où les rumeurs de guerre enflaient dans toute l’Europe, l’affrontement idéologique entre Staline et Trotski était déjà sanglant en Espagne. Les « brigades internationales » réglaient leurs comptes, les agents secrets pullulaient, exécutions sommaires et massacres étaient érigés en méthodes de guerre par toutes les parties et la malheureuse Espagne fut le premier terrain d’affrontement de ces personnages mortifères qui ont ravagé le siècle et entraîné des dizaines de millions de morts.

Au cours du processus de recrutement de Mercader par les services secrets soviétiques en vue de tuer le « renégat » Trotski, Padura montre parfaitement l’aveuglement des acteurs de cette époque, pris par le culte de la personnalité en faveur de Staline, emportés par les idées communistes, terrorisés par la menace des grandes purges soviétiques qui ont démarrée à cette période à Moscou et des exécutions sommaires réalisées à l’étranger par les services soviétiques. Soumis à la propagande et aux manipulations machiavéliques de son mentor soviétique, Mercader finira par exécuter Trotski dans son refuge mexicain avec le désormais fameux coup de piolet dans le crâne du « renégat ».

Après vingt ans de prison au Mexique durant lesquelles il n’avouera jamais qui étaient les commanditaire de cet assassinat, il est libéré en 1960 et accueilli en Union soviétique, décoré en tant que « Héros de l’Union soviétique » et reçoit la médaille de l’Ordre de Lénine puis mis au placard, déstalinisation oblige. Son silence en prison au Mexique et la mort de Staline lui ont sans doute permis d’éviter l’exécution par les russes. Il mourra d’un cancer à Cuba, sans avoir jamais revu l’Espagne. Comme sa victime, Trotski, il était devenu un exilé dont personne ne voulait mais il réussit à survivre à la terreur stalinienne.

Padura est né 2 ans après la mort de Staline dans un pays « frère » de l’Union soviétique, Cuba. Il a connu de l’intérieur une nation engagée dans le système révolutionnaire et communiste du XXème siècle qui a même poursuivi son parcours marxiste alors que Moscou changeait de cap après la chute du mur de Berlin. Le roman parle dans le détail de cette utopie et de son effondrement, de cet ogre bureaucratique qui n’a survécu qu’en dévorant les siens et dont Cuba fut le bon élève tropical.

Le personnage (vrai) sans doute le plus intéressant est l’agent soviétique qui forme et guide Mercader, Leonid Aleksandrovich Eitingon. Espion trouble aux multiples noms et personnalités, d’un cynisme affiché et d’une fidélité à Staline plutôt générée par la peur que par l’adhésion à ses idées, il traverse et commente dans le roman toutes les grandes purges staliniennes et leurs procès où défilent tous les chefs bolchéviques de la première heure pour avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis puis être exécutés. Dans la vraie vie comme dans le roman, il sera emprisonné à son tour, survivra et retrouvera Mercader exilé à Moscou.

Dans ce roman réaliste, seul Trotski tire son épingle du jeu, modulo son assassinat sauvage. On sent une certaine tendresse de Padura à son égard qui le présente comme un exilé âgé, sa vie dédiée à la réflexion, notamment pour dénoncer les dérives staliniennes contre son peuple. C’est faire un peu court avec la véritable Histoire… Trotski est aussi le créateur de l’Armée rouge et fut théoricien de la terreur pour asseoir le pouvoir bolchévique lors de la révolution en Russie tsariste, bref, il ne fut pas complètement innocent de la dictature soviétique, même si celle-ci l’a assassiné. Mais Trotski, probablement à cause de sa fin tragique, a séduit une bonne partie de l’intelligentsia européenne jusqu’à la fin du XXème siècle. Leonardo Padura fait probablement partie du lot.