Sortie : 2010, Chez : Editions Payot & Rivages (2014).
Barry Miles, né en 1943, est un auteur qui a frayé avec le milieu « underground » londonien dont il a été l’un des acteurs depuis l’après-guerre. Dans ce récit de 700 pages il retrace l’histoire de cette contre-culture qui a touché tous les arts et dont Londres fut l’un des centres névralgiques. La capitale britannique a toujours été créative et même au sortir de la guerre, au cœur d’une ville dévastée par les bombardements allemands mais victorieuse grâce à la résistance héroïque de ses habitants, la culture a agit comme un ressort, bousculant la vieille Angleterre et accélérant son redressement.
Ils étaient les enfants d’une société qui considérait encore que les classes moyennes étaient en droit d’imposer leurs valeurs morales à une classe dont le mode de vie échappait totalement à ces critères ; d’une génération qui utilisait la guerre comme un prétexte pour légiférer dans tous les domaines ; d’un système d’éducation qui rejetait tout potentiel créatif et ne menait qu’à des boulots sans avenir et à la conscription obligatoire ; d’un monde gris et médiocre où les gentils garçons jouaient au ping-pong.
George Melly (1926-1973, chanteur de jazz et de blues, critique, écrivain, lecteur du surréalisme)
Nous sommes à Londres, donc il fait froid et humide, alors tout se passe dans les pubs, les bistrots, les bars, les galeries d’exposition éphémères, les librairies dans des caves et les squats occupés par les artistes dans les ruines des immeubles bombardés. Miles a traîné dans tous ces tripots où se pressaient nombre d’artistes inconnus du lecteur lambda, mais aussi Francis Bacon, Lucian Freud, Allen Ginsberg, Jackson Pollock, le tout dans une débauche d’alcool et de drogue.
Plus tard on voit apparaître Mick Jagger, Keith Richards et Brian Jones, Pete Townshend, Yoko Ono, Syd Barret, John Peel, Gilbert & George. On assiste aux débuts des Pink Floyd, de Soft Machine, et de nombre de poètes, de peintres, d’auteurs de théâtre, de réalisateurs de film… Les américains William Burroughs, Jimmy Hendrix, Andy Warhol, Debby Harry passent aussi à Londres pour plonger dans cette contre-culture rayonnante.
Des évènements sont organisés où des musiciens jouent de l’archet sur des pots de yaourt sonorisés pendant que des peintres laissent dégouliner de la peinture sur le plancher du théâtre devant des spectateurs aux visages peints de motifs cachemire écoutant des enregistrements de poèmes de Burroughs dans des nuages de fumée de cannabis…
La dernière partie est consacrée à l’apparition du mouvement punk qui fit exploser les règles du vieux rock, déclenchant un séisme musical et comportemental annonçant l’arrivée des « nouveaux romantiques » (Boy George, Spandau Ballet, Ultravox).
Le trait commun de tous ces artistes est la rébellion contre les règles et la bourgeoisie britanniques. Leurs buts : faire exploser le système, choquer ses acteurs et regénérer les arts. Quelque soit leur domaine de prédilection, ils ont pleinement réussi, et même s’il a fallu passer par des installations douteuses, des collaborations improbables, des concepts nauséabonds, les meilleurs ont survécu, et même réussi pour certains. Et puis la société a aussi évolué vers un peu plus de tolérance, aussi par suite des scandales qu’ils ont joyeusement provoqués.
Et lorsqu’on s’interroge sur ces incroyables débordements de créativité du Royaume-Uni, et de Londres en particulier, qui continuent de nous impressionner encore aujourd’hui, la meilleure réponse est peut-être que le climat sombre de ce pays favorise la création.
Le titre « Ici Londres ! » est la traduction de « London Calling! » qui était le nom d’une des premières émissions radio de la future BBC en 1942, donnant des nouvelles de la guerre, mi-propagande, mi-information. Il a surtout été repris par les Clash pour leur double album de 1979, un hymne fulgurant au Londres « punk ».