Pour ceux qui n’ont jamais lu Elsa Morante (1912-1985) il est urgent de se plonger dans La Storia, son grand-œuvre de 900 pages. Cette saga de l’écrivaine italienne se déroule à Rome entre 1941 et 1947 au cœur d’une période agitée qui voit l’Europe plonger dans la guerre pour contrer les ambitions du fascisme en Italie et en Allemagne.
Ida est une jeune enseignante, juive par sa mère (mais toutes deux se sont toujours évertuées à cacher cette origine), elle a un fils d’un premier mari disparu, Ninnu, elle accouche d’un second, Useppe, issu de son viol par un soldat allemand. Elsa Morante raconte la vie en cette période difficile à travers le regard de ces trois personnages auquel il faut ajouter celui de la chienne Bella, membre incontournable de la famille qui cornaque les virées d’Useppe dans Rome.
Ce roman fleuve déroule son cours au travers les idéologies qui emportent l’Europe et l’Italie : le fascisme mussolinien, l’alliance avec l’Allemagne nazie, la chasse aux juifs, la guerre civile italienne après la libération du Sud du pays par les alliés… Mais, surtout, il traverse l’âme et les émotions des personnages créés par la romancière avec une grande subtilité. On est emporté par le regard d’Useppe qui découvre le monde, d’abord limité à l’appartement dont sa mère n’ose pas le sortir, puis des rues de Rome où l’emmène Ninnu qui passe des chemises noires à la résistance puis au marché noir avec le même joyeux enthousiasme qui fascine son petit frère. Ida fait son possible pour survivre avec sa petite famille en ces temps de pénurie et d’incertitude, elle y réussit, guidée par l’amour sans limite prodiguée à ses deux fils. Et en 1945, alors que s’ouvrent les camps d’extermination, Useppe tombe par hasard sur un magazine publiant les photos des déportés et cet évènement va détériorer son état de santé déjà fragile. Ses crises d’épilepsie vont s’aggraver jusqu’à une issue fatale en 1947. Ida, qui a déjà perdu Ninnu dans les combats pour la libération de Rome tombe alors dans une apathie dont elle ne sortira plus.
Elsa Morante réussit dans ce roman dramatique à véritablement rentrer dans le cœur de ses personnages dont elle décrit les élans avec pudeur et émotion, et une précision dans l’analyse impressionnante. C’est une histoire triste bien sûr, mais tellement vivante que le lecteur la dévore, pressentant la fin, toujours accroché à l’espoir qu’elle pourrait être moins dramatique tant les réflexes de vie et de bonheur du petit Useppe sont forts. Les sentiments et le dévouement d’une mère en temps de guerre, d’abord inquiète, puis désespérée, sont relatés de façon bouleversante. Quel talent de l’écrivaine italienne dans l’analyse et la restitution de ces sentiments ! C’est du grand art et la caractéristique d’une immense romancière.