« Paris brûle-t-il ? – Quand le cinéma réinvente la Libération » au musée de la Libération de Paris

1964 le livre « Paris brûle-t-il ? » est publié par le célèbre duo d’écrivains franco-américains Dominique Lapierre et Larry Collins. Le livre est inspiré de la libération de Paris qui eut lieu vingt ans auparavant. Un peu récit, un peu roman, il retrace les grands faits qui ont rendu cet évènement possible. Le titre repose sur la question qu’aurait posé Hitler au Gal von Choltitz, commandant militaire de la place en ce mois d’août 1944 après lui avoir donné l’ordre de détruire la ville plutôt que de la livrer intacte aux alliés. Le livre et le film présentent Choltitz comme celui qui n’a pas appliqué les instructions de son chef et aurait ainsi « sauvé » Paris de la destruction. Les historiens ont montré depuis que nombre d’ouvrages avaient été minés et que si l’ordre d’allumer les mèches n’avait pas été donné c’était plus en raison des circonstances, l’insurrection de Paris était lancée, que de la bonté d’âme du général.

Le film est réalisé par René Clément deux années après la publication du livre sous forme d’une superproduction hollywoodienne ressemblant par certains aspects au film « Le jour le plus long », film américain légendaire sorti en 1962 sur le sujet du débarquement du 6 juin 1944.

L’exposition revient sur les circonstances de tournage du film et particulièrement les interférences de celui-ci avec la politique. Nous sommes en 1966, 22 ans après la Libération, nombre des acteurs de cette époque sont encore vivants et le Parti communiste français (PCF) est très puissant. Chacun veut s’assurer que le film va présenter une image positive de sa participation aux évènements. Le choix des acteurs est fait généralement en accord avec les personnages réels, ou leur famille lorsqu’il ne sont plus vivants : Bruno Crémer pour le Colonel Rol-Tanguy, Alain Delon pour Chaban-Delmas, Claude Rich pour le maréchal Leclerc. Les acteurs jouant Hitler et Choltiz sont stupéfiants de réalisme. Des interviews de certains d’entre eux sont montrées sur des écrans, et parfois même aussi leurs rencontres avec les personnes qu’ils interprètent.

L’exposition revient de façon très intéressante sur les choix de réalisation qui ont amené à enjoliver certaines actions, en censurer d’autres, pour rester « politiquement correct ». Le PCF semble avoir été particulièrement attentif à la manière dont fut représenté son rôle dans la Libération de Paris. Le colonel Rol-Tanguy, militant communiste, chef des Forces françaises libre (FFI) de Paris en août 1944, membre du comité central du parti à l’époque du tournage, est même délégué par celui-ci auprès du réalisateur en une sorte de « conseiller mémoire » chargé de veiller aux intérêts du PCF dans le film.

Des images d’époque ont très directement inspiré certaines scènes du film et le musée présente des montages du réel et de la fiction. Certaines autres archives n’ont pas été utilisées, sciemment, pour ne pas nuire à l’image de la résistance : celles des femmes tondues ou des actes de vengeances exercées contre des soldats allemands prisonniers. Des courriers d’époque montrent combien producteur, réalisateur et acteurs ont été sensibles aux aspects politiques de la représentation de la Libération dans leur film, au risque de prendre quelques libertés avec la réalité.

Figure aussi une lettre de Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, au réalisateur sur des considérations d’occupation de l’espace public durant le tournage, c’était avant qu’il ne devienne ministre sous la présidence Giscard d’Estaing en 1978, puis qu’il soit condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité pour son implication dans la déportation de juifs durant la seconde guerre mondiale alors qu’il était secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Son procès retentissant a mis à jour toutes les ambiguïtés du personnage qui fut également en contact avec les réseaux de résistance à la fin de la guerre. Il bénéficia d’ailleurs de nombreux témoignages en sa faveur durant son procès. Il rentrait dans la catégorie des « vichysto-résistants ». Il n’évita pas la condamnation à 10 ans de prison mais fut libéré au bout de trois ans, pour « raisons médicales » et décéda en 2002.

La vie et le procès de Papon démontrent combien la vraie vie peut être trouble et ses fils difficiles à démêler. Le film « Paris brûle-t-il ? » a opté quant à lui pour une vision manichéenne de l’histoire, c’est ce qui fait le défaut principal de cette épopée et l’intérêt de cette exposition qui rétablit la réalité de façon intelligente.

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