Nous voilà ramenés à l’An Mil, chaque matin nous serons à la veille de la fin des temps. […] Après la mort de Dieu voici qu’on annonce la mort de l’homme. […] Il n’y a plus d’espèce humaine. La communauté qui s’est faite gardienne de la bombe atomique est au-dessus du règne naturel car elle est responsable de sa vie et de sa mort : il faudra qu’à chaque jour, à chaque minute, elle consente à vivre. Voilà ce que nous éprouvons aujourd’hui dans l’angoisse.
Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes – octobre 1945
L’atome a inspiré les artistes et le musée d’art moderne de Paris (MAM) expose quelques œuvres qui en ont résulté, parfois morbides, souvent existentielles. L’exposition est à la fois artistique et documentaire tant l’aspect géopolitique du nucléaire est inséparable de l’art qui le représente.
Tout d’abord, la découverte de la radioactivité, avec l’invisibilité de ses rayons, a fasciné ces artistes qui rivalisent d’ingéniosité pour matérialiser l’invisible, ce qu’ils réussissent plutôt bien. Un photographe contemporain a pris des photos de sites sur lesquels ont eu lieu des essais de bombes atomiques en parsemant ses clichés lors de leur développement de parcelles de terre irradiée. Le résultat final fait apparaître de petits éclats lumineux sur la photo en surimpression du paysage. Les surréalistes se sont saisis du sujet, Duchamp a conceptualisé la théorie de « l’inframince », Dali a représenté l’atome… Mais il y a aussi un mur entier dédié à des dessins d’enfants japonais réalisés en 1945 peu après le feu nucléaire. Ils expriment l’horreur vue au travers les yeux de ces gamins. Bouleversant !
Après les deux seules utilisations (à ce jour) de la bombe nucléaire comme arme de guerre, à Hiroshima et Nagasaki au Japon en 1945, une « esthétique » de la bombe s’est développée et de multiples représentations de son champignon atomique ont été produites. Le MAM en présente certaines sous forme de peintures, de films, d’installations… Ce champignon, il est vrai, a quelque chose de fascinant en ce qu’il émane de la créativité humaine et peut aboutir à son autodestruction.
Une salle entière est consacrée au « colonialisme nucléaire » ou comment les puissances détenant la bombe ont réalisé leurs essais en dehors de leurs territoires métropolitains : Iles Bikini pour les Etats-Unis, Kazakhstan pour l’Union soviétique, Algérie puis Polynésie pour la France. On y voit même une vidéo du président français Chirac justifiant la reprise des essais nucléaires français à Tahiti en 1995, expliquant que le taux de radioactivité naturelle est plus élevé à Paris qu’en Polynésie…
Nous savons aujourd’hui que bien que nous ne puissions « faire » la nature au sens de la création nous sommes tout à fait capables de déclencher de nouveaux processus naturels, et qu’en un sens par conséquence nous « faisons la nature », dans la même mesure que nous « faisons l’histoire ». Nous n’avons atteint ce stade qu’avec les découvertes nucléaires, où des forces naturelles sont libérées, délivrées, pour ainsi dire, et où ont lieu des processus naturels qui n’auraient jamais existé sans l’intervention directe de l’action humaine.
Hannah Arendt, « Between Past and Future » 1954
L’exposition est troublante, comme l’est l’intrusion du nucléaire dans le domaine de l’art.