Massive Attack se produit à Bercy. Le concert est complet depuis plusieurs semaines. Ambiance glaçante et lumières tamisées. Beaucoup d’ordinateurs, de samples et d’électronique. C’est le nouveau son des années 90. Prenant la suite à la fin des années 80’ du sound system créé sous le nom de The Wild Bunch, le groupe a adopté son pseudonyme actuel se référant alors à une attaque massive d’avant-garde (underground massive attack), il le conserva après qu’en 1991 le Conseil de sécurité ait voté une résolution de massive attack contre Saddam. L’Occident racoleur et repu est alors parti à l’assaut de l’Empereur de Babylone. Le message a été entendu à Bristol où les fils d’esclaves ont recomposé un ghetto métissé sur la terre de leurs bourreaux.
D’inspiration rapp et black-soul, nos compères déclinent une musique sombre et radicale qui vogue au cœur de l’univers intergalactique. Les mots sont noyés dans des nappes de sons s’étageant dans l’espace. Les chanteurs(euse) se succèdent. Un duo grand black (Grant Marshall [Daddy G]) et petit blanc (Robert del Naja [3D]), rappeurs-diseurs-conteurs, évolue avec beaucoup d’élégance, la démarche souple de deux guerriers du désert au milieu des mirages. Ils s’échangent le devant de la scène, se répondent et s’entrechoquent. Les mots confus se fondent dans le rythme. Leurs voix lancinantes sont basses et sourdes. Une chanteuse, noire également, apparaît, parfois solo, parfois pour des chœurs. Un dernier chanteur, jamaïcain (Horace Anady), à la voix haut perchée, assure l’unité ethnique de ce patchwork musical venu de Bristol, Royaume-Uni.
Beat lourd et envoûtant qui aspire notre énergie. Les boîtes à rythmes font battre le sang sur nos tempes affolant les ventricules de nos cœurs cataplectiques. Le son courre dans nos synapses et transite dans le hub de nos émotions. Tout est tactile et irréel. Le flux fébrile d’une musique hors du temps repousse le bouclier de nos perceptions. Les flots de notes avancent à l’assaut de nos résistances et dévalent sur la peau comme un arc électrique. C’est la musique de la fin du siècle. De nos années barbares à l’ère des computers, Massive Attack nous ouvre le portail du nouveau millenium dont le beat sera désormais le fluide vital.
Le son naît du courant qui irradie les puces de silice : plus/moins, attraction/répulsion, noir/blanc. Il n’y a plus qu’une alternative, nos sentiments énucléés ont transformé un syncrétisme décadent en manichéisme ultime. Nos neurones en fusion absorbent goulûment cet ample magma électronique. La vitesse est le maître mot, l’énergie magnétique file et n’attend pas. Les compositions de Massive Attack brillent comme le quartz mais échappent à l’entendement de nos cerveaux hallucinés.
Massive Attack séduit. On y retrouve la musique impersonnelle et révolutionnaire de Kraftwerk qui aurait été réinitialisée en noir et blanc. Le process a été rebooté et formaté au langage techno du ghetto. Il faudra double-cliquer à nouveau sur l’icône de leur label. Il s’appelle… Melankolik. Son slogan est : Glad to be Sad.
Brrr…, il fait froid dans le nouveau monde.