Massive Attack – 2006/08/30 – Paris le Bataclan

De retour d’une tournée estivale dans les festivals du sud de la France, Massive Attack s’arrête à Paris pour trois soirées dans la capitale fin août. La bande étant plutôt habituée des salles gigantesques on se réjouit de profiter des Massive dans un espace plus humain, ce soir le Bataclan.

Le groupe de Bristol n’a pas sorti de nouveau disque depuis 100th Window en 2003, sinon un best of cette année : Collected agrémenté de quelques inédits. On sait la gestation de ses créations toujours très longue. On dit qu’ils accumulent les heures d’enregistrement. On imagine l’intensité des discussions artistiques pour arriver au degré de pureté et d’absolu de leur musique. Un nouveau disque est annoncé pour bientôt : Weather Underground  !

Le Bataclan trépigne lorsque s’éteignent les lumières vers 21h. Deux imposantes batteries occupent la scène et marquent le son de cette soirée d’un beat aussi puissant que mécanique. Elles cernent un clavier. Cette ligne d’arrière subit de plein fouet la lumière qui irradie du fond de la scène : un mur de diodes luminescentes, un gigantesque équaliseur dont les éléments suivent le cheminement mystérieux de cette musique venue d’ailleurs. Le mouvement de la lumière et la variation des couleurs sont un spectacle en eux-mêmes avec toujours la sophistication la plus extrême travaillée à l’infini pour la rendre évidente.

Sur le bord de la scène, devant les guitares, défile le collectif des voix. On distingue à peine les lèvres qui les expirent. C’est un théâtre d’ombres qui marque l’exploit unitaire de cette musique. Tout le show est joué à contre-nuit, les silhouettes des musiciens se dessinant en mouvement dans le flash des lumières qui violent les rétines alors que diffuse un son aux harmonies mineures et aux rythmes obsédants.

Si le verbe synthétiser a un sens technique, les Massive Attack lui insufflent une volonté artistique : la synthèse des influences ethniques, la fusion des rythmes, l’incandescence des lumières et des harmonies aboutissent à cette incroyable puissance délivrée live par ce groupe.

Derrière la musique il y a des mots qui surnagent, une poésie rap majoritairement écrite par le blanc Robert del Naja (3D), ce soir habillé en officier de marine de sa Majesté, et Grant Marshal (Daddy G) le longiligne black fondateur du groupe. Des mots imperceptibles qui tombent, diffus, confus. C’est le trip-hop de Bristol qui exhale la consanguinité de l’Afrique exilée en Jamaïque dans le sang de la traite, revenue se fondre sur les côtes de l’Empire britannique. Des mots qui scandent les sentiments présupposés universels : Don’t be afraid/ Open your mouth and say/ Say what your soul sings to you.

Compositeur/graffiteur, habitué de la scène mondiale, 3D s’efface avec élégance derrière l’équipe de chanteurs-compositeurs qui interprètent ses morceaux. Car Massive Attack est d’abord une histoire de partage : de Daddy G, dont les duos d’outre-tombe avec 3D sont parmi les morceaux les plus troublants, à Horace Andy et ses airs de vieux sage africain à la voix chaude et chevrotante, de Liz Frazer, la voix féminine et émouvante présente ce soir sur scène, habillée d’une djellaba bambara, à Sinead O’Connor sur 100th Window, des réalisateurs pour qui le groupe a écrit des musiques de film à tant d’autres musiciens, ce groupe partage, synthétise et transcende !

Massive Attack nous a délivré ce soir une musique sombre et poétique, fruit de l’unité d’un commando de musiciens bioniques, mi-DJs mi-chercheurs, dédiés à la création d’un son en phase avec notre temps : technologique et humain à la fois, avec des montées d’intensité paroxystiques qui attaquent tous les sens sans espoir de rémission et des moments d’extase romantique où des voix vaporeuses s’étagent avec douceur au milieu de vagues de claviers Teardrop on the fire/ Fearless on my breath/ Water is my eye/ Most faithful mirror/ Fearless on my breath.

Les lumières se rallument, ou plus exactement les diodes luminescentes s’éteignent sur scène. L’assistance reste sous le choc de la violence d’une confrontation avec cette musique inqualifiable, composée et jouée avec un grand talent. Peut-être sous l’effet du light-show ou d’une salle aux dimensions plus modestes qu’à l’habitude, mais on a ressenti plus de proximité avec le groupe, une musique plus colorée, moins radicale. Ou simplement est-ce l’aboutissement de musiciens atteignant l’âge de raison, celui de l’apaisement où la révolte est maintenant canalisée vers la qualité de l’écriture.

On attend Weather Underground, fébrilement !