Patti Smith poursuit son histoire avec la France et choisit la Fondation Cartier pour l’art contemporain pour y réaliser Land 250 l’exposition consacrée à ses photos, petits cailloux blancs semés au long d’une route droite qui nous mènent vers un univers sombre et poétique. Il faut prendre le temps de se pencher sur ces jalons d’une vie extraordinaire, sur ces signes qui ont guidé une artiste multiforme extrêmement séduisante.
Land 250 c’est le nom du Polaroid à soufflet qui l’accompagne dans la vie depuis le début des années 70 et qui est d’ailleurs exposé dans une vitrine. L’exposition se tient dans la pénombre du sous-sol. Les photos, exclusivement noir et blanc, format timbre poste, sont exposées sur les murs. Au centre trônent quelques fauteuils club sur un tapis et autour de ce salon de circonstance pendent des écrans translucides sur lesquels sont projetés des films (noir et blanc, en fait plutôt noir et gris), les spectateurs se tenant sous une espèce de dais qui sonorise la projection sans (trop) déranger le reste de l’assemblée.
On y voit la mise en image, plus ou moins scénarisée, de Summer Cannibals et surtout de Smells Like Teen Spirit, le classique de Nirvana repris au banjo sur l’album Twelve. A l’écran, les banjo boys croisent le chat de Patti qui se faufile au milieu des bibelots de son appartement, s’arrêtant face au buste de William Blake. D’ailleurs Blake est au générique à coté de Kurt Cobain, le lien est osé. Un autre film, Still Moving, est consacré à la légendaire séance de photos de Mapplethorpe (également réalisateur du court métrage) qui firent la couverture de Wawe. Patti est jeune, vêtue comme une vestale de voiles blancs et usés, dans une pièce toute en tentures immaculées. Elle prend des poses improbables sous la direction de son ami si cher. Et la session se termine en explosion de colère et de noirceur.
A Charleville-Mézières ont la voit errer sur la tombe d’Arthur Rimbaud (a bad seed with a golden spleen) et méditer dans ses toilettes au fond du jardin en récitant Une Saison en Enfer. Dans Long for the City elle déambule dans sa ville de New York, violée par Donald Trump, mais au cœur de laquelle elle retrouve encore le passé qui se mêle au présent dans une certaine harmonie urbaine.
Les photos nous promènent aux Etats-Unis et au cœur de la vieille Europe, tout est immobile et comme en sustentation, on y voit surtout des statuts et monuments, du flou et des gris, beaucoup de ces cimetières où sont enterrés les artistes qui l’inspirent et l’accompagnent : Virginia Woolf, Rimbaud, Blake, Whitman, Susan Sontag. Seules les images de ses enfants viennent donner un peu de vie à cet album morbide.
Des vitrines sont dédiées à des thèmes particuliers illustrés de ses notes personnelles prises sur des cahiers épars, des feuilles de papier attrapées au vol, des enveloppes récupérées, des lettres à Robert Mapplethorpe, des moments partagés avec Paul Bowles, des lettres d’amour à son mari Fred « Sonic » Smith ; des souvenirs de tous ces morts qui l’entourent et la hantent.
De son écriture difficilement lisible elle note :
[No] light without shadow/ Rimbaud was a rolling stone/ Are all the prophets persecuted?/ He was so damn Young
Et soudain, au détour d’un dessin, l’artiste apparaît, déambulant au milieu des objets et des images de sa vie, toujours habillée comme l’as de pique, ses éternels godillots rangers punky, jean extra-usé et veste avachie de garçonne, lunette ronde intello, chevelure embrouillée, s’arrête, prend le temps d’échanger 2 compliments et 3 remerciements avec le chroniqueur transis… Dieu descendu sur terre parle à ses apôtres !
Un montage irréel clôture l’exposition : des films de vagues agitées dans ce qui pourrait être l’entrée de New-York, projetés au mur et sur un grand écran tendu parallèlement au sol, et une longue récitation lyrique qui plongent le spectateur dans une sombre méditation poétique, seulement bercé par la voix grave de Patti et les mouvements de l’océan. C’est en anglais (sophistiqué) bien sûr, mais qu’importe, le sens est aussi dans la musique.
Une merveilleuse exposition (pour spécialistes tout de même) qui laisse un goût étrange, celui de l’univers d’une poétesse mélancolique qui a su transcender les ingrédients amers d’une vie underground. Une artiste qui pour survivre a plongé ses racines vers les étoiles pour y capter la sève de la création. Une grande Dame qui n’a jamais abdiqué (People Have the Power). On aime l’accompagner au long des proses de sa vie comme l’on aime passionnément la musique de cet ange beat, depuis plus de 30 ans, depuis Horses.
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