Daho : « Imposer quelque chose »

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Samedi 24 Mai 2008
Daho: « Imposer quelque chose »

Propos recueillis par Eric MANDEL
leJDD.fr

Dans la foulée de son dernier album, L’Invitation, Etienne Daho parcourt la France depuis trois mois -et jusqu’en décembre- dans le cadre d’une tournée intimiste dans des salles à dimension humaine. Il sera à l’Olympia à partir du 3 juin prochain. Le JDD.fr l’a rencontré lors de son passage à Rennes. Interview…

Daho tout en haut

Comment se déroule cette tournée?

C’est un marathon invraisemblable. On joue presque tous les soirs, à un rythme soutenu, avec parfois six concerts par semaine. Le show est très long, presque 2h30, c’est assez athlétique. Moi qui n’aime que les shows à l’anglaise d’une heure un quart! En tant que spectateur, je me fais chier au bout d’une heure et demie. La précédente tournée était bien plus courte car j’avais d’autres projets, notamment la production d’albums d’autres artistes. Et puis c’était une tournée des Zéniths dans les grandes villes. Une tournée très différente car elle était basée sur la dynamique très rock et brute de l’album Réévolution. Dans le show, il y avait beaucoup de tubes, ce qui est très pratique dans des salles comme le Zénith. Là, on a opté pour une tournée plus intimiste avec moins de tubes.

Fatigué des grandes salles?

J’aime beaucoup les Zéniths, mais je préfère les endroits faits pour la musique. Jouer dans une salle où l’on est ensemble dans une espèce de petite transe, entre nous. Et puis je veux voir les gens, c’est important pour moi. Je n’aime pas être comme un lapin dans les phares, ne rien voir.

Les 19 et 20 mai derniers, vous avez fait escale à Rennes pour deux concerts très chargés émotionnellement…

Je jouais à domicile. Rennes représente une partie très importante de ma vie. J’ai tout connu ici. Je suis arrivé ici, j’avais huit ans. Je venais d’Oran. Je suis née une seconde fois à Rennes. Mon premier concert, c’était à Rennes. Dans la salle où je viens de me produire. C’est un peu comme si le jeune homme débutant me demandait des comptes aujourd’hui. « Alors, est-ce que ça correspond au rêve qu’on avait tous les deux? ». La réponse est oui. J’ai exactement les mêmes envies, faire des chansons, m’exprimer, partager. En tout cas, j’essaye de me faire plaisir. Comme ce jeune homme à l’époque…

Durant le concert, vous avez évoqué, avec la chanson Promesses, le souvenir de ce premier concert donné il y a 25 ans. Nostalgique?

Je n’ai aucune nostalgie, j’ai été heureux de retrouver l’endroit intact… il n’a pas bougé. A l’époque, j’avais fait cinq titres qui allaient devenir les chansons de Mythomane, mon premier album. Les Modern Guys faisaient les choeurs. Le groupe Marquis de Sade m’accompagnait. Son leader, Franck Darcel fut le premier à m’aider pour mes premières maquettes. Et ils étaient là à Rennes pour mon concert… Mon premier concert, c’était le grand plongeon, comme un saut en parachute, je m’étais fait violence, car je ne suis pas vraiment exhibitionniste, ce n’est pas le fond de ma nature. J’avais vomi avant le concert. Et en fait j’ai eu de très bonnes critiques, ça m’a permis de signer après avec une maison de disques. Je n’avais jamais fait de concert, sinon durant une scène aux toutes premières Transmusicales. Je jouais dans une espèce de groupe à géométrie variable, on faisait n’importe quoi, une sorte de happening. Et j’étais là, tellement bourré, pas loin du coma éthylique, et j’ai eu le hoquet pendant tout le concert, les gens croyaient que c’était la peur, en fait, non j’avais trop bu.

Durant votre tour de chant, vous parcourez 25 ans de carrière. Comment vous choisissez les chansons d’un concert?

Toutes les chansons sont la somme d’un tout. Ma discographie, c’est un livre et chaque album serait le chapitre de ce même livre. Le but était aussi de rendre digeste un concert long de deux heures et demi. J’ai pris au moins six mois pour déterminer la set-list. J’ai répété une quarantaine de chansons pour n’en retenir qu’une trentaine. L’objectif de base était de ne pas faire dans la nostalgie. Je suis un homme d’aujourd’hui avec un nouvel album que j’adore jouer sur scène. Il existe une cohérence à le mélanger avec d’anciennes chansons. Certaines se répondent, se complètent, sont en rupture, alternent légèreté et gravité… En fait, j’essaye d’imposer quelque chose. On passe par plein d’endroits et plein de moments. Le début du show ne tend pas la main, il n’y a pas de flatterie, aucune drague. Les gens sont un peu impatients, ils ont envie de bouger, de témoigner des choses… Mais c’est bien de retenir, de ne pas être dans une démarche facile. Au bout d’un moment, c’est bien aussi de les attraper par le slip et de dire: « bon voilà, on se lâche! ».

L’Invitation est un album assez hédoniste…

Oui, globalement, c’est « lâchons nous, bouffons la vie ». C’est le mot d’ordre de l’album: Carpe Diem. C’est sans doute le côté oriental que j’ai en moi, même de façon inconsciente… La vie est courte, on a souvent l’impression d’être immortel. Quelle erreur! Gamin, en Algérie, pendant la guerre d’indépendance, j’ai vu la mort de très près. J’étais dans l’appartement avec ma mère et ma soeur, l’appartement brûlait, j’ai failli me faire buter. J’avais quatre ans… Je me sens vraiment un survivant, j’ai failli mourir plusieurs fois. Très tôt, j’ai vécu avec cette conscience aiguë de la fragilité de la vie et de l’urgence de la protéger et d’en profiter.

L’une de vos chansons débute par cette phrase: « Je suis escorté par la chance ». C’est la clef de votre longévité?

Certainement. Je reviens de loin, je suis passé à travers beaucoup de choses, sans avoir altéré ou abîmé la personne que je suis vraiment. J’ai eu la chance de pouvoir avancer dans ma vocation. J’en suis excessivement conscient. J’ignore d’où elle vient, cette « baraka »… En même temps, la chance, ça se cultive. Elle n’arrive jamais par hasard. Il faut aussi savoir la provoquer.