Entendu un peu partout :
« Mais comment les armées occidentales n’arrivent-elles pas à réduire les combattants du groupe Etat Islamique ? »
Les peuples ont la mémoire courte… Ils ont oublié comment Ho-Chi-Min et ses Viêt-Cong va-nu-pieds ont poussé la France hors d’Indochine en portant les canons de Diem-Bien-Phu en pièces détachées sur des vélos et sur des centaines de kilomètres, comment le FLN a fait de même en Algérie, comment le Vietminh a chassé piteusement la grande Amérique du Vietnam, comment les Talibans ont vaincu l’Armée rouge en Afghanistan, comment Al-Qaida a pu balancer des avions contre des tours de New-York, comment des mouvements islamiques ont transformé en cauchemars les interventions occidentales en Irak ou en Afghanistan, etc. etc.
Les scénarios ont chaque fois été relativement similaires : une armée en campagne envoyée par des démocraties occidentales sur un terrain de bataille lointain se frotte à des mouvements locaux de « libération nationale ». Des soldats des pays développés, biberonnés depuis des générations à la démocratie de Tocqueville, se retrouvent embarqués à des milliers de kilomètres de chez eux pour lutter pour une cause à laquelle ils ne croient pas vraiment et la comprennent encore moins : maintien d’une présence coloniale, lutte contre le communisme, combat d’une insurrection religieuse, etc. Ces soldats dépaysés se retrouvent à chaque fois face à des mouvements nationalistes sûrs de leur droit, dirigés d’une main de fer et ne se sentant pas bêtement limités par des conventions de Genève ou autres billevesées constitutionnelles ou légales. Dans tous les cas l’armement moderne occidental n’a pas suppléé des buts de guerre incertains ni un manque de foi des combattants servant cet armement ! Qu’on le veuille ou non, un soldat français, quelle que soit sa loyauté, mettra plus de cœur à l’ouvrage pour récupérer l’Alsace et la Lorraine que pour maintenir ou rétablir au pouvoir des dirigeants douteux en Afghanistan ou en Irak.
En 2014, le groupe Etat islamique déclenche des attentats terroristes dans Mossoul, deuxième ville irakienne. Des kamikazes se faufilent pour se faire exploser à des endroits stratégiques, puis, après quelques jours d’accrochages, des massacres ciblés et un peu de guerre psychologique, l’armée officielle irakienne fuit la ville sans vraiment avoir combattu, abandonnant au passage un important matériel militaire financé à grands frais par les contribuables occidentaux. Il y a 40 ans en 1975 Saigon tombait comme un fruit mûr dans l’escarcelle du Nord communiste : face à une armée Nord-Vietnamienne motivée, l’armée du Sud-Vietnam ne combat quasiment pas malgré ses instructeurs américains, malgré un matériel moderne laissé sur place par les Etats-Unis… il leur manquait simplement la motivation et l’envie de se battre. Cherchez l’erreur !
Dans le cas du groupe Etat Islamique les bombardements aériens d’une coalition improbable menée par les Etats-Unis ne suffisent pas à réduire la rébellion. On imagine l’efficacité des réunions d’état-major où se retrouvent des représentants américains, européens, saoudiens, qataris, jordaniens, bahreïnis, émiratis, canadiens et australiens… La moindre décision doit prendre une semaine ! Avant que le bombardement d’une cible ne soit autorisé, celle-ci doit avoir été reconnue et filmée par des drones pour s’assurer que les risques de dommages collatéraux sont faibles, une fois sur la ciblé identifiée l’avion bombardier doit communiquer avec son commandement pour obtenir le permis de tirer et une fois détruite il faut de nouveau drones et films pour pouvoir se justifier le cas échéant.
On peut imaginer que si de telles règles d’engagement avaient existé en 1945 à Dresde ou Tokyo la guerre contre les forces de l’Axe aurait duré un peu plus longtemps… La terreur générée par l’explosion de la bombe d’Hiroshima a probablement précipité la capitulation de l’empereur du Japon. Aujourd’hui les démocraties occidentales hésitent à déclencher la terreur, c’est tout à leur honneur. Restons toutefois optimistes et pensons à ce que serait la situation du Moyen-Orient si cette coalition ne combattait pas depuis un an ; le groupe Etat islamique serait sans doute déjà douillettement installé à Damas et à Bagdad.
Personne n’a envie d’engager une guerre totale contre cette rébellion guidée par des motifs religieux. Qui plus est, les interventions étrangères récentes en Irak, en Afghanistan, en Libye se sont toutes terminées par un tel chaos que l’on peut raisonnablement se demander s’il a été opportun de les mener. Autant ne pas recommencer.
Les problèmes locaux se régleront localement par des pouvoirs locaux qui devront négocier ou faire la guerre. C’est seulement quand une majorité des populations actuellement sous le joug de ces organisations religieuses se rebellera qu’il y aura une chance de les voir vaincues, avec éventuellement un coup de main occidental de temps à autres. Les interventions étrangères lourdes des uns chez les autres ne fonctionnent pas.
En attendant, les puissances occidentales doivent maintenant gérer le terrorisme religieux sur leurs propres territoires, pratiqué dans bien des cas par leurs propres citoyens et assumer par ailleurs un afflux massif de réfugiés provoqué notamment par ces conflits. L’agenda est assez chargé pour le moment…
Il faut se rendre à l’évidence, le groupe Etat islamique, après Al-Qaida, a élevé son organisation au niveau de force combattante redoutable, usant de toutes les ficelles de la guerre moderne et suppléant largement un manque d’armes lourdes par des actions de terreur maniées avec sans doute plus de résultats qu’un porte-avions dans le Golfe persique. Il faut s’y résoudre, la mondialisation qui a fait émerger de nouvelles puissances économiques fait aussi émerger de nouvelles forces militaires. L’Occident tout puissant qui régentait la planète sur les marchés financiers comme sur les terrains militaires relève d’une époque révolue. N’en déplaise à Mme. Michu il faut affronter cette nouvelle situation et compromettre en attendant, peut-être de rétablir la puissance perdue, qui sait ?
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