de TALLEYRAND Charles-Maurice, ‘Mémoires de Talleyrand 2/5,

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Sortie : 1967 (écrit au XIXème siècle), Chez : Jean-de-Bonnot

Dans le tome II de ses mémoires Talleyrand dévoile ses tiraillements, voir ses ambigüités, face aux ambitions de Napoléon Bonaparte alors que l’administrateur moderne et clairvoyant de la République cédera progressivement aux sirènes du pouvoir et de sa gloire personnelle pour devenir un dictateur aveuglé par sa puissance jusqu’à transformer l’Europe entière en un sanglant champ de bataille.

Empêtré en 1808 dans d’improbable négociations pour un changement de dynastie en Espagne, Talleyrand dira de son maître :

« Mais, depuis longtemps, il ne s’agissait plus pour Napoléon de la politique de la France, à peine de la sienne. Il ne songeait pas à maintenir, il ne pensait qu’à s’étendre. Il semblait que l’idée de conserver n’était jamais entrée dans son esprit et que son caractère la repoussât. »

Et pour s’étendre il dépensa une énergie sans borne pour placer sa famille ou ses proches à la tête des monarchies avoisinantes, s’imaginant, parfois à tort, que ceux-ci lui obéiraient.

On voit également l’empereur mener un combat contre la papauté pour quelques questions de préséance un peu obscures. Puis il y eut la défaite, les défaites, retentissantes jusqu’à l’Ile de Sainte-Hélène où le « grand homme » rumina sans doute sur son échec et les illusions de la conquête et d’un pouvoir finalement bien éphémère.

Et alors que Louis XVIII rétablit les Bourbons sur le trône de France, il y eut surtout le traité de Vienne où Talleyrand représentait la nation et son roi. Des semaines durant, les pouvoirs coalisés (l’Autriche, la Russie, la Prusse, l’Angleterre, plus quelques confettis) qui avaient mis fin aux folies napoléoniennes s’occupèrent à rétablir un peu de paix et de stabilité en Europe, tout en accordant à la France déchue un rôle non négligeable. Talleyrand et sa délégation furent au cœur de ces négociations dans la capitale autrichienne où la diplomatie se mêlait aux fêtes et aux histoires monarchiques. Il nous en livre le menu détail et les échanges de courriers avec le Roi à Paris et ses ministres sur l’état des discussions.

On y découvre avec intérêt les clés de la négociation, les égos nationaux se percutant avec ceux des dirigeants, les questions de puissance et de territoire, de guerre et de commerce, bref, les fondements d’un monde qui n’ont guère évolué depuis. Seul semble spécifique à cette époque la capacité à disposer des peuples et des frontières pour rattacher tel duché à telle couronne en fonction des intérêts des uns ou des autres.

L’intangibilité des frontières a progressé bien que ces dernières années en Europe les coup de boutoir ont fait vaciller ce principe dans les Balkans, en Crimée…, revenant ainsi à des pratiques d’antan mais qui se fondaient néanmoins aussi sur l’Histoire de peuples.

Il s’agissait à l’époque de rétablir un équilibre européen pacifique après de terribles années de guerre. C’est la raison pour laquelle les souverains prirent leur temps pour peser le pour et le contre et, malgré tout, respectèrent la France à la dérive. Paris oubliera cette leçon et un siècle plus tard imposera une paix forcée à l’Allemagne défaite. Ce traité de Vienne remodela l’Europe mais manqua son objectif principal de ramener la paix sur le continent. Les guerres de 1870, 1914/18, 1939/45 engagèrent la France, et le reste de de la planète pour les deux dernières.

« Une égalité absolue de forces entre tous les Etats, outre qu’elle ne peut jamais exister, n’est point nécessaire à l’équilibre politique, et lui serait peut-être, à certains égards, nuisible. Cet équilibre consiste dans un rapport entre les forces de résistance et les forces d’agression réciproques des divers corps politiques. Si l’Europe était composée d’Etats qui eussent entre eux un tel rapport que le minimum de la force de résistance du plus petit fût égal au maximum de la force d’agression du plus grand, il y aurait alors un équilibre réel, c’est-à-dire résultant de la nature des choses. Mais la situation de l’Europe n’est point telle et ne peut le devenir. »