Sortie : 1950 (édition définitive), Chez Flammarion.
Genevoix poursuit son récit de la vie dans les tranchées durant les premiers mois de la première guerre mondiale. L’héroïne de ce troisième tome est la boue, celle de l’hiver 1914/15 dans les tranchées de l’Est de la France, celle qui envahit les trous où se réfugient les soldats, celle qui colle aux bottes, celle qui pénètre les paillasses sur lesquelles dorment les mobilisés… Cette boue va avec le froid, l’humidité et la mort qui sont les compagnes de ces combats.
Le lieutenant Genevoix guide ses soldats par périodes de trois jours, des tranchées de la première ligne, aux villages en seconde ligne aux cantonnements en principe plus à l’abri du « boche ». C’est la même rengaine des semaines durant face à un ennemi vivant dans les mêmes conditions. Chacun défouraille de temps à autres, des balles, des obus, qui tuent parfois.
Et la vie s’organise dans cette misère routinière avec parfois des périodes d’amusement et de défi pour briser l’ennui, comme cette scène où les combattants jouent à s’élancer en sautant au-dessus de la tranchée pour provoquer la réaction des tireurs allemands postés en face à quelques dizaines de mètres. Une espèce de « 1-2-3-soleil » face à la mort. Parfois des périodes de joie et d’émotion lorsqu’arrive le courrier de l’arrière. Et puis, parfois aussi, la malchance, lorsque le groupe est en première ligne et qu’un ordre arrive d’en haut de lancer l’assaut. Inutile le plus souvent, toujours meurtrier, on se bat pour reprendre un bout de colline ou de tranchée, toujours un univers de boue, sans que cela ne change en rien l’orientation de la bataille sinon d’ajouter quelques morts à la liste déjà longue de ce carnage historique.
Et au cours de longues marches nocturnes pour rallier un point à un autre parfois la vue d’une rivière dans un sous-bois déclenche encore l’émerveillement :
« Nous cédons à un commun besoin d’exprimer notre joie en même temps que nos yeux l’épuisent. Peut-être, redevenus primitifs, tous nos sens rénovés par tant de lumière et d’espace, laissons-nous seulement chanter nos âmes de jeunes barbares ».
Les paysages sont lunaires, dévastés par les bombardements, le plus souvent décris de nuit et toujours sous la pluie ou la neige. L’atmosphère du récit est crépusculaire mais la pensée de son auteur est précise et littéraire pour décrire la vie de ces hommes qui soufrent pour faire leur devoir sans trop douter. Le style date du XIXème siècle, il est mis au service de la narration de cette Grande Guerre qui devait être la dernière, mais qui fut surtout un océan de barbarie et d’inutilité au cœur de la vieille Europe qui ne s’en remettra jamais complètement.