Sortie : 1985, Chez : folioplus classiques 212.
Marguerite Duras a écrit ces textes peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, puis en a oublié l’existence avant de les retrouver et les publier sous le titre « La Douleur ». Il s’agit d’écrits de guerre où se mêlent l’Histoire, la barbarie de cette époque et la vie romanesque de cette auteure.
A la fin de la guerre, les camps d’extermination sont progressivement ouverts et Marguerite attend le retour de son mari Robert Antelme, qui y a été déporté, dont on ne sait pas s’il a survécu à l’enfer. Elle décrit l’angoisse montante alors que jour après jour d’autres reviennent mais que Robert n’est pas là. Elle raconte le désespoir lorsqu’elle interroge sur les quais de la gare de l’Est les revenants des camps ; ont-ils des nouvelles de Robert ? Et lorsque finalement des camarades résistants auront fait le voyage à Dachau pour l’arracher à ce champ de ruines et de mort et le ramener (clandestinement) dans l’appartement de Marguerite, elle narre la difficile et angoissante lutte pour le retour à une vie physique à peu près normée du zombie qu’est devenu son mari. Quant à la vie morale, elle sait qu’après un tel traumatisme rien n’efface, on ne la retrouve jamais.
Ce retour à la vie est pénible, long, oh combien. Marguerite lui apprend la mort de sa jeune sœur quelques jours après qu’elle fut libérée, et puis elle lui annonce sa volonté de divorcer. L’épisode se termine sous le soleil écrasant d’une plage italienne alors que la bombe nucléaire a déjà dévasté Hiroshima mais que Robert a survécu.
Un deuxième texte aborde la relation trouble qu’elle initie avec le gestapiste qui a arrêté Robert. Et un troisième, raconte le passage à tabac, la torture, d’un collaborateur pour obtenir de lui quelques renseignements. Duras est le chef d’équipe et dirige cet interrogatoire d’une main de fer avant de plaider, plus tard, pour un peu d’indulgence lors du procès de celui-ci.
Ce volume que l’on dirait écrit comme un journal au fil de l’eau semble en réalité avoir été sérieusement retravaillé avant sa publication. On y retrouve le style chirurgicale et tranchant de Duras appliqué à des sujets majeurs qui ont marqué la vie de l’auteure : qu’est ce qui fait que des évènements donnés poussent certains vers la barbarie et d’autres pas ? Qu’est-ce qui amène au choix de la résistance versus celui de la collaboration ? Le dilemme de la vengeance ou de la réconciliation ? L’engagement, au besoin violent, pour ses idées en faveur de ce que l’on pense être l’avenir de l’Humanité. Et l’amour, l’amour infini qui fait ressentir une douleur non moins infinie lorsque l’être aimé est en danger, lorsqu’il vit une situation critique que l’on ne peut partager avec lui, voire vivre à sa place.
Un livre important et des concepts assez facilement transposables à d’autres conflits de nos temps actuels.
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