A l’occasion du 75ème anniversaire de la libération du camp d’extermination nazi d’Auschwitz, les personnels politiques de différents pays concernés par le sujet, dont aucun n’était né durant la guerre, présentent leurs petits arrangements avec l’Histoire de l’antisémitisme européen qui connut son apogée dans ce camp.
La Russie se collète avec ses anciens amis d’Europe de l’est que sont la Pologne, la Lituanie ou l’Ukraine, pour savoir qui a été le moins antisémite sur le thème : « c’est pas moi, c’est l’autre ». Voulant sans doute faire oublier le pacte germano-soviétique entre Ribbentrop (ministre des affaires étrangères d’Hitler) et Molotov (chef du gouvernement de l’URSS sous Staline), le président russe Poutine produit ces dernières semaines des discours incendiaires contre la Pologne qui aurait joué un rôle dans le déclenchement de la IIème guerre mondiale. Rappelons que le pacte précité permettait à l’Allemagne et à la Russie de se partager la Pologne, ce qui fut fait avec force massacres des forces occupantes qui voulaient l’une comme l’autre rayer le pays de la carte en l’annexant aux leurs. C’est d’ailleurs l’invasion nazie de la Pologne le 1er septembre 1939 qui a déclenché la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne contre l’Allemagne. Deux semaines plus tard l’URSS prenait sa part du gâteau et envahissait la Pologne par l’est. On comprend que depuis ces évènements la relation entre Varsovie et Moscou soit méfiante.
La Pologne de son côté a présenté une loi interdisant de mentionner tout antisémitisme d’Etat durant la période de la guerre, ce qui a provoqué un peu d’émotion en Israël et ailleurs… Le président polonais a été « interdit » de parole lors des commémorations en Israël et a déclaré :
« Comment est-il possible que ceux qui parlent soient les présidents d’Allemagne, de Russie et de France, dont les gouvernements envoyaient alors des gens, des juifs, dans les camps de concentration »,
tout en ajoutant que l’Etat polonais n’avait jamais collaboré avec les nazis, ce qui n’est pas faux mais ce bon exemple ne fut pas suivi par un certain nombre de citoyens et d’organisations polonais.
C’est le grand jeu de jouer sur la subtilité entre l’action des Etats et celle de leurs citoyens. La France y a joué durant longtemps en ânonnant que « le gouvernement de Vichy n’était pas la France » jusqu’au discours du Vel d’Hiv de Jacques Chirac en 1995 qui convint que l’Etat français avait collaboré avec les nazis. Il fallut donc attendre 60 ans avant qu’un politique admette officiellement ce que les historiens avaient documenté depuis des années, ainsi que les collaborations et dénonciations individuelles.
Aujourd’hui on assiste un peu au mouvement inverse : la politique s’évertue à défaire ce que les historiens ont démontré.
La Russie continue par ailleurs à atténuer l’ampleur des répressions staliniennes en voulant échapper à la parité de la barbarie entre nazisme et stalinisme. Moscou fait ami-ami avec Israël sur le socle d’intérêts communs au Proche-Orient et de nombreux citoyens israéliens russophones et laïques.
Bref, chacun se refile la responsabilité de l’antisémitisme des années 30/40 qui aboutit à la Shoah. La réalité, hélas, est bien plus sombre et beaucoup de nos pays européens et eurasiatiques furent profondément et durablement antisémites, de Moscou à Paris, de Berlin à Varsovie, en passant par l’Ukraine et les pays baltes. Les pogroms anti-juifs avaient d’ailleurs largement commencé en Europe de l’Est et en Russie au début du XXème siècle sans attendre Hitler et l’idéologie nazi. Il est troublant de voir du personnel politique s’emparer aujourd’hui de l’Histoire tragique de notre XXème siècle. Ce n’est jamais pour de bonnes raisons. Ils feraient mieux de laisser l’Histoire aux historiens et de s’occuper de la gestion des Etats aux têtes desquels ils ont été élus et où ils ont assez à faire.