Waad Al-Kateab est une jeune étudiante syrienne installée à Alep pour y suivre des études d’économie après avoir renoncé à une carrière de journaliste, métier trop dangereux dans une dictature. De 2011 à 2016 elle filme d’abord le soulèvement étudiant lors de « la révolution », puis les combats et la reprise de la ville par le régime et ses alliés, russes notamment. Durant la guerre elle publie ses chroniques sur Youtube qui sont suivies dans le monde entier. Réinstallée au Royaume-Uni après la reddition de la ville elle les monte avec le documentariste Edward Watts pour un faire un film qui reçoit différents prix et un accueil enthousiaste de toute la profession.
A travers son quotidien, de plus en plus difficile, elle retranscrit le drame du siège de la ville, vécu de l’intérieur, car après l’enthousiasme de la rébellion étudiante voulant mettre à bas la famille Assad qui tient le pays d’une main de fer depuis 1970, la dure réalité de la guerre civile urbaine lui succède. Waad tombe amoureuse et se marie avec Hamza un médecin qui anime un hôpital dans les quartiers assiégés. C’est surtout depuis cet hôpital que l’on suit les évènements. Ils ont une petite fille, Sama, qui apparaît dans ce chaos ; le film lui est dédié car Waad a voulu lui expliquer pourquoi et pour quels idéaux ses parents sont restés au cœur de la tourmente, au risque de leurs vies. Le scénario alterne entre les images paisibles de Sama souriant dans la chambre qu’elle occupe avec ses parents, le bruit du canon au loin, et les images terribles de blessés qui arrivent en masse à l’hôpital. Jeune maman, Waad insiste sur le sort des enfants civils montrant des moments poignants de gamins morts ou gravement blessés. Le spectateur a souvent le cœur au bord des lèvres et les yeux humides devant une telle boucherie.
Les forces du régime ont pris l’habitude de bombarder les hôpitaux pour décourager la population et la pousser à fuir les quartiers rebelles. Hamza devra réinstaller son hôpital dans un autre endroit après sa destruction. Entre deux opérations chirurgicales il commente lui aussi les évènements via WhatsApp sur les chaînes d’information du monde entier assistant impuissant au siège d’Alep. Progressivement tous les quartiers tombent et, lorsque les chars du régime sont dans la rue du dernier hôpital du dernier quartier non soumis, les forces russes transmettent un message aux derniers assiégés par l’intermédiaire de l’ONU leur proposant la reddition et l’évacuation de la ville par les civils et les milices vers la province d’Idleb[1]. La mort dans l’âme, Waad (qui est de nouveau enceinte), Sama et Hamza évacuent leur quartier en janvier 2017 dans d’interminables convois, sans être interceptés lors des contrôles alors que leurs visages sont déjà très connus pour avoir tenu le monde informé au jour le jour de la bataille d’Alep. Les images de la ville rappellent celles de Stalingrad !
Le film ne fait pas de politique même si sa réalisatrice est clairement dans le camp anti-régime. Il ne parle pas des improbables coalitions montées d’un côté comme de l’autre, des massacres initiés de toutes parts. Il y a tout le Moyen-Orient et la Russie actifs sur le front (la coalition occidentale anti-Etat islamique n’est pas à l’œuvre dans cette ville) : le régime Assad, l’Iran, le Liban, la Turquie, les Emirats arabes, les milices des groupes l’Etat islamique et Al-Qaïda et bien d’autres… Les alliances se font et se défont, tout le monde tire sur tout monde avec des armes plus ou moins sophistiquées, plus ou moins hétéroclites… et les civils trinquent. La ville est détruite à 40%. C’est le propre d’une guerre civile, hélas ! Tout n’est pas sans doute pas fini, il faudra reconstruire, les civils évacués ont juré de revenir un jour, la réconciliation est impossible ; la famille Assad et son armée vont probablement geler la situation à défaut de pouvoir la faire évoluer. La dictature ne peut que refermer le couvercle sur la marmite bouillonnante. La démocratie est un leurre pour le moment. On reparlera de la Syrie pour encore plusieurs générations.
Après « Eau Argentée » sorti en 2014 sur le siège d’Homs « Pour Sama » suit le même principe : témoigner de la barbarie humaine. Des documentaires qui dérangent.
[1] Où se déroulent actuellement des combats pour la reprise de cette région par les forces pro-régime.