« Sympathie pour le diable » de Guillaume de Fontenay

Ce film est basé sur l’histoire de Paul Marchand, reporter de guerre, embarqué dans la folie du siège de Sarajevo par les forces serbes de 1992 à 1995. Le scénario est basé sur son autobiographie publiée en 1997. Cette guerre européenne si récente a été terrible, cynique et meurtrière, déclenchée après l’éclatement de la Yougoslavie sur des bases ethniques et religieuses, des motifs que l’on ne croyait encore possibles en cette fin de XXème siècles qu’en Afrique…

Marchand, un journaliste au cœur tendre, amoureux de sa traductrice (serbe), a pris parti dans cette guerre pour aider les bosniaques en lutte contre la barbarie serbe. Sur la voiture dans laquelle il parcourait la ville toujours le pied au plancher pour éviter les balles, il avait écrit « Don’t waste your bullets, I am immortal ». Il a pris des risques personnels considérables pour une cause qu’il estimait bonne, avant d’être atteint au bras par un snipper qui mit fin à sa carrière de journaliste.

Le film nous retrace une personnalité flamboyante et attachante impliquée dans un conflit qui la dépasse, ou quand la vraie vie s’avère souvent bien pire que la générosité débridée d’un individu. Le générique de fin nous apprend qu’il est décédé en 2019 (de mort volontaire, ce que précise Wikipédia) et que son amoureuse serbe qui a conseillé le film vit toujours à Sarajevo.


Ceux qui ne sont pas morts… par l’écrivain Stanley Péan publié le 24/06/2009

Bon, ma Laura dort dans mon lit et David vient de quitter l’appart. C’est le moment de ramasser mes idées, d’essayer d’être plus clair et plus digne de Paul que j’ai l’impression de l’avoir été, en début de soirée à L’été de tout le monde, l’émission de Joanne Prince sur la Première Chaîne de Radio-Canada. Car Paul est mort et vive Paul !

Je vais essayer d’écrire sur Paul M. Marchand, malgré les téléphones et les courriels d’amis à juste titre éplorés. Paul, dont je n’imaginais pas que la mort m’affecterait à ce point, peut-être parce que je n’avais pas imaginé qu’il puisse un jour mourir. Après tout, n’avait-il pas écrit sur le véhicule non-blindé à bord duquel il sillonnait les rues de Sarajevo assiégée cette formule tellement emblématique du personnage : « Don’t waste your bullets: I’m immortal.» Il ne l’était manifestement pas, immortel, ainsi qu’un sniper avait décidé de le lui faire savoir. Rapatrié d’urgence pour être hospitalisé, Paul avait-il retenu la leçon ? Sans aucun doute, dans sa chair meurtrie. Mais peut-être cette leçon ne l’avait-elle rendue que plus amer et plus téméraire.

J’ai connu Paul M. Marchand au Salon du livre de l’Outaouais en 1997. Oh, comprenez-moi bien : avant ça, je savais qui il était. Comme tout le monde, je l’avais entendu au Radiojournal de Radio-Canada, en direct de Beyrouth pendant huit ans de guerre du Liban, puis de la Bosnie pendant un couple d’années. Paul M. Marchand, le téméraire, celui qui n’avait jamais froid aux yeux, celui qui s’aventurait là où nul journaliste n’osait le faire — par couardise ou par « respect » des limites de la couverture des assurances. Le baveux. Le provocateur. La tête brûlée. Je le connaissais de réputation. Mais il avait fallu ce vendredi soir de mars 1997 pour que nous nous apprivoisions, au son du blues qui jouait à des heures indues et généreusement imbibées de la nuit dans ma chambre d’hôtel. Alors que tous les copains assemblés là autour de la bouteille de whisky déliraient ferme, Paul, stoïque, sobre, me demandait simplement s’il pouvait m’emprunter ma cire à chaussure liquide.

Je l’ai aimé tout de suite. Pas pour la cire liquide, on s’entend. Pour sa franchise frisant l’insolence. Pour son intransigeance dans la vie personnelle comme dans la vie professionnelle, cette haute exigence qu’il imposait à ses amis et à lui-même en tout finalement. Pour les prises de tête et les fous rires, pour les filles qu’on se disputait amicalement et sans le moindre sérieux. Pour cette compassion et cette capacité insoupçonnée d’écoute, qu’il prenait plaisir à dissimuler sous son dehors bourru et macho, sa carapace, son imprenable forteresse de solitude (en apparence, du moins). Je crois bien que cette affection était réciproque, au grand dam de ces faux francs-tireurs qui s’imaginaient peut-être qu’il suffisait de partager un repas, un cigare et un scotch avec lui pour s’autoproclamer de sa trempe. Paul n’avait rien de faux. C’était un vrai, jusqu’au bout des ongles. Et cette vérité a fini par en lasser plus d’un dans ce Québec mou, avec lequel il entretenait une relation d’amour-haine.

Je me souviens de Paul, chapitrant gentiment Jacques Godbout en direct à la radio pour avoir cité une chronique de Nathalie Petrowski durant une intervention : « Depuis que je suis dans ce foutu pays, on ne cesse de me répéter que vous êtes un cinéaste, un romancier, un intellectuel de grande envergure et c’est ça, votre référence, Nathalie Petrowski, une poubelle, une sorcière ! »

Je me souviens de Paul, me houspillant gentiment pour avoir été trop poli dans mon papier dans Ici sur celui qu’il appelait « l’enfant de chienne de Thierry Séchan » qui avait eu le culot un soir de parader dans Montréal avec au cou une médaille offerte par Karadzic ou encore se moquant gentiment de mon éloge funèbre d’Anne Hébert dans La Presse : « C’est quoi, cette déclaration d’amour cucul à cette vieille écrivaine morte, Péan ? »

Je me souviens de Paul au Salon du livre de Québec, balançant à une Denise Bombardier juchée sur le piédestal qu’elle était en train de s’ériger elle-même en se comparant (sans rire) à Simone de Beauvoir : « Vous ? Une nouvelle Simone de Beauvoir ! Mais je rêve. Votre problème, Mme Bombardier, c’est que vous êtes incapable de prendre la critique et que ce que la critique a à vous dire, c’est que vos livres, c’est de la merde ! »

Je me souviens de l’émission de télé que nous avions développée ensemble, quelques potes et moi, autour de la figure de Paul M. Marchand, une sorte de Cinq fois cinq en plus décapant, en plus satirique, en plus fantaisiste et surréaliste, où l’on aurait montré Paul circulant en Jaguar à travers Montréal, répondant aux questions les plus saugrenues de son public par des reportages fouillés sur des sujets parfois fictifs.

Je me souviens de Paul, fustigeant l’équipe d’une émission de radio matinale à Québec qui présentait un reportage sur la guerre des motards. « Une guerre ? Quelle guerre ? Quelques brutes bedonnantes gavées de bières se tirent dessus, font exploser quelques voitures piégées et vous faites dans votre froc en pensant sincèrement être plongés dans une guerre ! »

J’ai tellement de souvenirs de Paul, l’amateur des Rolling Stones comme eux jamais satisfait, l’homme du refus de la demi-mesure, l’extrémiste, le merveilleux emmerdeur qui toujours nous mettait au défi d’aller plus loin, de nous remettre davantage en question. Paul, reconverti en romancier sulfureux, faisant montre en littérature de la même intransigeance qui le rendait à la fois attachant pour certains et rebutant pour d’autres. Tiens, sa mort soudaine m’informe qu’il l’avait fait paraître, ce troisième roman chez Grasset, qui m’était carrément passé sous le nez sans que je m’en aperçoive : Le paradis d’en face. Pas lu, celui-là. Mais j’avais beaucoup aimé les deux précédents, Ceux qui vont mourir… et J’abandonne aux chiens l’exploit de nous juger, que j’avais par ailleurs commentés çà et là.

J’ai souvenir aussi de son dernier passage à Montréal (à ma connaissance), il y a un an et demi environ. Il était venu à la maison, souper en tête à tête avec moi, partager un plat de fettucine al mare et une bouteille de blanc sec, un verre de scotch et un cigare, et bien des anecdotes et réflexions sur nos parcours respectifs depuis son départ du Québec, sur notre manière d’apprivoiser la paternité, les ruptures et l’éternelle insatisfaction que nous inspiraient nos vies sentimentales d’ados attardés. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je le verrais.

Je me fais sentencieux, alors que le personnage l’était si peu, tout entier livré à ses passions, à ses emportements. Mieux vaut me taire, alors. On aura compris la valeur de l’homme qui nous a quittés la semaine dernière. Il me manquera, le vieux Paul, sacrement ! Il manquera à tous ceux et celles qui avaient su voir au-delà de l’armure, l’être véritablement humain en lui.

Allez, Paul, pars en paix, mon vieux. Ceux qui ne sont pas encore morts te saluent. Avec respect. Avec honneur.