« Servir ? Hélie de Saint Marc » un documentaire de Georges Mourier (2008)

C’est l’histoire d’un vieux monsieur, Hélie Denoix de Saint Marc (1922-2013), filmé alors qu’il avait 86 ans, qui a traversé l’Histoire tragique du XXème siècle et qui revient sur les grandes étapes de ce parcours exceptionnel.

Engagé dans la résistance, encore adolescent, durant la seconde guerre mondiale, il est dénoncé, arrêté et déporté au camp de concentration allemand de Buchenwald dont il sortira, épuisé, après avoir été confronté au mal absolu et aux comportements les pires du genre humain, y compris du côté des déportés. Il s’engage dans la Légion, pour « servir », mais aussi pour surmonter le traumatisme de l’effondrement français de juin 40. Envoyé en Indochine il succombe aux charmes de cette région, et comme beaucoup des acteurs de cette épopée, militaires et civils, à celui des femmes indochinoises, ce qu’il avoue avec un petit sourire nostalgique. Chef d’un camp situé au Nord-est du pays dans le territoire de la minorité Tho, à la frontière chinoise, il est chargé de former des maquisards qui vont soutenir le combat de la France contre le communisme. La situation militaire française se dégradant sérieusement dans cette région face à la puissance communiste chinoise, sa section est évacuée avec la majorité de ses partisans mais pas les villageois qui s’accrochent aux camions de l’armée française et que les légionnaires sont obligés de déloger à coups de crosses sur les mains. Ils seront ensuite largement massacrés par les communistes pour leur collaboration avec l’ennemi. Saint-Marc et ses hommes en sont marqués à jamais et c’est ce qu’il appellera sa « blessure jaune ».

Il retournera en Indochine et participera aux derniers combats avant que sa compagnie ne soit transférée en Algérie en 1955. Il participe à l’expédition avortée franco-britannique de Suez. En 1961 il est commandant par intérim du 1er REP (régiment de parachutistes), il se met aux ordres (avec son régiment) du Général Challe qui lance son coup d’Etat. Cette décision, prise en 10 minutes devant Challe qui l’a convoqué est prise pour « ne pas abandonner les harkis » et renouveler ainsi sa « blessure jaune ». Ce coup ne durera que quelques jours, Saint Marc en assumera la pleine responsabilité pour dédouaner les 800 hommes qu’il a entraînés avec lui. Il sera condamné à 10 ans, il en effectuera 5 à Tulle avec les autres putschistes, avant d’être amnistié par le Général de Gaulle puis libéré. Il sera progressivement réhabilité dans ses droits civils et militaires. Multi-décoré il sera progressivement élevé dans les grades de la Légion d’honneur jusqu’à celui de grand-croix remis par le président de la République Sarkozy en 2011. Il consacre ses dernières années à rédiger ses mémoires et de différents essais historiques.

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Bien sûr ce documentaire sous forme d’interview revient sur quelques-uns des problèmes moraux qui se sont posés à ces militaires durant les guerres coloniales auxquelles il a participé.

La torture en Algérie : il est évidement moralement opposé à son principe. C’est le mal, dont il a connu la pire version à Buchenwald. Mais sur le terrain, lorsque des vies sont en jeu il ne sait pas répondre à la question portant sur « le mal pour éviter le pire ? » Pour illustrer son indécision il cite d’ailleurs le cas des bombardements alliés massifs des villes de Hambourg et Dresde qui ont permis de précipiter la capitulation allemande en 1945, alors que la victoire ne faisait plus de doutes, qui ont généré des milliers de morts civils « inutiles », mais aussi probablement accéléré la libération de Buchenwald où le prisonnier qu’il était n’aurait pas survécu encore très longtemps…

Et puis ce problème lancinant de la collaboration avec les populations locales qui se pose immanquablement au départ des troupe étrangères, car celles-ci partent forcément un jour, qu’elles soient coloniales ou d’une autre nature… A partir du moment où une armée s’installe durablement dans un pays tiers, quelle que soit le motif de l’invasion, elle a besoin d’une collaboration locale. Ce fut le cas autrefois en France (lors de l’occupation allemande), en Indochine, en Algérie, aujourd’hui en Afghanistan, en Irak, au Sahel. Alors lorsque la troupe étrangère se retire les règlements de compte commencent. La France elle-même a épuré les collaborateurs français avec l’occupant allemand après la Libération en 1944/45, d’abord sauvagement (on parle de 100 mille exécutions sommaires) puis de façon judiciarisée. En Algérie, en Indochine où l’armée coloniale avait formé des milices locales armées (contre leurs propres peuples aux dires de ceux qui l’ont emporté), les épurations ont été encore plus violentes une fois les indépendances acquises ou les troupes d’occupation retirées. C’est la justice des vainqueurs, elle est rarement juste. Pour les sauver de la vengeance des leurs, la seule alternative aurait été, dans le cas des guerres de la France, de rapatrier sur le territoire métropolitain ces centaines de milliers de supplétifs de l’armée et de l’administration françaises. Ce n’est pas l’option politique qui a été retenue. Le sens de l’honneur d’un Hélie de Saint Marc en a été bouleversé ce qui l’a fait tomber du côté des généraux complotistes en Algérie de 1961.

Cet homme émeut par son sens du devoir et de l’honneur, par sa traversée noble de tous les évènements tragiques du XXème siècle, sans jamais se départir d’un ton mesuré et d’une analyse tout en subtilité, se gardant bien de tout jugement définitif. Au crépuscule de sa vie, presqu’apaisé, il cite Goethe : « Il est facile de faire son devoir, il est plus difficile de savoir où il se trouve. »