La presse et le virus

Depuis presqu’un mois que la France est confinée, comme nombre d’autres pays de la planète, ses plateaux médiatiques d’information en continue ne parlent plus quasi exclusivement que de ce sujet. Ils accueillent nombre de commentateurs érigés en « experts de dîner en ville ». On trouve dans cette catégorie d’ailleurs beaucoup de soignants dont on se demande s’ils n’ont vraiment rien de mieux à faire en ce moment que de bavarder sur les plateaux ?

Evidemment lorsqu’on a rabâché en continu 24h sur 24 depuis quatre semaines la question des masques, des tests, de la chloroquine, des lits de réanimation, des cambriolages de pharmacies et des statistiques du nombre de morts, sans oublier la coupe de cheveux du Pr Raoult, il est un peu difficile d’être original. Alors heureusement un nouveau sujet se profile à l’horizon : le président de la République doit faire une communication demain soir. La nouvelle mission dont la presse s’auto-investit est de deviner à l’avance ce qu’il va bien pouvoir dire. Et de nouveau la machine à tourner dans le vide s’est remise en route depuis déjà quelques jours puisque, justement, on ne sait pas encore ce qu’il va dire… Pour alimenter le mouvement perpétuel de cette machine infernale, les chaînes font appel depuis longtemps à une espèce qui n’est pas du tout en voie de disparition, celle des « communicants ».

Au sein de celle-ci une catégorie de « communicants » est mise en avant, celle des « communicants de crise » particulièrement coriace et imbue de son importance. Alors que nos pays sont quasiment en crise permanente depuis celle du pétrole de 1973, cette espèce spécifique prospère et vend ses conseils aussi bien aux Etats qu’aux entreprises. Même certains particuliers y font appel, par exemple DSK lors de sa crise sexuelle du Novotel de New-York, ou Carlos Ghosn lors sa crise judiciaire (il est recherché par la justice japonaise depuis sa fuite au Liban). Lorsqu’ils interviennent pour des particuliers « en crise » la mission de ces « communicants de crise » est de sauver la mise de leurs mandants en leur faisant dire ce qui est censé mettre l’opinion publique de leur côté et qui n’est pas forcément la vérité. Lorsqu’il s’agit de « crise politique » on ne sait pas trop quelle est leur mission sinon d’aller occuper indûment et inutilement les plateaux télévisés pour y asséner leurs soi-disant principes fondamentaux de « communication de crise », qui sont généralement vrais le lundi puis démentis le mardi…

Pour en revenir à l’allocution présidentielle de demain, le mieux serait sans doute tout simplement d’attendre lundi soir une fois que l’allocution aura été prononcée pour savoir ce qu’il y a dedans. Et ainsi, pendant le temps libéré, les journalistes pourraient peut-être consacrer quelques petits moments à d’autres sujets que le coronavirus ? Car pendant ce temps la guerre continue en Syrie, la station spatiale internationale tourne toujours autour de la terre, la campagne électorale se poursuit aux Etats-Unis, avec à la clé la possible éjection du président actuel, certaines entreprises produisent normalement, etc. On pourrait peut-être passer de 98% du temps d’antenne occupé par le virus à seulement 90 ou 95% ?