Le président turc continue à pointer le « génocide » dont les forces coloniales françaises se seraient rendues coupables en Algérie jusqu’à l’indépendance de ce pays, et, plus récemment, du rôle de Paris dans le génocide commis au Rwanda en 1994.
La Turquie critiquant le passé colonial de la France, c’est l’hôpital qui se moque de la charité, mais rien n’arrête les envolées lyriques du président turc. Le passé colonial de son pays est largement aussi trouble que celui de la France, et notamment en Algérie que l’empire ottoman occupa durant près de trois siècles, sans parler de la Grèce, de l’Europe de l’Est ou du Moyen-Orient, y compris l’Arménie où la Turquie est également accusée de « génocide ».
Evidemment, le président français a tendu « les cordes pour se faire battre » puisqu’il est allé déclarer lui-même en 2017 lors de sa campagne électorale que « le colonialisme [fut] un crime contre l’humanité ». Ironie de l’histoire, il répondait alors à une interview du journaliste algérien Khaled Drareni qui vient… d’être condamné ce 15 septembre à deux années de prison par la cour d’Alger pour « incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ». Il est assez peu probable que jamais un représentant de la République turque qualifie aussi négativement le colonialisme de l’empire ottoman. Il se fera en revanche un plaisir de reprendre en l’amplifiant l’auto-critique française. Par ailleurs, comme en Algérie, nombre de journalistes connaissent les geôles du régime ce qui permet de museler d’éventuels avis divergents.
En notre époque faîte de slogans et de révisionnisme, où l’intelligence et la modération sont réduites à néant, les déclarations turques font mouche dans les pays émergents d’autant plus qu’elles sont accompagnées de rodomontades militaires en Méditerranée orientale. Voilà déjà longtemps que la Turquie politique s’est révélée telle qu’elle est. Le paradoxe est que malgré ce rejet de l’Occident par le pouvoir d’Ankara, la population turque cherche à venir s’y installer ou, à tout le moins, pouvoir y voyager librement, sans parler de la présence de la Turquie comme Etat membre de l’alliance militaire atlantique OTAN où elle est censée participer à la défense des autres pays membres… qu’elle attaque dans le discours quand ce n’est pas sur les terrains de bataille en Syrie et en Libye.
Ainsi vont les relations internationales en ces temps d’émergence (ou de réémergence) de nouvelles puissances dont les méthodes sont d’un genre disruptif. Il ne sert pas à grand-chose de s’en offusquer et il faut faire avec. Peut-être serait-il plus efficace de laisser la tribune médiatique à la Turquie et à son président mais d’agir de façon discrète et ciblée, sans grandes déclarations ni messages Twitter, pour défendre les intérêts nationaux de la France ?
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