LESSING Doris, ‘Le carnet d’or’.

Sortie : 1962, Chez : Albin Michel (1976) / Le Livre de Poche 5452.

« Carnet d’or » : le grand roman de Doris Lessing, prix Nobel de Littérature en 2007, publié en 1962. Sans doute largement autobiographique, il se déroule dans les années 1950 entre la Rhodésie (à l’époque colonie britannique) et Londres. C’est l’histoire d’Ana Wulf, romancière croyant perdre inspiration, qui tient quatre carnets où elle raconte les étapes de son existence en se mettant elle-même en scène, ses pensées, ses hommes, ses idées politiques, etc. A travers ces carnets s’entremêlent les vies de Doris Lessing à peine masquée sous les traits d’Ana ou d’Ella : ses engagements en Rhodésie (où elle vécut une partie de se jeunesse) ou au parti communiste anglais (auquel elle adhéra en 1952 avant de s’en retirer en 1956 après l’invasion des chars soviétiques à Budapest), la littérature qui est le centre douloureux de la vie d’Ana-Ella, son féminisme à travers leurs existences de femmes (aux multiples amants) et de mère (à enfant unique), de l’amitié (avec Molly, sous le même nom dans les différents carnets), de l’actualité brûlante de la colonisation de la Rhodésie ou des errements de l’internationale socialiste durant et après le règne de Staline, des états d’âme d’une femme de 30 ans en une période fébrile où tout arrivait, le pire comme le meilleur. C’est le portrait d’une décennie 50′ pleine d’illusions et de déceptions.

On s’emmêle avec bonheur dans les quatre carnets qui ne sont finalement que différents regards de l’auteure sur elle-même dans le maëlstrom des sentiments et des combats. On se perd un peu dans les prénoms : Michael est son fils dans un carnet, son amant dans un autre… Le livre fait 760 pages en format poche, plutôt dense et foisonnant donc, mais il faut s’y attaquer. Sa construction est originale, le parti du roman dans le roman permet à son auteure de deviser sur l’œuvre et l’art d’écrire, en plus du reste. L’inspiration de Doris Lessing est totale, la curiosité du lecteur est sans arrêt en éveil face au déroulement chaotique des vies de ses héroïnes dans un monde en pleine remise en cause.

Dans les premières pages du carnet noir Ana note :

« Nous lisons pour découvrir ce qui se passe. Un roman sur cinq cents ou sur mille possède la qualité qu’un roman devrait posséder pour être un roman : la qualité philosophique. … S’ils sont le moins du monde réussis, la plupart des romans sont originaux en ce sens qu’ils informent sur l’existence d’une partie de la société, d’un type de personnes, qui ne sont pas encore révélés à la conscience générale de lettrés. »

On ne saurait mieux dire du Carnet d’or !