Covid et économie.
Chaire : Destruction créatrice et richesse des nations
Cours : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance
Le livre « Le Pouvoir de la Destruction Créatrice » (Philippe Aghion, Céline Antonin, Simon Bunel – 2020) va servir d’architecture à ce cours.
Il y a d’abord eu des modèles épidémiologiques d’Imperial College prévoyant des centaines de milliers de morts mais qui ne prenaient pas en compte les réactions de la société face à la menace (masques, gestes barrière, etc.) qui permirent de réduire les dégâts. Les épidémiologistes se sont alors mis à parler aux économistes qui savent prendre en compte les interactions, les effets des politiques, etc.
Le covid représente un choc d’offre et demande.
Le nombre de décès/jour augmente significativement à partir de début mars en Europe jusqu’à 4 000/j et suit aux Etats-Unis avec un mois de retard jusqu’à 2 600/j, puis la courbe redescend. Le pic n’a jamais atteint les premières prévisions épidémiologiques du fait des mesures qui ont été prises pour endiguer la contagion. Ce qui crée le choc économique ce ne sont pas les décès directement mais les mesures de confinement prises pour lutter contre les décès et la contamination.
On a mesuré la mobilité à partir de données Google de smartphones (Google mobility index) qui se sont effondrées de 70% en France et Italie, un peu moins en Allemagne et aux Etats-Unis. Si les gens se sont moins déplacés ils ont quand même utilisé le télétravail ou les transactions en ligne. On voit néanmoins dans les données de PIB trimestrielles une baisse aux T1 et T2 2020 de 10 à 20%, deux fois pire que la crise financière de 2008. Cela veut dire : vive le télétravail et vive le téléachat. Le PIB a moins baissé que la mobilité.
Comment minimiser le coût économique à court terme et remettre l’économie sur pieds ?
Le PIB a baissé à cause du choc d’offre : le confinement a obligé la fermeture de restaurants, hôtels, lignes aériennes… donc la production a automatiquement baissé (choc d’offre sur les secteurs directement affectés), le chômage a augmenté, l’incertitude également (on a peur de consommer) qui a un effet de demande qui va aussi baisser en affectant toute l’économie, y compris les secteurs non directement exposés.
Les mesures d’aide en France ont permis de limiter la baisse de consommation qui a été moins importante que la baisse du PIB, ces mesures ont été efficaces. Ce fut un mélange de politique fiscale et de politique monétaire.
Selon le modèle keynésien, à court terme c’est la demande qui détermine l’emploi et la production alors qu’à long terme il y a un ajustement de l’offre et la demande par les prix, c’est l’offre de production qui déterminerait la demande.
L’équilibre sur le marché des biens et services : Y [le PIB] = C(Y) [consommation, fonction croissante du PIB, « plus on produit, plus on épargne »] + I(r) [investissement, fonction décroissante du taux d’intérêt] + G [dépense publique]. Finalement, plus le taux d’intérêt est faible plus la production est élevée et vice versa.
C’est la Banque Centrale qui détermine le taux d’intérêt, et donc le niveau de production, à travers sa politique de vente/achat d’actifs financiers. Le Quantity Easing actuel fait que les banques centrales achètent tout et n’importe quoi, y compris de la dette privée… et font ainsi baisser les taux mais aux risques d’inflation et de bulles financières. La banque centrale détermine le taux ce qui fixe le niveau de production et donc l’emploi. C’est la politique monétaire.
Il y a ensuite la politique budgétaire : j’augmente G par exemple, je fais de la dépense publique. Si Y est constant c’est donc l’épargne qui va baisser, l’offre de capitaux (I) pour les entreprises va baisser et donc le r devrait augmenter mais il est fixé, donc c’est le Y (la production) qui augmente. En augmentant G, cela fait du revenu supplémentaire qui est dépensé donc la demande augmente et le niveau de production Y aussi ! Ce modèle à court terme ne différencie pas dans le G les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat.
On a deux manières d’augmenter (ou baisser) le Y : politique budgétaire ou politique monétaire, ou les deux en même temps.
Les effets du confinement
Dans le secteur directement affecté par la covid on a forcé la décroissance du niveau de production Y en « fermant » l’économie. La production était à son niveau d’équilibre et on l’oblige à en sortir. Comme je réduis l’emploi dans le secteur affecté cela revient à réduire la demande dans le secteur non directement affecté, et donc sa production.
La réponse macroéconomique
Dans le secteur affecté il ne sert à rien d’augmenter G puisqu’il est interdit de produire davantage du fait du confinement. En revanche la politique budgétaire va essayer d’atténuer le choc de demande du secteur non affecté.
La politique monétaire d’achats d’actifs financiers fait encore baisser le taux d’intérêt et permet aussi de compenser en partie la baisse de la production.
L’action conjuguée des gouvernements et des banques centrales a été positive.
De la théorie à la réalité
Politique budgétaire : subventions aux employés et aux entreprises, délais paiement impôts, prêts bancaires garantis par les Etats. Politique monétaire : quantity easing de la FED et la BCE.
Cette combinaison explique que la consommation a beaucoup moins baissé que l’activité (PIB). Mais ce modèle général cache les inégalités et le problème du soutien aveugle qui empêchera les restructurations (certaines activités vont disparaître : destruction créatrice). Comment protéger et permettre la réallocation vers de nouvelles activités ?
Comment repenser notre modèle économique et social à plus long terme ?
Le covid est un révélateur de déficiences plus profondes et préexistantes.
Chaînes de valeur
Contraste France-Allemagne sur le nombre de décès de beaucoup inférieur à l’est du Rhin : pourquoi y avait-il plus de respirateurs, de masques, de tests en Allemagne ? Cela révèle des problèmes industriels qui ont empêché la France de faire rapidement du testing à grande échelle. De ce fait le confinement en France a été beaucoup plus dur et impactant sur la baisse du PIB français.
On a regardé dans les statistiques de la commission européenne les données concernant les produits « anti-covid » : composants pharmaceutiques, instruments (respirateurs…), équipements de protection (masques, gants…). Au début des année 2000 la France et l’Allemagne étaient comparables en matière d’importations et d’exportations de ces biens. Aujourd’hui, la France a légèrement augmenté son niveau d’import/export de ces produits quand l’Allemagne l’a explosé. Cela veut dire que l’Allemagne n’a pas fait de protectionnisme (ses importations ont aussi beaucoup augmenté) mais elle a fait de l’innovation. En 2019 les allemands présentaient un surplus des exports sur les imports de 20 milliards d’euros sur les produits « anti-covid » quand la France était en très léger excédent. Les importations françaises viennent d’ailleurs surtout d’Allemagne, des Pays-Bas et de Belgique, un peu moins de Chine et des Etats-Unis.
Dans le secteur pharmaceutique France-Allemagne, la production domestique de la France stagne et celle de l’Allemagne progresse, alors que les avoirs français à l’étranger grimpent quand ceux de l’Allemagne sont stables. Cela signifie que la France a beaucoup plus délocalisé que l’Allemagne.
A la demande du gouvernement français nous avons élargi cette étude à l’ensemble des industries « critiques » et avons analysé les dépôts de brevets (enregistrés à la fois aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, donc des brevet significatifs). Dans le domaine pharmaceutique et médical la France était bonne au milieu des années 1990’ et s’est détériorée par rapport aux meilleurs depuis pour aboutir aujourd’hui loin de la « frontière technologique ». Dans l’énergie nucléaire la France était et reste dans le peloton de tête. Pour les véhicules du futur la France est proche de la frontière technologique mais en dégradation depuis la décennie 2000. Dans l’aérospatiale, très bon classement de la France et stabilité de celui-ci. Electroniques, résultats mitigés. Isolation thermique la France se maintient proche de la frontière technologique. Idem pour les machines agricoles et conception informatique de composants industriels.
Maintenant que la France a de nouveau un commissaire au plan, elle va pouvoir se relancer dans la définition d’une nouvelle politique industrielle active pour endiguer la désindustrialisation dans les filières stratégiques, par création de nouvelles entreprises, nouvelles activités, non pas en fermant des usines en Chine…
On montre aussi, et nous y reviendrons, que plus on automatise et plus baisse les coûts de production et améliore la productivité. L’augmentation conséquente des marchés (effet taille) compense les pertes d’emploi (effet de substitution) dues à cette robotisation. L’utilisation renforcée de l’intelligence artificielle et des technologies de l’information est un moyen beaucoup plus efficace pour la croissance que de jouer sur les droits de douanes supposés protéger un marché. Plus on automatise et mieux on maîtrise les chaînes de valeur, et en même temps on crée de l’emploi.
Le modèle social
Le début de la réflexion sur quel type de capitalisme :
- Le modèle américain présente peu de chômage mais un risque de pauvreté accru lors des crises et une couverture santé limitée (US cut throat capitalism)
- Le modèle allemand : chômage et risque de pauvreté faible, couverture santé pleine
- Le modèle européen : chômage élevé, risque de pauvreté faible, couverture santé pleine
La crise du covid illustre parfaitement ces modèles. On a regardé les conséquences sur le chômage, le taux de pauvreté et la couverture santé en appliquant aux prévisions de chômage du FMI les taux de pauvreté de de couverture santé constaté dans le passé. On constate en 2020 une explosion du chômage et des pertes de couverture santé quand en Allemagne le chômage augmente légèrement et tout le monde conserve sa couverture santé. Les comparaisons sont à peu près similaires entre les Etats-Unis et les autres pays européens. On a des résultats similaires quand on mesure le risque de pauvreté avec l’évolution du chômage, Etats-Unis versus pays européens.
La covid montre l’importance d’avoir des filets de sécurité en cas de crise et permet de se positionner sur savoir si nous voulons un modèle américain ou pas. Les opposants à l’Obamacare vont peut-être revoir leur position une fois que sera fait le bilan social du covid aux Etats-Unis !
Innovation
Quand on regarde les statistiques de dépôt de brevet par habitant on constate que les Etats-Unis sont les meilleurs mais qu’un pays comme la Suède est juste derrière, or la Suède a un modèle social mais a mené des réformes structurelles importantes dans les années 1990’ expliquant cette bonne performance. Les Etats-Unis ont un écosystème de l’innovation très performant que nous sommes très très loin d’atteindre en Europe, ce qui explique leur 1er rang en matière de brevets. Ils sont défaillants en matière de modèle social mais ils sont très bons pour la culture de l’innovation. Le défi est de garder la protection et d’améliorer l’innovation comme l’ont fait les pays scandinaves dans les années 1990’.
Société civile et confiance
Il faut le marché (sans marché, pas d’innovation, l’URSS n’a pas su transformer sa recherche fondamentale en innovation sauf dans les domaines militaire et spatial où elle était en concurrence avec les Etats-Unis), il faut l’Etat pour assurer les risques macroéconomiques (exemple du covid actuel), investir et protéger les citoyens comme les firmes, redistribuer. Il faut aussi la société civile (réciprocité, normes sociales, altruisme…) qui s’assure que la séparation des pouvoirs soit effective, que l’exécutif ne truste pas tout le pouvoir ni réalise de collusion entre l’Etat et le marché. Dans le cas du covid il a fallu un Etat pour confiner, pour l’imposer au besoin par coercition. Mais dans certains pays la société civile a complété l’action de l’Etat expliquant les meilleurs résultats de certains pays (Allemagne, Suède par exemple).
Des analyses statistiques montrent également la corrélation entre le niveau de défiance de la société civile à l’encontre de l’Etat, les compagnies… et le niveau des réglementations existantes. En France par exemple, on constate une grande défiance mais toujours plus de normes : on déteste l’Etat mais on demande toujours plus de règles. La covid nous fait constater qu’en France on s’est trop reposé sur l’Etat sans suffisamment prendre en compte la société civile. C’est un défi pour la France de modifier cette répartition des pouvoirs et des responsabilités.
Conclusions
La covid est un révélateur :
- Sur les chaînes de valeur, les pays qui exportaient très peu de produits anti-covid ont d’avantage souffert sur les plans sanitaire et économique. Faut-il simplement stocker des masques, par exemple, où intégrer ces produits dans une politique industrielle ? Faut-il des réformes horizontales ou verticales pour pousser l’innovation ? Du protectionnisme ou de l’investissement ? etc.
- Le modèle social, peut-on rendre le capitalisme plus « douillet » sans qu’il ne soit moins innovant ?
- Comment la France peut-elle donner un rôle plus important à la société civile (dialogue social, décentralisation, système électif proportionnel…) ?