"Non pas des vérités acquises mais l'idée d'une recherche libre" Merleau-Ponty

AGHION Philippe au Collège de France, leçon donnée le 27/10/2020 : « Destruction créatrice et richesse des nations / Le débat sur l’environnement » 4/6

Chaire : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance

Cours : Destruction créatrice et richesse des nations

Leçon :  https://www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/course-2020-10-27-14h00.htm

Partie 1 : Introduction

En ces temps d’épidémie Covid nous sommes un peu dans une période de pessimisme ambient alors que l’innovation va nous permettre de traiter ce sujet. Une autre raison de pessimisme est le réchauffement climatique qui pousse certains à affirmer que nous sommes condamnés à la décroissance pour y faire face. Dans les années 1970 eut lieu une prise de conscience que la surpopulation allait causer des difficultés à l’humanité d’où la proposition de la décroissance. Dans les années 1990 c’est le réchauffement climatique qui a commencé à inquiéter avec l’augmentation de l’émission des PPM (particules de dioxyde de carbone par millions) aux conséquences dommageables. Sommes-nous condamnés à la décroissance ?

Dans une économie où l’activité est dépendante de l’accumulation du capital et de la consommation du stock de matières premières énergétiques, le développement n’est pas soutenable et la croissance ne peut pas durer éternellement. La croissance du capital va forcément être limitée un jour par l’extraction du stock d’énergie qui est fini. C’est le raisonnement de Greenpeace, mais l’innovation va permettre de limiter le besoin d’énergie nécessaire pour la croissance, voire de s’en passer complètement, et atteindre ainsi une croissance durable.

La mauvaise nouvelle est que les entreprises ne vont va pas spontanément aller vers cette innovation verte.

Partie 2 : L’effet de dépendance au sentier (path dependence)

Dans le marché de l’automobile on distingue les brevets verts (véhicules électriques) des autres brevets (véhicules polluants). Depuis 1978-2005 les brevets triadiques (déposés en Europe, aux Etats-Unis et au Japon) polluants sont plus nombreux que les verts mais ces derniers rattrapent doucement leur retard. Malheureusement, les entreprises innovent dans le domaine où elles ont déjà réussi (path dependence) donc les brevets polluants restent majoritaires. Il va falloir que l’Etat intervienne pour rediriger les investissements.

On connaît les passés des entreprises en matière de dépôt de brevets et l’on constate que le flux d’innovations propres dépend du stock d’innovation propres (clean), et vice-versa pour les innovations polluantes (dirty). C’est la « dépendance au sentier ». Plus j’ai fait du sale dans le passé plus je vais continuer à faire du sale. Si l’Etat n’intervient pas les entreprises ne vont pas aller vers le propre toutes seules.

En revanche, on constate que plus le prix du carbone est élevé et plus les entreprises vont innover dans le propre. On peut donc diriger le changement technique à travers le prix du carbone.

On réalise des simulations sur l’effet-prix du carbone sur les flux de brevets propres vs. sales. Si en 2005 on avait taxé à 40% le prix carbone les courbes se croisent et le propre surpasse le sale. Evidemment augmenter les taxes n’est pas très populaire, on peut aussi raisonner en termes de subventions à l’innovation verte, vers les entreprises comme vers la société civile.

Partie 3 : En quoi la prise en compte de l’innovation change les termes du débat ?

Nordhaus vs. Stern

Le constat de Nordhaus (modèle DICE) est que les entreprises produisent en fonction de différents facteurs (travail, coût du carbone, capital) mais leur productivité dépend négativement de la qualité de l’air. En produisant les entreprises détériorent le climat ce qui fait baisser leur productivité et va contre la croissance. Mais chaque producteur ne prend pas en compte l’effet de sa propre production sur la détérioration de climat, donc il ne s’autodiscipline pas. Chaque entreprise pense qu’elle a un effet négligeable sur les émissions globales de CO2, elles ne se disent pas que leur propre productivité va baisser du fait de la pollution. Cet effet n’est pas internalisé d’où l’utilité de l’instrument taxe carbone pour embarquer cet effet pollution/productivité.

Stern est pour la taxation immédiate et massive pour éviter une perte de PIB à court terme quand Nordhaus prône de ne pas tuer le potentiel de croissance de l’économie, donc y aller progressivement pour ne pas casser la croissance qui permettra d’affronter le problème dans le temps.

C’est en fait une question de taux d’actualisation : Nordhaus privilégie les générations présentes en taxant progressivement, Stern favorise les générations futures en taxant immédiatement de façon très significative. Mais le modèle doit évoluer avec l’introduction de l’innovation.

2 instruments pour 2 externalités

Supposons une économie qui produit des véhicules électriques non polluants et des véhicules thermiques polluants. Les entreprises peuvent innover dans les deux secteurs. Nous avons en fait deux externalités : l’externalité environnementale (la pollution) mais aussi l’externalité technologique de la path dépendance qui veut que si j’investis aujourd’hui dans le polluant, j’y investirai aussi probablement demain. Dans ce monde à deux externalités il faut deux instruments de politique économique : la taxe carbone et la politique industrielle (subvention à l’innovation verte). L’intervention de l’Etat complète la décision des entreprises.

Il faut agir maintenant car plus on attend et plus il faudra agir durement (coût de l’intervention encore plus fort c.a.d. taxe carbone à mettre en œuvre plus tard) et plus la consommation future sera inhibée. Au bout d’un temps fini les entreprises prennent le relais de l’Etat qui n’a plus besoin d’intervenir et les entreprises vont aller naturellement vers les investissements verts sans plus d’incitation, car c’est leur intérêt.

En appliquant la combinaison des deux instruments, taxe carbone et subvention, on peut donc agir plus modérément avec la taxe et donc moins freiner sur la croissance. C’est plus vivable avec « la carotte et le bâton ».

Le débat Nord-Sud

L’environnement est un bien commun mondial. Lorsqu’un pays investit dans le propre, toute la planète en bénéficie. En revanche il y a la tentation du free rider qui pousse un pays à ne rien faire en se disant son inaction n’aura pas d’impact sur l’ensemble. Evidemment le Sud reproche au Nord de s’être développé en polluant en lui déniant le droit d’en faire autant. Le Nord répond, oui c’est vrai mais si on continue à polluer, tout le monde coule.

Aujourd’hui le Nord possède différentes technologies (ce qui n’était pas le cas au XIXème) et peut les mettre à disposition du Sud pour moins polluer. La Chine est un cas à part au Sud car elle innove beaucoup. Le deal serait que le Nord dise au Sud on vous donne les technologies vous permettant de vous développer en polluant moins que nous au XIXème pendant la révolution industrielle et en échange on se fixe des objectifs communs de réduction du CO2

Nous n’aurions même pas besoin d’un accord multilatéral ; si le Nord passe aux investissements verts, le Sud suivra presqu’automatiquement car ne pourra plus produire « sale » de façon rentable. C’est l’externalité technologique.

La mauvaise nouvelle c’est que le libéralisme économique peut générer l’apparition de paradis polluants, des places où l’on favorise la concentration d’industries polluantes qui réexportent ensuite leurs productions vers les pays « verts ». Ce genre de cas se traite avec la taxe carbone aux frontières qui pourrait être introduite dans les nouvelles règles de l’OMC.

Partie 4 : Penser la transition énergétique

Les énergies intermédiaires peuvent être moins polluantes que les hydrocarbures mais plus polluantes que les énergies renouvelables, le gaz naturel ou le gaz de schiste (qui est un gaz naturel non conventionnel). Le gaz est moins polluant que le charbon ou le pétrole. Faut-il subventionner la recherche et le subventionnement de ces énergies. Aux Etats-Unis on a vu une augmentation de la part du gaz dans la production d’électricité en remplacement de celle du charbon qui a diminué. Il y a eu substitution depuis 2008.

A court terme on remplace le charbon par du gaz et on pollue moins par unité d’énergie produite. Mais il y a des effets indirects. Notamment la baisse du prix du charbon car il y aura plus d’offre de matières premières. Donc on va rendre le prix de l’énergie en général moins cher, donc la demande va augmenter… donc plus de pollution. Il faut comprendre quel effet domine : le direct ou l’indirect. Aux Etats-Unis, à court terme l’arrivée du gaz de schiste a fait baisser la pollution, même en prenant en compte la baisse du prix de l’énergie qui a entraîné une augmentation de la consommation.

Mais à long terme i y eut un effet pervers. L’arrivée du gaz de schiste a entraîné une plus forte demande d’innovation sur les technologies du gaz de schiste, au détriment des renouvelables moins polluantes. On voit cet effet avec le nombre de brevets liés au renouvelable qui a baissé aux Etats-Unis à partir de 2008. C’est l’effet pervers du gaz de schiste.

Il faut garder le gaz de schiste mais éliminer les effets indésirables avec un mix de taxe carbone « raisonnable » et de subventionnement des investissements verts.

Partie 5 : Le rôle de la société civile

L’intervention de l’Etat permet d’inciter les entreprises à se tourner vers les investissements verts, mais est-ce suffisant ? Le débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) : faut-il que les entreprises aient comme seul objectif la maximisation du profit ? C’est la position de Friedman (ultralibéral, 1970) qui ajoute que s’il y a des points qui ne plaisent pas à l’Etat c’est à lui de mettre en place des régulations (contre le travail des enfants par exemple), chacun dans son rôle. Certains antilibéraux sont également friedmanniens car ils craignent que la RSE déresponsabilise l’Etat…

Mais l’Etat a aussi ses propres limites et dysfonctionnements : il est sous pression du lobbying et il ne peut rien faire tout seul si les autres pays agissent différemment. Pourquoi ne pas s’appuyer également sur la société civile, les consommateurs. Il y a aussi les actionnaires qui peuvent orienter le choix des entreprises.

Faire de la publicité sur les produits « environnementaux ». Les préférences des consommateurs sont aussi forgées par leur éducation.

La concurrence tend à faire baisser les prix donc augmenter leur production/consommation et polluer plus (effet chinois). Mais dans un pays où les consommateurs se soucient de l’environnement la production va être poussée vers l’innovation verte pour attirer les attirer. Ce peut être une force importante comme démontré par des calculs économétriques qui montrent qu’une intensification des valeurs sociales des consommateurs dans un monde concurrentiels équivaudrait à une augmentation de la taxe carbone de 40%.


Pour une politique verte efficace il faut combiner tous les instruments passés en revue : taxe carbone, subventions, énergie intermédiaire, concurrence et éducation des consommateurs.

Parie 6 : L’économie politique de la taxe carbone

Les tentatives d’appliquer en France le principe du « pollueur-payeur » a échoué (exemple des « Gilets jaunes » en 2018) car les taux d’effort demandés étaient plus importants en pourcentages de leurs revenus pour les ménages les plus modestes que pour les plus favorisés. Il y avait aussi une inégalité horizontale entre villes et campagnes. L’idée était bonne mais l’aspect redistributif n’avait pas été pris en compte et, surtout on a compris que cet argent collecté n’était pas affecté à l’énergie verte, mais utilisé par l’Etat pour lui-même. De plus, cette taxe est arrivée à un moment où, conjoncturellement, le prix du pétrole augmentait, donc un calendrier très mal choisi. On a loupé l’économie politique de cette réforme, comme celle des retraites d’ailleurs.

AGHION Philippe au Collège de France, leçon donnée le 20/10/2020 : « Destruction créatrice et richesse des nations / Expliquer le déclin de la croissance et la montée des rentes » 3/6

Chaire : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance

Cours : Destruction créatrice et richesse des nations

Leçon : Expliquer le déclin de la croissance et la montée des rentes – Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance – Philippe Aghion – Collège de France – 20 octobre 2020 14:00 (college-de-france.fr)

Le débat sur les inégalités a été relancé ces dernières années, notamment par les travaux de Thomas Piketty. Les revenus qui reviennent au Top1% après avoir décru depuis le début du XXème siècle se sont accrus significativement depuis les années 1980 jusqu’aux année 2010. Qu’est ce qu’il a derrière cette évolution ?

Comment mesurer les inégalités

3 façons :

  1. Le coefficient GINI > courbe de Lorenz, on regard les déciles des revenus par ménage des plus pauvres au plus riches et on regarde les % des ménages. Par exemple les 20% les moins riches gagnent moins que 20% des revenus du fait des inégalités. Le GINI mesure l’écart global de la société à l’égalité parfaite (différence entre la courbe de Lorenz et la droite de l’égalité parfaite). Nombre entre 0 et 1, plus le GINI est proche de 0 plus l’égalité est parfaite.
  2. Part du Top1% > on totalise le revenu de 1% le plus riche que l’on divise par le revenu total. On mesure l’inégalité au niveau des riches, le 1% (ou 0,1% si l’on veut affiner).
  3. Inégalité dynamique > corrélation entre revenu des parents et revenus des enfants. Si élevée, cela signifie que le revenu est fortement déterminé par celui des parents, à l’inverse, cela veut dire qu’il y a beaucoup de mobilité sociale.

Il y a des relations entre ces trois mesures.

Entre les pays de l’OCDE on s’aperçoit que plus le GINI est élevé plus l’inégalité dynamique est importante : c’est la courbe de « Gatsby le Magnifique ». Les scandinaves ont un GINI faible et une inégalité dynamique réduite (mobilité sociale), par contre c’est l’inverse pour les Etats-Unis et le Royaume Uni. La France est plus proche de US-UK que des scandinaves, malgré un fort taux de prélèvement.

Si on regarde des zones d’emplois américaines et que l’on suit les revenus des parents puis des enfants 15 ans plus tard, on retrouve la même courbe de « Gatsby ».

En revanche il n’y aucune relation entre mobilité sociale et Top1%. En Californie, beaucoup de mobilité sociale mais le Top1% y est considérable vs. Alabama ou Mississipi. C’est l’effet de l’innovation, présente en Californie mais moins en Alabama.

Il ne faut pas forcément être obsédé par la richesse du Top1% comme l’est Piketty. Ce qui est aussi important est la mobilité sociale : en Suède nous avons des individus très riches mais aussi beaucoup de mobilité sociale et donc une inégalité réduite. Le Top1% ne doit pas être la seule mesure de l’inégalité.

L’innovation comme source d’inégalités au Top1%

On constate que la richesse du Top1% croit en même temps que la courbe des dépôts de brevets (mesure de l’innovation). C’est une corrélation, pas une causalité. Cette relation s’explique par plusieurs raisons.

  1. L’innovation déclenche les rentes de l’innovation temporairement (M. Skype est devenu riche car il a inventé Skype) et augmente la probabilité que les innovateurs vont rentrer dans le Top1% et augmenter la part de celui-ci.
  2. L’innovation entraîne la destruction créatrice et donc la mobilité sociale (ascenseur social). Les innovateurs deviennent riches en inventant et ils remplacent les anciens qui vont peut-être sortir du Top1%. Sur les états américains l’innovation apparaît corrélée avec le Top1% mis pas avec le GINI (mesure globale).
  3. On s’aperçoit également aux Etats-Unis que les fonds de recherche alloués par les comités d’appropriation aux Etats génèrent un accroissement des brevets universitaires puis industriels et la conséquence est une augmentation de la part du Top1%. C’est une causalité, plus une simple corrélation.                                                                

Quand on regarde la part du Top1% on doit prendre en compte l’effet de l’innovation, ce ne sont pas uniquement des héritiers… L’innovation n’a pas d’effet sur l’inégalité globale mesurée par le GINI car d’un côté elle augmente la part du Top1% mais de l’autre elle accroît la mobilité sociale. L’innovation est une source « sympathique » du Top1% car elle favorise aussi la croissance et la mobilité, à la différence du lobbying qui a des effets négatifs (voir supra).

L’innovation comme source de mobilité sociale

2 raisons

  1. Destruction créatrice > les innovateurs « montent », les autres « descendent ». Dans les zones d’emploi où il y a le plus d’innovation il y a le plus de mobilité sociale c’est-à-dire que les revenus sont moins corrélés à ceux des parents. On constate également que l’innovation par les « entrants » (les nouveaux, ceux qui n’ont pas breveté au cours des cinq dernières années) est plus corrélée avec la mobilité sociale.
  2. Les entreprises innovantes procurent les « bons » emplois, ceux où on progresse (perspectives de carrière, augmentations de salaire) et où on reçoit de la formation.

Il y a peu de mobilité sociale en France donc il faut tout faire pour favoriser les entreprises innovantes qui créent des « bons » emplois. Il faut inciter à l’innovation (subventionner l’apprentissage, s’ouvrir aux entreprises innovantes, etc.)

L’innovation est une source du Top1%, certes, mais elle est à préserver car elle n’augmente pas l’inégalité globale.

Les limites de l’outil fiscal

Voyons les effets des augmentations d’impôt, on regarde la mobilité des revenus sur les mêmes personnes (et non plus entre parents et enfants) en les classant par percentile, entre l’année de départ et l’année de fin de période. Plus les revenus d’aujourd’hui sont proches de ceux d’hier, plus l’échelle des revenus est rigide comme c’est le cas en France : faible mobilité des revenus. On remarque la même chose même pendant la période 2011/2013 où il y eut de fortes augmentations d’impôts. L’outil fiscal a été sans effet sur la mobilité sociale car la France était déjà à un niveau élevé de fiscalité. Il faut donc chercher d’autres sources de mobilité : éducation, formation, « bons » emplois, qui sont complémentaires du levier fiscal.

L’effet de l’outil fiscal sur l’innovation > on constate que plus le taux de rétention fiscale (1 – taux d’imposition) est élevé pour les innovateurs de qualité plus ils restent dans leurs pays d’origine. Il a été aussi analysé les conséquences de la chute de l’URSS sur la fuite de ses innovateurs russes : le choix d’émigration portait sur les pays les moins taxés. On a vu également que la baisse des impôts décidée en 1986 par Reagan aux Etats-Unis a entraîné une forte augmentation de l’arrivée de chercheurs étrangers « de qualité ». Par ailleurs la baisse de l’imposition des sociétés comme des individus génèrent une augmentation des dépôts de brevets.

Les mesures fiscales ont un effet sur l’innovation et la croissance, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas taxer car l’Etat est un investisseur et un assureur et doit donc être financé. On a besoin d’impôts mais à partir d’un certain seuil trop d’impôt tue l’impôt !

L’exemple de la Suède > en 1991 ce pays procède à une réforme fiscale majeur avec l’instauration d’une taxation duale du capital et du travail avec la réduction du taux d’imposition marginal de 88 à 55% une taxation fixe des revenus du capital à 30%. Dans le même temps il y eut une réforme de l’Etat et une dévaluation de la monnaie. On assiste alors à une augmentation significative des dépôts de brevets (c’est une corrélation pas une causalité). Le Top1% a un peu augmenté de même que le GINI mais la Suède restant tout de même un des pays les plus égalitaires en Europe.

Lobbying

On a dit que le Top1% n’est pas si important du moment qu’il y a de la mobilité sociale. Il faut néanmoins préciser que ce Top1% a son importance dans la mesure où ses membres peuvent faire des actions de lobbying pour y rester ou pour empêcher d’autres d’y entrer ou pour retarder des réformes qui favoriseraient la concurrence par exemple. Le lobbying peut avoir un côté vertueux qui est d’informer mais il peut aussi se révéler dangereux lorsqu’il tente de réduire la concurrence. Le paradoxe schumpetérien est qu’il faut des rentes pour inciter l’innovation mais qu’ensuite leurs bénéficiaires peuvent les utiliser pour faire pression afin d’empêcher l’arrivée de nouveaux innovateurs. C’est toute la difficulté de la régulation du capitalisme.

L’exemple des GAFAM aux Etats-Unis est très parlant, ces innovateurs de l’économie numérique ont maintenant investi tous les secteurs profitant du fait que la réglementation américaine n’est pas formatée pour les technologies de l’information, notamment il n’y a aucune limite aux fusions-acquisitions et certains GAFAM sont devenus hégémoniques, décourageant les innovations des autres d’où la stagnation séculaire constatée.

Le lobbying comprend les communications orales ou écrites avec un titulaire de charge publique en vue d’influencer la prise de décisions. Dans la plupart des pays le lobbying est maintenant réglementé. Les dépenses de lobbying se chiffrent en milliards d’USD/EUR.

Généralement il y a plus de lobbying dans les secteurs peu concurrentiels et à fortes marges (typiquement des entreprises moins productives qui veulent garder leurs marges). En Italie plus la part de marché d’une entreprise est élevée plus elle « investit » dans les politiciens.

Il existe aux Etats-Unis une corrélation entre le lobbying et l’accroissement de la part du Top1%, de même qu’avec l’augmentation de l’inégalité globale (GINI). Le lobbying réduit la mobilité sociale en bloquant les entrants. Souvent les innovateurs d’hier constituent les lobbyistes d’aujourd’hui, qui vont investir dans le lobbying plus que dans l’innovation.

Le lobbying a un double coût : les entreprises lobbyistes innovent moins et empêchent les innovateurs d’émerger.

AGHION Philippe au Collège de France, leçon donnée le 13/10/2020 : « Destruction créatrice et richesse des nations / Faut-il taxer les robots ? » 2/6

Chaire : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance

Cours : Destruction créatrice et richesse des nations

Leçon : www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/course-2020-10-13-14h00.htm

Information sur le Prix Nobel 2020 décerné la veille

Le prix a été attribué le 12/10/2020 à Paul Milgrom et Robert Wilson pour leurs développement dans la théorie des enchères. Milgrom est un élève de Wilson.

Théorie du mechanism design explique la théorie des jeux, c’est-à-dire que chacun travaille sur une stratégie qui donne un résultat, et cela s’appelle un jeu. Au bout d’un moment les stratégies s’ajustent et arrivent à un équilibre des résultats. Le mechaism design instaure que l’on peut choisir le jeu pour arriver à un résultat donné. Milgrom et Wilson ont analysé le mécanisme particulier de l’enchère. Wilson comprend « la malédiction du gagnant » car il paye peut-être plus que le prix d’équilibre puisqu’il est le dernier à enchérir. Cette malédiction peut être annulée ou amoindrie si la valeur proposée est influencée par la valeur que propose les autres. Il a regardé les enchères sur les fréquences de télécommunication ou de slot d’aéroports et conclu qu’il faut moduler les enchères en fonction des biens concernés (par exemple pour maximiser le produit de l’Etat dans la vente des fréquences). La théorie influence la pratique dans cet exemple. Autres exemples : enchère sur contrats de dette, sur vente d’un bien commun à des acteurs privés.

Vagues technologiques

Le PIB décolle à partir de la 1ère révolution industrielle (la machine à vapeur) vers les années 1820 en commençant par la Grande-Bretagne, puis la France, puis les Etats-Unis puis les autres pays. Nous allons regarder pourquoi les vagues ne se diffusent pas en même temps partout.

Le taux de croissance annuel de la 2ème révolution (l’électricité) arrive avant la IIème guerre mondiale aux Etats-Unis mais seulement 20 ans plus tard en Europe et au Japon (effets du plan Marshall notamment).

Une nouvelle vague, celle des Technologies de l’information et de la communication (TIC) émerge dans années 1990 aux Etats-Unis mais seulement plus tard en Europe, et encore, pas dans tous les pays.

Analysons les causes des retards dans la diffusion des vagues technologiques.

Aux Etats-Unis le microprocesseur a été inventé dans les années 1980 mais la croissance générée par cette innovation n’est apparue qu’au milieu des années 1990.

3 conditions à la diffusion

  1. La technologie générique (general purpose technology) a vocation à être utilisée dans tous les secteurs de l’économie mais doit donner lieu à une succession d’innovations secondaires pour être applicable dans un secteur donné.
  2. Learning by doing : pour mieux maîtriser l’innovation et la rendre perfectible.
  3. Hégémonie de l’innovation qui a vocation à aller partout.

Innovations secondaires

Il y a des vagues d’innovations secondaires qui se traduisent par des poussées des brevets déposés concernant les innovations secondaires pour mettre en œuvre ces nouvelles technologies (électricité, TIC, etc.). Les innovations secondaires prennent du temps à être mises au point et n’avancent pas à la même vitesse partout ni dans tous les secteurs.

Délai de diffusion

Il y a aussi les délais de diffusion dans l’entreprise, une innovation doit s’insérer dans des organisations humaines qui évoluent plus ou moins facilement/rapidement. Lorsque l’électricité est arrivée dans les usines il a fallu changer les processus de production pour optimiser les effets de cette innovation vs. la roue à aube. Il faut dépasser les rigidités internes à l’entreprise. Idem avec l’informatique.

Perfectibilité

Il faut du temps pour apprendre à bien utiliser l’innovation : learning by doing. L’amélioration générée par l’innovatio n’apparaît pas immédiatement.

Adoption par les ménages

Là-aussi cela peut prendre du temps, souvent les ménages vont attendre que les prix baissent et que le voisin adopte l’innovation (effets de réseaux).

Inadéquation des institutions

Les pays européens et le japon montrent des difficultés pour mettre en place les politiques favorables au développement des innovation (enseignement, recherche…). Il y a un besoin de réformes structurelles pour attraper le train de l’innovation.

L’intelligence artificielle

A chaque révolution on craint le chômage de masse mais cela n’a pas été observé pour la machine à vapeur ou l’électricité. Ce sera de même avec l’intelligence artificielle (IA), il ne faut donc pas taxer les robots.

2 idées reçues :

  1. Cela va stimuler la croissance
  2. Cela va détruire des emplois

Cela va stimuler la croissance

On remplace le facteur limité du travail par celui du capital créé par nous, donc illimité. On recule les limites et on peut avoir en théorie une croissance infinie. L’IA permet d’automatiser des tâches que l’on pensait ne jamais pouvoir l’être (la conduite, le diagnostic médical…). Cela va encore plus loin que l’automatisation amenée par la machine à vapeur ou le micro-processeur. L’IA s’applique aussi à la création des idées elles-mêmes (learning by doing) et non seulement à la production des biens et services.

Normalement l’IA devrait vous propulser dans la croissance infinie mais cela ne se passe pas ainsi. Depuis les années 2000, notamment aux Etats-Unis, la croissance décline. Quelques explications avancées :

  1. Il est de plus en plus difficile de trouver de nouvelles idées, il faudrait de plus en plus de chercheurs pour maintenir la croissance. La productivité de la recherche baisse.
  2. La mesure est imparfaite. Plus il y aurait de destruction créatrice et moins on saurait mesurer l’apport de l’innovation à la croissance. L’extrapolation est parfois imparfaite. Chaque fois qu’un bien en remplace un autre il est difficile de mesurer statistiquement l’effet de cette substitution. On surestime alors l’inflation et on sous-estime la croissance.
  3. Réallocation
  4. Les firmes superstars : une explication avancée réside dans la concentration des grosses entreprises qui tueraient la concurrence ? En réalité, imaginons une entreprise superstar X (avec réseaux, capital social…) et une entreprise Y. La révolution des TIC arrive et nous fait gagner du temps (visioconférences, business en ligne…). Mais X est plus efficace qu’Y et va devenir hégémonique. Dans un premier temps, comme les superstars sont plus efficaces, leur croissance entraîne une amélioration générale de la productivité, mais à long terme, une fois que les superstars (les GAFAM par exemple) ont envahi tous les secteurs, elles découragent les autres de faire de l’innovation et c’est ainsi que la croissance baisse.

X inhibe les autres et les décourage, particulièrement aux Etats-Unis où la législation sur la concurrence ne s’est pas adaptée aux TIC et n’a pas pu freiner l’hégémonie de quelques-uns. La croissance est la rencontre entre les technologies et les institutions, si ces dernières ne sont pas là, la croissance ne se produit pas.

Analyse macro sur une zone d’emploi semble montrer que plus les entreprises robotisent plus elles détruisent des emplois. Mais cette théorie ne fonctionne pas au niveau micro. Quand on regarde l’effet de l’automatisation sur l’emploi au niveau des usines on s’aperçoit que les usines qui automatisent plus créent des emplois et baissent les prix. Comment cela s’explique-t-il ?

La robotisation est très significative dans l’industrie automobile qui délocalise beaucoup par ailleurs. On mesure la robotisation par la consommation énergétique des usines. Toute automatisation est favorable à l’emploi, et encore plus les grosses, et encore plus pour les emplois qualifiés !!!

Quand on automatise, les prix baissent car on devient plus productif. Par ailleurs, on analyse l’efficacité des robots en mesurant les volume d’exportation de robots par pays. Si par exemple la qualité des machines allemandes s’améliore beaucoup et qu’une usine X dépend de l’Allemagne pour ses équipements, elle va automatiser beaucoup plus. Il y a une relation causale.

En fait, l’automatisation fait augmenter les ventes, du fait de la baisse des prix, donc je recrute et l’emploi augmente. Ce sont surtout les exportateurs qui bénéficient de l’automatisation. Dans le même temps les entreprises qui n’automatisent pas détruisent des emplois et risquent d’être sorties du marché. Globalement il se peut que les entreprises qui automatisent remplacent celles qui disparaissent du fait de leur non-automatisation. Ce peut être là l’effet négatif car des entreprises non automatisantes disparaissent. Il faut donc financer la recherche et adapter les règles du marché du travail pour que toutes les entreprises automatisent. Ce ne sont pas les entreprises qui automatisent qui créent le chômage mais celles qui n’automatisent pas. Par ailleurs, les secteurs qui ont automatisé le plus tendent à délocaliser le moins. Ce n’est pas le protectionnisme qui protège un pays mais sa capacité à investir et à innover.

C’est la raison pour laquelle les révolutions industrielles n’ont jamais produit de chômage de masse. Donc taxer les robots c’est une bêtise.

AGHION Philippe au Collège de France, leçon donnée le 06/10/2020 : « Destruction créatrice et richesse des nations » 1/6

Covid et économie.

Chaire : Destruction créatrice et richesse des nations
Cours : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance

Le livre « Le Pouvoir de la Destruction Créatrice » (Philippe Aghion, Céline Antonin, Simon Bunel – 2020) va servir d’architecture à ce cours.

Il y a d’abord eu des modèles épidémiologiques d’Imperial College prévoyant des centaines de milliers de morts mais qui ne prenaient pas en compte les réactions de la société face à la menace (masques, gestes barrière, etc.) qui permirent de réduire les dégâts. Les épidémiologistes se sont alors mis à parler aux économistes qui savent prendre en compte les interactions, les effets des politiques, etc.

Le covid représente un choc d’offre et demande.

Le nombre de décès/jour augmente significativement à partir de début mars en Europe jusqu’à 4 000/j et suit aux Etats-Unis avec un mois de retard jusqu’à 2 600/j, puis la courbe redescend. Le pic n’a jamais atteint les premières prévisions épidémiologiques du fait des mesures qui ont été prises pour endiguer la contagion. Ce qui crée le choc économique ce ne sont pas les décès directement mais les mesures de confinement prises pour lutter contre les décès et la contamination.

On a mesuré la mobilité à partir de données Google de smartphones (Google mobility index) qui se sont effondrées de 70% en France et Italie, un peu moins en Allemagne et aux Etats-Unis. Si les gens se sont moins déplacés ils ont quand même utilisé le télétravail ou les transactions en ligne. On voit néanmoins dans les données de PIB trimestrielles une baisse aux T1 et T2 2020 de 10 à 20%, deux fois pire que la crise financière de 2008. Cela veut dire : vive le télétravail et vive le téléachat. Le PIB a moins baissé que la mobilité.

Comment minimiser le coût économique à court terme et remettre l’économie sur pieds ?

Le PIB a baissé à cause du choc d’offre : le confinement a obligé la fermeture de restaurants, hôtels, lignes aériennes… donc la production a automatiquement baissé (choc d’offre sur les secteurs directement affectés), le chômage a augmenté, l’incertitude également (on a peur de consommer) qui a un effet de demande qui va aussi baisser en affectant toute l’économie, y compris les secteurs non directement exposés.

Les mesures d’aide en France ont permis de limiter la baisse de consommation qui a été moins importante que la baisse du PIB, ces mesures ont été efficaces. Ce fut un mélange de politique fiscale et de politique monétaire.

Selon le modèle keynésien, à court terme c’est la demande qui détermine l’emploi et la production alors qu’à long terme il y a un ajustement de l’offre et la demande par les prix, c’est l’offre de production qui déterminerait la demande.

L’équilibre sur le marché des biens et services : Y [le PIB] = C(Y) [consommation, fonction croissante du PIB, « plus on produit, plus on épargne »] + I(r) [investissement, fonction décroissante du taux d’intérêt] + G [dépense publique]. Finalement, plus le taux d’intérêt est faible plus la production est élevée et vice versa.

C’est la Banque Centrale qui détermine le taux d’intérêt, et donc le niveau de production, à travers sa politique de vente/achat d’actifs financiers. Le Quantity Easing actuel fait que les banques centrales achètent tout et n’importe quoi, y compris de la dette privée… et font ainsi baisser les taux mais aux risques d’inflation et de bulles financières. La banque centrale détermine le taux ce qui fixe le niveau de production et donc l’emploi. C’est la politique monétaire.

Il y a ensuite la politique budgétaire : j’augmente G par exemple, je fais de la dépense publique. Si Y est constant c’est donc l’épargne qui va baisser, l’offre de capitaux (I) pour les entreprises va baisser et donc le r devrait augmenter mais il est fixé, donc c’est le Y (la production) qui augmente. En augmentant G, cela fait du revenu supplémentaire qui est dépensé donc la demande augmente et le niveau de production Y aussi ! Ce modèle à court terme ne différencie pas dans le G les dépenses de fonctionnement et d’investissement de l’Etat.

On a deux manières d’augmenter (ou baisser) le Y : politique budgétaire ou politique monétaire, ou les deux en même temps.

Les effets du confinement

Dans le secteur directement affecté par la covid on a forcé la décroissance du niveau de production Y en « fermant » l’économie. La production était à son niveau d’équilibre et on l’oblige à en sortir. Comme je réduis l’emploi dans le secteur affecté cela revient à réduire la demande dans le secteur non directement affecté, et donc sa production.

La réponse macroéconomique

Dans le secteur affecté il ne sert à rien d’augmenter G puisqu’il est interdit de produire davantage du fait du confinement. En revanche la politique budgétaire va essayer d’atténuer le choc de demande du secteur non affecté.

La politique monétaire d’achats d’actifs financiers fait encore baisser le taux d’intérêt et permet aussi de compenser en partie la baisse de la production.

L’action conjuguée des gouvernements et des banques centrales a été positive.

De la théorie à la réalité

Politique budgétaire : subventions aux employés et aux entreprises, délais paiement impôts, prêts bancaires garantis par les Etats. Politique monétaire : quantity easing de la FED et la BCE.

Cette combinaison explique que la consommation a beaucoup moins baissé que l’activité (PIB). Mais ce modèle général cache les inégalités et le problème du soutien aveugle qui empêchera les restructurations (certaines activités vont disparaître : destruction créatrice). Comment protéger et permettre la réallocation vers de nouvelles activités ?

Comment repenser notre modèle économique et social à plus long terme ?

Le covid est un révélateur de déficiences plus profondes et préexistantes.

Chaînes de valeur

Contraste France-Allemagne sur le nombre de décès de beaucoup inférieur à l’est du Rhin : pourquoi y avait-il plus de respirateurs, de masques, de tests en Allemagne ? Cela révèle des problèmes industriels qui ont empêché la France de faire rapidement du testing à grande échelle. De ce fait le confinement en France a été beaucoup plus dur et impactant sur la baisse du PIB français.

On a regardé dans les statistiques de la commission européenne les données concernant les produits « anti-covid » : composants pharmaceutiques, instruments (respirateurs…), équipements de protection (masques, gants…). Au début des année 2000 la France et l’Allemagne étaient comparables en matière d’importations et d’exportations de ces biens. Aujourd’hui, la France a légèrement augmenté son niveau d’import/export de ces produits quand l’Allemagne l’a explosé. Cela veut dire que l’Allemagne n’a pas fait de protectionnisme (ses importations ont aussi beaucoup augmenté) mais elle a fait de l’innovation. En 2019 les allemands présentaient un surplus des exports sur les imports de 20 milliards d’euros sur les produits « anti-covid » quand la France était en très léger excédent. Les importations françaises viennent d’ailleurs surtout d’Allemagne, des Pays-Bas et de Belgique, un peu moins de Chine et des Etats-Unis.

Dans le secteur pharmaceutique France-Allemagne, la production domestique de la France stagne et celle de l’Allemagne progresse, alors que les avoirs français à l’étranger grimpent quand ceux de l’Allemagne sont stables. Cela signifie que la France a beaucoup plus délocalisé que l’Allemagne.

A la demande du gouvernement français nous avons élargi cette étude à l’ensemble des industries « critiques » et avons analysé les dépôts de brevets (enregistrés à la fois aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, donc des brevet significatifs). Dans le domaine pharmaceutique et médical la France était bonne au milieu des années 1990’ et s’est détériorée par rapport aux meilleurs depuis pour aboutir aujourd’hui loin de la « frontière technologique ». Dans l’énergie nucléaire la France était et reste dans le peloton de tête. Pour les véhicules du futur la France est proche de la frontière technologique mais en dégradation depuis la décennie 2000. Dans l’aérospatiale, très bon classement de la France et stabilité de celui-ci. Electroniques, résultats mitigés. Isolation thermique la France se maintient proche de la frontière technologique. Idem pour les machines agricoles et conception informatique de composants industriels.

Maintenant que la France a de nouveau un commissaire au plan, elle va pouvoir se relancer dans la définition d’une nouvelle politique industrielle active pour endiguer la désindustrialisation dans les filières stratégiques, par création de nouvelles entreprises, nouvelles activités, non pas en fermant des usines en Chine…

On montre aussi, et nous y reviendrons, que plus on automatise et plus baisse les coûts de production et améliore la productivité. L’augmentation conséquente des marchés (effet taille) compense les pertes d’emploi (effet de substitution) dues à cette robotisation. L’utilisation renforcée de l’intelligence artificielle et des technologies de l’information est un moyen beaucoup plus efficace pour la croissance que de jouer sur les droits de douanes supposés protéger un marché. Plus on automatise et mieux on maîtrise les chaînes de valeur, et en même temps on crée de l’emploi.

Le modèle social

Le début de la réflexion sur quel type de capitalisme :

  • Le modèle américain présente peu de chômage mais un risque de pauvreté accru lors des crises et une couverture santé limitée (US cut throat capitalism)
  • Le modèle allemand : chômage et risque de pauvreté faible, couverture santé pleine
  • Le modèle européen : chômage élevé, risque de pauvreté faible, couverture santé pleine

La crise du covid illustre parfaitement ces modèles. On a regardé les conséquences sur le chômage, le taux de pauvreté et la couverture santé en appliquant aux prévisions de chômage du FMI les taux de pauvreté de de couverture santé constaté dans le passé. On constate en 2020 une explosion du chômage et des pertes de couverture santé quand en Allemagne le chômage augmente légèrement et tout le monde conserve sa couverture santé. Les comparaisons sont à peu près similaires entre les Etats-Unis et les autres pays européens. On a des résultats similaires quand on mesure le risque de pauvreté avec l’évolution du chômage, Etats-Unis versus pays européens.

La covid montre l’importance d’avoir des filets de sécurité en cas de crise et permet de se positionner sur savoir si nous voulons un modèle américain ou pas. Les opposants à l’Obamacare vont peut-être revoir leur position une fois que sera fait le bilan social du covid aux Etats-Unis !

Innovation

Quand on regarde les statistiques de dépôt de brevet par habitant on constate que les Etats-Unis sont les meilleurs mais qu’un pays comme la Suède est juste derrière, or la Suède a un modèle social mais a mené des réformes structurelles importantes dans les années 1990’ expliquant cette bonne performance. Les Etats-Unis ont un écosystème de l’innovation très performant que nous sommes très très loin d’atteindre en Europe, ce qui explique leur 1er rang en matière de brevets. Ils sont défaillants en matière de modèle social mais ils sont très bons pour la culture de l’innovation. Le défi est de garder la protection et d’améliorer l’innovation comme l’ont fait les pays scandinaves dans les années 1990’.

Société civile et confiance

Il faut le marché (sans marché, pas d’innovation, l’URSS n’a pas su transformer sa recherche fondamentale en innovation sauf dans les domaines militaire et spatial où elle était en concurrence avec les Etats-Unis), il faut l’Etat pour assurer les risques macroéconomiques (exemple du covid actuel), investir et protéger les citoyens comme les firmes, redistribuer. Il faut aussi la société civile (réciprocité, normes sociales, altruisme…) qui s’assure que la séparation des pouvoirs soit effective, que l’exécutif ne truste pas tout le pouvoir ni réalise de collusion entre l’Etat et le marché. Dans le cas du covid il a fallu un Etat pour confiner, pour l’imposer au besoin par coercition. Mais dans certains pays la société civile a complété l’action de l’Etat expliquant les meilleurs résultats de certains pays (Allemagne, Suède par exemple).

Des analyses statistiques montrent également la corrélation entre le niveau de défiance de la société civile à l’encontre de l’Etat, les compagnies… et le niveau des réglementations existantes. En France par exemple, on constate une grande défiance mais toujours plus de normes : on déteste l’Etat mais on demande toujours plus de règles. La covid nous fait constater qu’en France on s’est trop reposé sur l’Etat sans suffisamment prendre en compte la société civile. C’est un défi pour la France de modifier cette répartition des pouvoirs et des responsabilités.

Conclusions

La covid est un révélateur :

  • Sur les chaînes de valeur, les pays qui exportaient très peu de produits anti-covid ont d’avantage souffert sur les plans sanitaire et économique. Faut-il simplement stocker des masques, par exemple, où intégrer ces produits dans une politique industrielle ? Faut-il des réformes horizontales ou verticales pour pousser l’innovation ? Du protectionnisme ou de l’investissement ? etc.
  • Le modèle social, peut-on rendre le capitalisme plus « douillet » sans qu’il ne soit moins innovant ?
  • Comment la France peut-elle donner un rôle plus important à la société civile (dialogue social, décentralisation, système électif proportionnel…) ?

AGHION Philippe au Collège de France, leçon inaugurale donnée le 01/10/2015 : « Les énigmes de la croissance »

Les énigmes de la croissance de la chaire Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance

Une théorie schumpétérienne

Philippe Aghion développe une théorie schumpétérienne de la croissance économique basée sur la modélisation et l’empirisme. Les théories de la croissance existantes se sont révélées insatisfaisantes aux niveaux théorique comme empirique. La théorie néoclassique dominante était basée sur l’accumulation du capital : la production se fait avec du capital et c’est la croissance la croissance du stock de capital qui fait croître le PIB. C’est l’épargne venant de la production qui fait que le capital s’accumule, le reste de l’épargne non accumulée en capital partant en consommation. Ce modèle est censé produire une croissance durable même sans innovation (cas URSS par exemple).

Mais au bout d’un moment les rendements de l’accumulation de capital décroissent, la production permet d’accumuler de moins en moins. C’est le progrès technique qui va permettre de relancer la machine. Cependant cela ne permet pas d’expliquer pourquoi certains pays croissent plus vite que d’autres, ni pourquoi certains ne croissent plus.

En 1987 Aghion élabore un modèle de croissance avec Peter Howitt, également « schumpétérien » basé sur les principes suivants :

  • La croissance de long terme résulte de l’innovation
  • L’innovation résulte d’investissement (R&D, incitations économiques, …)        
  • Destruction créatrice : le nouveau remplace l’ancien

Ce modèle a été confronté à l’évidence empirique. La concurrence nuirait à l’innovation disent les innovateurs pour garder leurs rentes alors que l’on constate le contraire dans les chiffres. On a dialogué avec les empiristes et on s’est aperçu que les firmes innovantes ne partaient pas toutes de 0, mais qu’elles étaient souvent déjà innovantes. Donc je fais déjà des profits, la concurrence arrive, ampute mes profits et me pousse donc à innover pour faire d’autres profits qui vont plus que compenser ceux que je perds par ailleurs. J’innove pour échapper à la concurrence (escape competition) car je suis une firme « à la frontière technologique », celles qui en sont loin cessent d’innover quand la concurrence réduit leurs profits. On a concilié les empiristes avec la théorie !

Les énigmes de la croissance

Le « paradoxe argentin » 

  • De 1870 à 1930, l’Argentine présente un PIB/habitant stable à 40% du PIB/h états-uniens, ce qui signifie qu’elle croît au même rythme que les Etats-Unis.
  • A partir fin années 30, il y a une rupture de tendance et un décrochage par rapport au PIB/h américain. C’est à cette époque que l’Argentine a mis en place une politique de substitution aux importations qui a entraîné une baisse concurrence des pays étrangers. L’Argentine n’a pas su passer d’une économie du rattrapage à une économie de l’innovation comme celle des Etats-Unis. C’est grosso-modo le même diagnostique pour le Japon et France.            

Innovation, inégalités, et mobilité sociale

On constate une augmentation rapide des inégalités sociales depuis les années 80. Les inégalités mesurées par la part du Top 1% de la population d’un pays dans le revenu national augmentent parallèlement au nombre de brevets par habitants. L’innovation fait augmenter les marges et donc les revenus du Top 1% qui ne croit pas uniquement du fait de la spéculation et de la rente foncière, mais aussi par l’innovation. Celle-ci qui génère de la croissance mais les rentes de l’innovation sont temporaires du fait concurrence.

La destruction créatrice : le nouveau remplace l’ancien, favorise la mobilité sociale comme on le voit en examinant les indicateurs de cette mobilité entre la Californie, Etat innovant, et l’Alabama, qui ne l’est pas. La croissance par l’innovation fait fonctionner l’ascenseur social.

L’indicateur « gini » mesure l’inégalité pour la population au sens large, et non plus simplement le Top 1% versus 99%. Il est démontré que le « gini » reste stable avec l’innovation. Donc, certes on augmente le Top 1% mais l’inégalité générale est stable. C’est l’exemple de la Suède qui a mené des réformes structurelles, dont fiscales, majeures dans les années 1980-90 lui permettant d’assurer sa croissance.

Nous ne nous opposons pas à l’innovation au seul prétexte qu’elle augmente le Top 1% car elle génère de la croissance, de mobilité sociale tout en assurant la stabilité du « gini ». Il faut donc une fiscalité qui différencie les inégalités dues à l’innovation des autres : Steve Jobs (grande fortune générée par sa capacité d’innovateur) vs. Carlos Slim (grande fortune générée par sa rente monopolistique des télécom au Mexique).

Le débat sur la « stagnation séculaire »

Après les crises américaines de 1929 puis de 2008 nombres d’économistes ont prédit une « stagnation séculaire » post-crise. Les économistes schumpétériens pensent le contraire car l’innovation dans les technologies de l’information a amélioré la façon de produire des idées (interactions plus élevées dans la recherche) et la mondialisation a augmenté les effets potentiels de l’innovation (on gagnera plus d’argent avec le marché Monde).

Mais alors pourquoi la croissance de l’innovation ne s’accompagne plus d’une croissance de la productivité ? En fait c’est plutôt un problème de mesure des effets de l’innovation. Dans les Etats où il y a beaucoup de création destructrice comme les Etats-Unis, on aurait un impact négatif du nombre de brevets sur la productivité ! C’est en réalité un problème de mesure sur lequel nous menons actuellement des recherches. On ne sait pas mesurer les effets de l’innovation. Nous sommes confiants sur la possibilité de contrer le concept de « stagnation séculaire ».

L’Europe croît moins vite que les Etats-Unis car n’a pas fait les réformes structurelles nécessaires. La Suède les a faites dans les années 90’ et sa productivité s’est nettement améliorée, le Japon c’est l’inverse.

Penser les politiques de croissance

Philippe Aghion s’intéresse en tant que chercheur à ces politiques économiques quand certains de ses prédécesseurs s’en éloignent.

  • Les politiques peuvent être utilisées par le chercheur comme instrument pour identifier un effet causal qu’il cherche à mettre en évidence.
  • Influence du chercheur sur la politique éco. On peut casser les fausses idées ou structurer la pensée économique. Une politique industrielle colbertiste des « champions nationaux » biaise la concurrence et entrave la destruction créatrice et l’entrée de nouvelles firmes innovantes. Il vaut mieux soutenir horizontalement l’éducation, les PME innovantes… que de subventionner des secteurs industriels. En fait il faut être au centre, entre les deux pour la politique industrielle : on peut aider un secteur industriel mais d’une façon à favoriser la concurrence et non maintenir les rentes en place.
  • Débat en cas de crise entre relance keynésienne et réduction impôts/puissance publique. Synthèse : il faut des réformes structurelles plus politique économique proactive qui aura plus d’effets dans un environnement modernisé.

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La fantastique amélioration de l’accès aux données (ex. les nouvelles informations concernant la fiscalité individuelle) permet une recherche encore plus ciblée mais il ne faut pas laisser tomber la macroéconomie pour compléter les études empiriques comme celles d’Esther Duflot. Il faut maintenir le lien entre la macro et la micro.

Conclusion : ne craignions pas la nouveauté, l’innovation, etc. Cet enseignement au Collège de France et nos recherches en cours vont y contribuer.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 6/6.

Sixième et dernier épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

La rupture entre le nationalisme arabe et l’islam représenté par les Frères Musulmans est maintenant consommée. Le plan de paix Alpha apparu en 1955/56 est toujours poussé par les anglo-saxons mais reçu avec mesure par la partie arabe qui y voit surtout un cheval de Troie américain qu’elle refuse malgré le projet de construction du barrage d’Assouan qui est « vendu » avec.

Israël et les Etats arabes ne peuvent pas coexister dans un système de défense occidental auquel aboutirait l’exécution du plan Alpha, d’où l’option de l’URSS que commencent donc à considérer la partie arabe. En 1954 l’Egypte achète 40% de son pétrole aux Etats-Unis et à la Roumanie à qui elle vend son coton ; Nasser préfère par ailleurs acheter des armes à l’Occident plutôt qu’aux soviétiques. L’Egypte retient aussi la leçon du gouvernement guatémaltèque renversé à l’initiative des Etats-Unis car préférant acheter des armes à Moscou… En 1955, les Etats-Unis expliquent à l’Egypte qu’elle n’a pas vraiment besoin d’armes puisque l’accord tripartite garantit sa sécurité, d’autant plus que Le Caire n’a pas de devises pour payer de telles importations… Paris refuse également de fournir des armes à l’Egypte compte-tenu de son soutien aux indépendantistes algériens.

En juillet 55, Khrouchtchev a remplacé Staline, il envoie Chepilov, directeur de la Pravda et futur ministre des affaires étrangères, en Egypte. Il trouve Nasser politiquement confus ! L’URSS vend à l’Egypte ses produits manufacturés, robustes mais de mauvaise qualité, contre des matières premières. Moscou aide à l’industrialisation de l’Egypte croyant favoriser l’apparition d’une classe ouvrière, c’est une « « classe musulmane qui va émerger… L’URSS ne représente que 2% du commerce mondiale, c’est la « puissance pauvre » vers laquelle Nasser se rapproche pour acquérir des armes.

Au Soudan c’est la guerre civile, des mouvements indépendantistes y sont actifs. La question est de décider s’il faut fusionner l’Egypte et le Soudan. Le 1er janvier 1956 l’indépendance du Soudan est déclarée contre la volonté l’Egypte et la Grande-Bretagne.
Le 26 août 1955, Foster Dulles, secrétaire d’Etat américain du président Eisenhower évoque en Israël l’éventualité du rapatriement des réfugiés palestiniens contre le financement du développement économique. Israël de son côté refuse de reconnaître la propriété de l’Egypte sur Gaza. Le 12 septembre 1955 un accord de troc est conclu avec l’Egypte à Prague pour la livraison d’armes, d’avions et de chars soviétiques. En 1955 Eisenhower fait une première crise cardiaque (la seconde viendra en 1957), les frères Dulles (secrétaire d’Etat et directeur de la CIA) prennent la main sur la politique étrangère américaine.

Le Liban développe son économie de services et la place financière de Beyrouth, se tourne vers les économies du Golf. L’Egypte et l’Arabie-Saoudite fomentent de l’agitation dans le pays présidé par le chrétien pro-occidental Camille Chamoun. En Jordanie se développent des mouvements arabistes progressistes. Il y a une crainte forte d’une guerre israélienne de conquête de la Cisjordanie. La Syrie se demande si elle doit rejoindre le pacte de Bagdad, l’alliance entre les anglo-saxons, l’Iraq, la Turquie et quelques autres. Moscou protège l’indépendance de la Syrie et livre de l’armement pour se substituer à la France, laquelle soutient aussi l’indépendance syrienne considérant que menace communiste avancée par les Etats-Unis n’est qu’un prétexte pour favoriser fusion entre la Syrie et l’Irak.

Dans les années 50 subsiste en Israël un certain mépris des survivants de la Shoah qui sera inversé après procès Eichmann ; Ben Gourion dit alors : « on ne se laissera pas mener à l’abattoir » sur question des frontières entre plan de partage et lignes d’armistice.

La Jordanie adhère au pacte de Bagdad soutenue par les anglo-saxons, ce qui provoque la chute du gouvernement, par suite de la démission des députés palestiniens, et des violences populaires. En janvier 56, la Jordanie adhère aux Nations-Unis, y compris la Cisjordanie annexée qui est donc ainsi reconnue territoire jordanien par la communauté internationale.

Le projet de plan de paix Alpha continue son parcours, entre CIA et diplomatie. Une opération baptisée Caméléon ou Gamma est montée pour l’organisation d’entretiens secrets entre Ben Gourion et Nasser, sans succès. Nasser ne veut pas parler directement avec Ben Gourion, mais veut bien parlementer sur le Néguev avec Washington, Ben Gourion affiche la même position en direction inverse, malgré les pressions américaines. Israël mène des provocations en Syrie pour bloquer la fusion avec l’Egypte et pouvoir lancer une guerre préventive. Malgré son rapprochement avec Le Caire, Moscou reste modéré pour ne pas être trop engagée dans le conflit Israël-pays arabes.

Israël parle de guerre préventive pour déplacer les frontières et veut éviter des interventions étrangères. L’Egypte annonce son soutien à la Syrie en cas d’attaque israélienne. En décembre 55 Khrouchtchev s’en prend à Israël ce qui forge l’anticommunisme israélien. Les Etats-Unis ne veulent pas vendre d’armes à Tel Aviv si elle n’accepte pas le plan Alpha, en revanche ils autorisent la France à livrer des armes fabriquées sous licence américaine. En janvier 56, le nouveau gouvernement français Guy Mollet est en pleine confusion du fait de la guerre d’Algérie et lève les restrictions de ventes d’armes à Israël. En Jordanie l’officier britannique dit « Glubb Pacha » qui commandait la Légion arabe depuis 1941 est révoqué, avec ses proches, par le roi Hussein qui crée l’Armé arabe commandée par des officiers jordaniens qui savent qu’ils ne feront pas le poids face à Israël en cas de guerre.

La Grande-Bretagne et les Etats-Unis appellent à la paix. Nasser écrit une lettre secrète aux Etats-Unis acceptant le principe d’une négociation sur les frontières d’Israël, puis nie l’existence de cette proposition qui existe pourtant bel et bien revêtue de sa signature. En février 56 l’accord tripartite n’est pas réitéré car les puissances occidentales réalisent qu’elles n’interviendront pas en cas d’attaque israélienne. Ben Gourion écrit également aux Etats-Unis qui comprennent qu’Israël peut se procurer des armes ailleurs mais cherche plutôt un soutien politique, et que Nasser n’est pas du tout prêt à accepter la paix avec Israël. Ils cherchent alors à traiter avec les autres pays arabes pour isoler Le Caire. Israël met en avant le risque de destruction du pays et compare les pays arabes aux nazis.

De nombreux émissaires français parlent du sujet algérien en Egypte alors que le soutien apporté par Le Caire est surtout politique, les armes étant fournies au FLN par la Tunisie et le Maroc.
Les projets secrets Alpha et Gamma n’ont été vraiment connus qu’à ouverture des archives des années plus tard. Celles-ci révélèrent également que Nasser a toujours été insincère il voulait plus casser le pacte de Bagdad que lutter contre Israël. Les Etats-Unis avaient alors de la sympathie pour les pays arabes et foi en une alliance avec Israël, mais ils n’ont obtenu que des problèmes en retour.

Alors qu’il conclut ce cycle de six leçons, le conférencier note qu’à ce rythme il faudra encore dix-neuf années pour arriver à l’époque contemporaine de cette région. Le mieux est encore de lire ses livres… A l’année prochaine !

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 5/6.

Cinquième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

En 1954 en Egypte les Frères musulmans présentent leur pays comme une dictature prooccidentale et la compare à la Syrie. Le traité de rétrocession de la base de Suez est signé avec la Grande-Bretagne incluant une clause de retour possible en cas de guerre mondiale ou d’attaque turque. En octobre a lieu un attentat a lieu contre Nasser du fait d’un tireur Frère musulman. C’est a priori un acte isolé et nom de résultat d’un complot. A cette occasion Nasser sort de l’ombre et se révèle un redoutable orateur. La répression déclenchée contre les Frères musulmans est sévère par suite de cet attentat. La tendance du nationalisme arabe est de casser toute relation avec un islam politique. Naguib est démis de ses fonctions et mis en résidence surveillée. Il y restera 20 ans avant d’en être libéré par Sadate.

Les Etats-Unis aident le régime, y compris via des ventes d’armes. Le procès des saboteurs juifs d’dEgypte se conclut par 2 exécutions. Le pays abrite les nationalistes des pays du Maghreb opposés à la présence française. Le Caire lance la radio « La voix des arabes » qui diffuse son nationalisme anti-impérialiste et supplante BBC et VOA (Voice America). Le FLN algérien est créé en Egypte où Nasser accueille Ben Bella (qui ne parle pas arabe).

En France, la guerre d’Indochine est financée par les Etats-Unis car jugée de nature anticommuniste. L’aide restera financière et Washington prendra la suite du combat après Dien Bien Phu. Paris poursuit son réarmement, y compris nucléaire. La France vend sa technologie nucléaire à Israël en 1954 (Simon Peres est le négociateur de Tel Aviv).

Les nationalistes arabes (et tout particulièrement en Irak) se désolidarisent avec les nationalistes du Maghreb en lutte contre la France. Après le traité passé entre l’Egypte et le Royaume-Uni, les anglosaxons initient le projet Alpha de règlement du conflit entre Israël et les pays arabes. Il prévoit la réinstallation des réfugiés palestiniens, la gestion des eaux du Jourdan, des garanties de sécurité offertes et un soutien à l’Egypte pour emporter un accord de paix avec Israël.

En février 1956 le « pacte de Bagdad » est signé entre l’Irak et la Turquie soulevant quelques réactions opposées de pays arabes compte tenu du passé de la Turquie au Moyen-Orient. Ce traité est censé organiser de façon apaisée la relation entre ces deux pays.

En 1954 des soldats israéliens sont faits prisonniers en Syrie. Israël détourne un avion Syrien pour obtenir leur libération inaugurant ainsi une longue série de détournements d’avion, la méthode devenant très prisée dans la région. Il existe un conflit interne en Israël entre Ben Gourion partisan de la solution forte et un clan plus modéré. En février 1955 une infiltration de palestiniens venant de Gaza fait des morts en Israël. Ben Gourion ordonne des représailles qui sont exécutées sous le commandement d’Ariel Sharon et la supervision de Moshe Dayan. L’attaque israélienne porte sur un camp en Egypte près de Gaza et fait beaucoup de morts arabes. Des manifestations populaires éclatent un peu partout, Nasser visite Gaza, même les angloaméricains sont mécontents de ces représailles qui provoquent la réprobation internationale.

En Egypte Nasser radicalise son discours et attaque verbalement tous les régimes de la région les traitant de laquais impérialisme, de réactionnaires, etc. Son arme est le verbe et celui-ci devient de plus en plus marxiste. Il cherche malgré tout aussi à moderniser son armée. Cette évolution politique le fait mal considérer par le Liban et la Syrie qui ont tendance à le mépriser.

Novembre 1955, la Grande Bretagne adhère au pacte de Bagdad, de même que le Pakistan. Désormais une série de pactes cernent l’URSS du Canada aux Philippines avec chaque fois un pays jonction d’un pacte à l’autre.

Cette période marque le rejet domination coloniale européenne. La chartre ONU retient la décolonisation comme « mission sacrée ». La capitulation du Japon a bloqué la reconstitution des empires coloniaux en Asie. C’est aussi le début des guerres de décolonisation : Indochine, Philippines, …

L’Orient arabe affiche son anti-impérialisme et envoie ses étudiants dans les universités américaines plutôt qu’européennes. Le « nouvel impérialisme » américain se construit sur un mode différent : il favorise l’influence par l’édification de bases militaires plutôt que les conquêtes territoriales qui étaient le but des anciens empires coloniaux….

L’URSS fait évoluer son discours vers l’antifascisme ce qui lui permet de s’allier aux… impérialistes. En Occident le débat intellectuel entre antifascisme et anti-impérialisme fait rage.

Dans les années 50 la guerre froide a gelé la situation en Europe et la violence a été exportée vers Asie. Alfred Sauvy invente le concept de « tiers monde » en plus de ceux de l’Occident et de l’URSS. C’est une référence au « tiers-état » de la révolution française : « il est tout et veut être quelque chose » !

Les nations Afro-asiatiques luttent ensemble pour l’autodétermination et contre impérialisme. L’URSS se rapproche de ces non-alignés. En 1955 se tient la réunion Bandung (Indonésie) sans les « blancs » (URSS et Israël) mais avec la Chine populaire. Moscou rappelle néanmoins sa position anti-impérialiste. Nasser y participe. Ces pays « non-alignés » discourent tous en… anglais… Le concept des droits de l’homme est mis en avant pour justifier l’autodétermination des peuples mais oublié face au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays. On parle de droits de l’homme pour le collectif mais pas pour les individus.

Les pays pro-occidentaux attaquent l’impérialisme soviétique en Asie centrale. Les pays Afro-asiatiques prônent le neutralisme et y associent URSS. Ils constituent un ensemble divisé, se retrouvant sur la nécessaire décolonisation et l’anti-impérialisme, mais supportant les dictatures locales.

A la conférence de Genève en 1955 apparaît la détente. C’est l’équilibre des forces nucléaires, on commence à parler désarmement.

Au Moyen-Orient le plan de paix Alpha continue à être (difficilement) discuté. Les va-t’en guerre israélien envisagent la conquête de Gaza pour en sortir l’Egypte. Celle-ci entraîne des commandos « fedayin » destinés à être infiltrés en Israël. Personne ne veut accepter un règlement politique. Israël veut juste des armes et des garanties de sécurité, mais n’est pas intéressée par un plan de partage de la Palestine ni, bien sûr, par un retour des réfugiés…

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 4/6.

Quatrième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

En Iran, après la nationalisation de l’économie pétrolière en 1952 par le gouvernement de Mosaddeq, premier ministre du Shah, la Grande Bretagne et les compagnies pétrolières occidentales qui contrôlent le marché mondial, « les sept sœurs » (6 américaines et 1 britannique) boycottent l’Iran. Le cartel qui contrôle même le fret compense la perte de l’approvisionnement iranien par une augmentation de la source iraquienne. L’économie iranienne s’effondre rapidement. Le Shah et son premier ministre s’opposent pour le contrôle de l’armée. Mossadeq se maintient en se présentant comme un rempart contre les communistes. En octobre 1952 il rompt les relations diplomatiques avec Londres qui mène des actions secrètes avec les Etats-Unis pour le déchoir.

En février 1953 Royaume-Uni et Etats-Unis conviennent d’une opération clandestine nommée Ajax destinée à renverser le gouvernement Mossadeq pour le remplacer par un pourvoir pro-occidental. A l’occasion d’un soulèvement populaire ils diffusent des fausses nouvelles et agissent en sous-main. Les religieux soutiennent l’opération car conforme à leur vision anticommuniste. Le Shah hésite puis révoque Mossadeq le 12 août ; celui-ci conteste le pouvoir constitutionnel du Shah à la destituer. Le 15 août, devant la confusion générale le Shah quitte le pays pour Rome. L’armée et les religieux le soutiennent, il rentre à Téhéran le 22 août après la reddition de son ex-premier ministre. La répression est menée, Mossadeq est condamné trois ans de prison puis finira ses jours en résidence surveillée en 1967. Ce coup d’état a bien été financé par des fonds des services secrets américains et britanniques mais l’opposition était locale. Une fois le pouvoir su Shah rétabli à l’ombre du parapluie occidental anglo-saxon, il n’est toutefois pas possible de revenir sur la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) alors un consortium est créé avec la National Iranian Oil Company (NIOC) qui deviendra la British Petroleum (BP).

En Egypte la République est proclamée en 1953, présidée par Mohammed Naguib qui était déjà à la tête du mouvement des officiers libres. Les Etats-Unis soutiennent ce mouvement qui s’oppose à la Grande-Bretagne présente militairement dans le pays avec la base de Suez qui irrite fortement ces officiers et la population. La menace soviétique d’une invasion du Moyen-Orient à travers Caucase suffit à convaincre le congrès de maintenir son aide aux officiers libres égyptiens. Par ailleurs, d’anciens nazis réfugiés dans la région les aident[1]. Nasser neutralise le Waft, les communistes et s’attaque aux Frères musulmans. Le 14/01/1954 il les accuse de complot avec la Grande-Bretagne et de vision réactionnaire. Le parti est interdit. Le noyautage de la police et de l’armée se met en place. Nasser n’est pas particulièrement pro-religieux, il attaque l’impérialisme qui a planifié la Naqba, cette catastrophe contre le monde arabe. Naguib s’oppose à lui puis démissionne en novembre pour être remplacé par Nasser. Le slogan en usage est « la révolution contre la réaction », celle-ci faisant référence à l’ancien système parlementaire. Naguib a cédé devant Nasser pour éviter guerre civile.

Nasser est soutenu par les occidentaux. Des négociations secrètes sont menées avec Israël sur le partage de la Palestine mais n’aboutissent pas face au refus de Tel-Aviv de tout partage du Néguev. Israël s’oppose à ce que l’Egypte récupère base militaire anglaise de Suez qui renforcerait ainsi les capacités offensives du Caire. Les Etats-Unis cherchent à favoriser un accord sur la répartition des eaux du Jourdain afin d’aider à la réinsertion des réfugiés palestiniens. En réalité nombre de ces réfugiés se sont déjà recosnvertis dans les pays du Golf.

Le réarmement militaire en cours aux Etats-Unis s’accompagne d’un réarmement religieux. En ces temps de guerre froide l’origine judéo-chrétienne de l’Occident est mise en avant. La devise américaine « In God we Trust » apparaît à cette époque. Cette référence est nouvelle, auparavant on parlait des origines grecques. La seule jonction historique entre chrétienté et judaïsme c’est… l’Islam.

En Israël il existe une forte opposition entre les activistes violents menés par Ben Gourion et les modérés. L’année 1954 voit une succession d’attentats et de raids de représailles en et par Israël. Eisenhower veut rester impartial. Activistes (Dayan, Sharon…) veulent lancer une nouvelle guerre contre les arabes et envisagent des alliances avec certaine minorités dans ces pays comme les druzes par exemple.

En Jordanie le roi Abdallah est assassiné en 1951. Son fils Tallal lui succède et met en place une politique plutôt libérale. Il est déposé un an plus tard pour problèmes médicaux (schizophrénie ?). Son fils Hussein (18 ans) lui succède. En 1950 la Cisjordanie a été annexée par Royaume hachémite de Jordanie (ex-Transjordanie jusqu’en 1949). A sa prise de pouvoir Hussein reste confronté à une opposition structurée par les communistes, une guerre des frontières en cours, des risques de conflit avec l’Irak. Il doit par ailleurs s’accommoder de la présence d’officiers britanniques dans son armée nationale.

En Syrie, l’année 1954 voit se succéder des soulèvements druze puis hachémite. L’armée dépose Chichakli[2] et c’est le retour à un régime civil. L’armée est divisée, la question Croissant fertile réapparaît : le projet d’une région rêvée allant du Liban à l’Irak. Les élections de septembre 1954 mènent à un glissement à gauche. La Syrie est instable, agitée de rumeurs diverses mais est aussi le foyer d’une vie culturelle moderne.

Cette période marque l’entrée de l’orient arabe dans la guerre froide. La Grande-Bretagne cherche à transformer une domination en partenariat mais les arabes veulent se débarrasser de présence étrangère sur meurs territoires. Churchill est premier ministre. Londres a restitué la base de Suez aux autorités égyptiennes avec une clause de retour en cas d’attaque turque ou de guerre mondiale (en 1954 la peur du feu nucléaire est répandue).

1953 c’est la fin de la guerre Corée, en 1954 la fin de la guerre d’Indochine. Il y a une certaine détente à l’ouest mais pas au Moyen-Orient. L’idée d’une frontière collective de Méditerranée jusqu’à Chine progresse, c’est le projet britannique de North frontier. Les Etats-Unis distribuent un aide militaire aux pays pro-occidentaux sur cette ligne de frontière ce qui inquiète Israël mais aussi d’autres pays arabes d’ailleurs, spécialement Irak. En juillet 1954, Londres et Le Caire paraphent l’accord de rétrocession de la base de Suez.

L’Egypte veut instaurer son hégémonie l’Orient arabe tout en se proclamant anticommuniste. Nasser parle surtout développement économique intérieur dans ses discours. Toutefois, il accuse les Frères musulmans et les communistes d’être opposés au traité avec la Grande-Bretagne de rétrocession de Suez et de combattre le régime. Israël continue à favoriser des attentats menés par des militants juifs en Egypte pour tenter de torpiller le traité avec Londres, ce qui aura impact négatif sur la situation des juifs en Egypte. Nasser charge Sadate de fonder un islam laïque.


[1] L’Egypte n’est pas le seul pays à « recycler » des nazis : à l’époque, sur 70 000 hommes de la Légion étrangère en France, la moitié sont allemands, ce qui fera dire à qu’à Diên-Biên-Phu en 1954 on parlait plus français du côté du vietminh que de l’armée française…

[2] Il part en exil au Liban puis au Brésil où il sera assassiné par un druze en 1964 sur ordre du gouvernement syrien voulant se venger des bombardements menés sur les montagnes druzes du temps de Chichakli. Toute sa famille sera également assassinée partout dans le monde.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 3/6.

Troisième épisode des aventures haletantes du Moyen-Orient de l’après IIème guerre mondiale : cela ressemble à une série policière télévisée, ce n’est que l’Histoire tragique narrée par Henry Laurens.

1951-52 : le déclin britannique au Moyen-Orient se poursuit. Les peuples arabes critiquent l’Occident, qui les considèrent comme irrationnels, plutôt que leurs dirigeants dont certains le mériteraient assez largement. Pour les Etats-Unis, la « perte » de la Chine avec l’arrivée de Mao au pouvoir en 1949 a traumatisé Washington qui ne veut pas que le Moyen-Orient suive la même voie.

En Egypte le roi Farouq, déconsidéré pour sa vie personnelle, a écarté du pouvoir le parti nationaliste majoritaire Wafd. En Syrie, Shishakli, militaire, arrivé au pouvoir à l’occasion d’une succession de coups d’Etat depuis 1949, a rétabli le parlement après l’avoir dissous mais contourne le pouvoir des partis politiques. La Syrie est le seul pays arabe sans base militaire occidentale, l’islam en est la religion majoritaire mais pas la religion d’État. Les Frères Musulmans s’y définissent comme socialistes. Des tentatives d’assassinat contre Shiskakli ont lieu en 1950, soutenues par l’Egypte et l’Arabie Saoudite. Nationalisme arabe et anti-impérialisme caractérisent le politique de ce pays pro-Palestine et antisionisme suite à la Naqba. L’armée et les partis s’opposent pour revendiquer l’incarnation du peuple. La déclaration tripartite Etats-Unis/ Royaume-Uni/ France de mai 1950 est renforcée et marque une espèce de statu-quo territorial, doublé de ventes d’armes occidentales aux pays du Moyen-Orient…

Au Liban est établit une forme de libéralisme économique ; Beyrouth apparaît comme une enclave de modernité dans la Région, fortement aidée par bourgeoisie palestinienne exilée dans ce pays alors que population palestinienne « ordinaire » vit recluse dans les camps qui existent toujours aujourd’hui. Il y a (déjà…) des tensions avec la Syrie, la famille Joumblatt (déjà…) fonde le Parti socialiste progressiste qui est et restera propalestinien.

En Palestine les litiges et affrontements avec Israël se poursuivent sur la zone démilitarisée (DMZ) issue des accords de cessez-le-feu pots-guerre de 1948.

En Europe, les pays de l’Est autorisent leurs citoyens juifs à émigrer vers Israël entre 1950 et 53. De façon plutôt inattendue, ce mouvement renforcera l’antisémitisme local sur le thème : « pourquoi eux peuvent partir et pas nous » ? El République fédérale d’Allemagne (RFA, créé en mai 1949 sur les ruines du IIIème Reich) devient la seule représentation de l’Allemagne pour négocier les réparations collectives et individuelles de la Shoah. Israël donne la nationalité israélienne à tous les morts de la Shoah.

Juillet 1952 marque la rupture en Egypte avec le coup d’Etat militaires des « officiers libres ». Le roi Farouk abdique et quitte le pays mais la monarchie demeure sous la forme d’une régence. Les « officiers libres » sont nationalistes mais sans véritable direction politique. Ils entretiennent des contacts avec les communistes et les Frères musulmans. Les Etats-Unis semblent informés de la préparation du coup d’Etat, après avoir tenté de pousser Farouk à réformer le pays, sans succès. Washington intervient alors pour freiner la volonté de réaction militaire britannique et sauver la vie de Farouk. Il n’y a pas de véritable résistance au coup. Les officiers putschistes décident de la marche à suivre de façon collective et mettent en avant le général Naguib, Nasser restant en retrait. Ils purgent les partis politiques de leurs « éléments corrompus » et lancent la réforme agraire. En décembre 1952 constitution est dissoute et la révolution est instaurée comme seul fondement du pouvoir. Début 53 Nasser sort de l’ombre et discourt contre l’impérialisme, le parlementarisme, la pauvreté du peuple… Le slogan est « la religion est à Dieu, la patrie est à tous ». La révolution cherche à reprendre la rue aux Frères M. Malgré les apparences, les « officiers libre » sont pro-occidentaux et pro-américains, au moins au départ. L’Egypte demande aide alimentaire et armes aux Etats-Unis. Côté CIA les positions pro-arabes défendues par Kermit Roosevelt s’opposent à celles pro-israéliennes de James Angleton. Le premier rencontre rapidement Nasser et Naguib au Caire juste après leur arrivée au pouvoir. Les « officiers libres » acceptent de déconnecter dans leur revendication la question du départ des britanniques de celle de l’annexion du Soudan.
Israël mènent des contacts secrets avec l’Egypte en Europe mais pas ils ne donnent rien car Tel Aviv ne veut pas entendre parler de retour des réfugiés palestiniens ni revenir aux frontières existantes avant la guerre de 1948.

En 1953, les Etats-Unis sont en plein réarmement 1953 et voient aussi le Moyen-Orient comme un marché intéressant pour le complexe militaro-industriel. On entre dans l’après-guerre avec Eisenhower qui remplace Truman à la Maison Blanche en janvier 1953 et la mort de Staline au Kremlin en mars de la même année. Eisenhower est un grand chef militaire plutôt centriste habitués des coups tordus et tolérants pour les opérations clandestines comme il en a menées durant la IIème guerre mondiale. Les frères Dulles dirigent le Département d’État (Foster) et la CIA (Allen), ils sont tous deux farouchement anticommunistes. Foster entame rapidement une tournée au Moyen et Extrême Orients : Egypte, Israël, Jordanie, Syrie, Liban, Iraq, Arabie Saoudite, puis Inde et Pakistan. Il reçoit une délégation palestinienne, prend la mesure des conséquences de la création de l’Etat d’Israël. Il pousse Israël à s’intégrer dans la région et prône la neutralité des Etats-Unis.

Jusqu’en 1951 l’URSS soutient Israël à l’ONU et refuse principe du droit au retour des réfugiés qui pourrait le gêner dans le cas de la Pologne ou des minorités allemandes… La seconde guerre mondiale et son règlement ont entraîné des génocides, des purifications ethniques, des déportations et des transferts de population considérables de la guerre qui ont mis quasiment fin à l’existence de minorités dans les pays de l’Est (d’où les positions actuelles de ces pays réticents envers l’immigration) qui sont de ce fait plutôt réticents au concept de « droit au retour ». Cosmopolitisme et décadantisme sont haïs et conspués par Staline qui déclenchent des purges sinistres dont beaucoup les juifs soviétiques. A l’occasion du « complot des blouses blanches » en 1953 (les médecins juifs de Staline sont accusés d’avoir voulu l’éliminer) l’URSS rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Staline meurt peu après et Beria qui lui succède provisoirement mène une politique de paix. Il aurait même envisagé une de-communisation de l’URSS ! Il est rapidement débarqué par le parti et exécuté. En août 1953 explose la première bombe H soviétique. Les relations diplomatiques sont reprises avec Israël. L’URSS continue s’opposer émigration des juifs soviétiques et souhaite des relations commerciales avec pays arabes. La nouvelle URSS se consacre à l’Europe plutôt à l’Europe qu’au Proche Orient.

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 2/6.

Henry Laurence poursuit son analyse des temps agités moyen-orientaux post-défaite de la coalition arabe en guerre contre Israël en 1948.

1950 : la Jordanie (alors Transjordanie) annexe « provisoirement » la Judée et la Samarie, y compris Jérusalem Est, qu’elle rebaptise Cisjordanie, tout en menant des négociations secrètes avec Israël sur un corridor d’accès à la mer Méditerranée qui n’aboutiront pas. Elle adhère à l’Organisation des Nations-Unies (ONU) en 1955. Israël continue à revendiquer l’intégralité de la Palestine. Les pays arabes continuent eux à affirmer qu’Israël est une « création » de l’Occident et menacent en conséquence de se tourner vers l’Union soviétique. Malgré tout, le caractère fondamentalement anti-communiste de l’islam les empêchera de mettre véritablement leur menace à exécution. Tout au plus ne voteront-ils pas la résolution de l’ONU sur la guerre de Corée. En réalité, Staline ne voulait pas intervenir au Moyen-Orient, préférant limiter le territoire d’influence soviétique aux zones occupées par l’armée rouge en 1945.

Les problèmes de frontière persistent (et sont d’ailleurs toujours d’actualité…) : zone démilitarisée, ligne verte, lac de Tibériade… Une déclaration tripartite des Etats-Unis, du Royaume-Uni et la France donne une garantie aux accords d’armistice israélo-arabes de 1949 en échange de ventes d’armes occidentales… Durant ces années Israël reçoit et intègre un nombre important de réfugiés, migrants ou exilés, ce que les puissances arabes échouent à faire de leurs côtés.

En 1948, l’intervention soviétique (le « coup de Prague ») met fin à la « rébellion » tchécoslovaque. Selon le mot de de Gaulle : « l’armée rouge est à deux étapes du Tour de France de nos frontières » ! Une union militaire occidentale se met en place qui deviendra l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord »), approuvée en 1950 sans la Turquie ni la Grèce. L’OTAN ne mentionne pas l’Europe pour ne pas effrayer les citoyens-contribuables américains qui ne veulent même pas envisager d’intervenir une troisième fois pour empêcher l’Europe de se suicider. Evidemment, ni la Grèce ni la Turquie, pays méditerranéens, ne sont concernées par « l’Atlantique Nord ».

Malgré tout, la Turquie, craignant l’URSS, souhaite intégrer le plan Marshal. Le pays se libéralise progressivement après la mort de Kémal et, comme gage de sa bonne volonté, envoie un bataillon combattre en Corée côté occidental. Après 1950, le réarmement est général et Grèce et Turquie seront acceptées au sein de l’OTAN afin de bloquer l’URSS dans le Caucase. Le Royaume-Uni est contre cette intégration qui diminue son influence propre au Moyen-Orient en donnant un label occidental à la Turquie. Londres privilégiait une alliance militaire moyen-orientale réunissant Turquie, Royaume-Uni, France, Australie et Nouvelle-Zélande (les puissances coloniales), en dehors de l’OTAN, sur laquelle elle aurait gardé la haute main.

C’est aussi à cette époque que des évolutions considérables touchent le marché pétrolier. Le principe du partage de la rente pétrolière 50/50% entre Etats producteurs et compagnies occidentales est généralisé, parfois même dépassé. Certains Etats comme l’Arabie Saoudite et l’Iraq voient leurs ressources financières propres augmenter considérablement. En octobre 1950 le président américain Truman garantit la sécurité de l’Arabie Saoudite mais des problèmes de délimitation des frontières de ce pays avec les anciennes possessions britanniques (Oman, futurs Etats Arabes Unis, etc.) ne sont toujours pas réglés et donnent lieu à des conflits locaux jusqu’en 1952 dans lesquels sont impliquées les compagnies pétrolières concessionnaires.

En Iran le Shah dirige un pays troublé et sous-développé. Il s’oppose à son premier ministre Mossadeq qui nationalise l’Anglo-Iranian Petroleum en 1951 qui sera évacuée par les britanniques mis devant le fait accompli après une vaine tentative de médiation américaine.

L’Egypte réclame le départ des britanniques et l’intégration du Soudan. Une forte hostilité contre le Royaume-Uni se développe dans le pays. L’Egypte dénonce ses accords avec Londres puis désigne le roi Farouq roi d’Egypte et du Soudan ! Des attentats ont lieu dans le pays contre les britanniques. En janvier 1952 l’armée coloniale veut réduire les policiers égyptiens d’Ismaïlia et attaque leur caserne. Cette intervention plutôt mineure, déclenche de violentes réactions de la population égyptienne du Caire contre l’occupation et, d’une manière plus générale, contre la monarchie considérée comme corrompue. C’est ce qu’on appellera « l’incendie du Caire ». Il ouvre la voie à des changements fondamentaux dans ce pays…

LAURENS Henry au Collège de France, « Crises d’Orient : les origines de l’autoritarisme à partir de 1949 » 1/6.

Franc succès pour le cours d’Henry Laurens ce jour au collège de France : l’amphithéâtre principal est plein et les derniers arrivés verront le show en vidéo dans un deuxième amphi.

Il s’agit du Moyen Orient à partir de 1949 : la seconde guerre mondiale est terminée, les puissances mandatrices France et Royaume Uni se font des mauvais coups sur fond d’accord Sykes-Picot, l’Etat d’Israël est créé, la guerre de 1948 a été perdue par les pays arabes créant un traumatisme gigantesque parmi les populations et leurs dirigeants. Aux Etats-Unis un courant mi-universitaire mi-renseignement, entre université américaine à Beyrouth et CIA à Langley, tente d’influencer l’administration et les décideurs politiques vers une direction panarabiste qui a au moins comme avantage d’essayer de retenir dans l’orbite américaine des pays qui lorgnent vers l’Union soviétique.

L’Occident s’agite au Moyen-Orient comme une mouche prise dans bocal, se heurtant aux parois d’une recherche de paix impossible et de la construction illusoire d’Etats sur un modèle inusité dans cette région. Au même moment le plan Marshal soude l’Europe de l’ouest dans un modèle de société libérale, selon différentes déclinaisons, et donne accès au dollar américain à des pays vivant dans un monde de devises non convertibles, permettant ainsi des importations de biens inaccessibles sinon.

De la création du groupe religieux Frères Musulmans en Egypte à la succession des coups d’état au cours de cette année 1949 dans une Syrie indépendante depuis 1946, en passant par les intérêts pétroliers des uns et des autres, Henry Laurens dresse, parfois avec un peu de cynisme, les débuts d’un chaos arabe qui n’a pas vraiment cessé depuis.

Au Collège de France

Leçon inaugurale au Collège de France sur l’épigénétique, domaine assez mystérieux où l’on parle d’ADN, de gènes, de transmission, de chromosomes, etc. Mais on est dans un temple du savoir et rassuré de savoir qu’il reste des lieux où la connaissance est érigée en objectif suprême. Dans notre monde dominé par les traders-fraudeurs, les ambitieux et les guerriers, cela rassure.

Esther Duflo au Collège de France

Esther Duflo, brillante et jeune chercheuse sur l’économie du développement inaugure au Collège de France la Chaire internationale « Savoirs contre Pauvreté » avec le soutien de l’Agence française de développement (LBD). Elle développe dans sa leçon inaugurale une théorie scientifique du développement à la manière des essais cliniques. Il est bon que le Collège de France, temple de la pensée, s’ouvre à ces sujets.