Une dictature plutôt plébiscitée par la majorité de ses citoyens

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Le Canard Enchaîné 20/01/2021

La Russie expulse quelques diplomates européens (de Suède, Pologne et Allemagne) accusés d’avoir participé à une manifestation de soutien à l’opposant Navalny. Les pays européens s’émeuvent et expliquent que leurs représentants ne « participaient » pas à la manifestation mais y « assistaient » à titre d’information.

Alexeï Navalny est un avocat opposant au président Vladimir Poutine, ex-officier du KGB recyclé dans la politique, élu et réélu président depuis 2000, y compris un intermède comme premier ministre afin de contourner la lettre de la constitution russe limitant le nombre de mandats successifs autorisés. Il affiche un cynisme assumé et surfe sur la décadence de l’Occident. C’est lui qui lors de l’invasion de la Crimée par l’armée russe expliquait qu’il ne pouvait pas « empêcher des citoyens russes d’aller passer leurs vacances en Crimée » pour justifier la présence de ses soldats dont certains furent faits prisonniers par les forces ukrainiennes. Sous sa présidence la Russie a initié les meurtres de nombre d’opposants russes réfugiés à l’étranger, y compris avec des armes chimiques avec chaque fois le même déni sur l’implication de son pays dans ces assassinats.

La dernière tentative en date a été menée en Russie en août 2020, justement contre Navalny, empoisonné au Novitchok un agent chimique innervant très puissant développé à l’époque par l’URSS et dont la production fut poursuivie par la Russie. Pour des raisons mystérieuses la Russie a accepté l’évacuation de Navalny, dans le coma, en Allemagne pour y être soigné. Une fois rétabli, il a repris l’avion en janvier 2021 pour la Russie où il a été arrêté dès son arrivé puis condamné à trois années de prison pour n’avoir pas respecté les termes du contrôle judiciaire auquel il était soumis… durant son séjour en Allemagne. Il était supposé se présenter régulièrement au commissariat de police de son quartier à Moscou à la suite de l’une des multiples condamnations dont il a été l’objet. Lors d’une récente conférence de presse, le président Poutine a affirmé que les services russes n’étaient pour rien dans l’empoisonnement de Navalny, la meilleure preuve en étant que s’ils l’avaient été « l’affaire aurait été menée à son terme », accusant au passage son opposant favori dont il ne prononce jamais le nom d’être manipulé par les services secrets américains.

Il est désormais avéré que Moscou a utilisé son soft power de façon intense pour influencer les élections présidentielles américaine et française de 2017 via la diffusion de désinformation sur les réseaux dits « sociaux ». On se souvient que Vladimir Poutine avait reçu officiellement Marine Le Pen au Kremlin en mars 2017. L’élection de dirigeants nationalistes, voire populistes, dans les pays occidentaux sert les intérêts de Moscou qui, de son côté, a réactivé le panslavisme de sa population. On a notamment assisté en France au retournement complet de nombre d’élus de la droite conservatrice qui sont devenus pro-russes après des décennies de discours antisoviétique. Cerise sur le gâteau, le président américain Trump a constamment soutenu la Russie durant son mandat (2017-2021) allant même jusqu’à désavouer ses propres services de renseignements lors d’une fameuse conférence de presse avec le président russe qui, comme à son habitude, cachait sa satisfaction derrière son masque glaçant d’apparatchik du KGB. C’est ainsi que Moscou a atteint avec brio ses objectifs de soft power.

Bref, la Russie est le digne successeur de l’URSS en ce qu’elle cherche à nuire à un occident qu’elle juge aujourd’hui décadent et à la dérive. Elle le fait avec ses méthodes et un succès certain, sachant toucher les points faibles des démocraties. Celles-ci réagissent avec des effets de manche plutôt naïfs et peu efficaces. Le président Poutine est élu et réélu depuis 20 ans. Certes il a laminé toute opposition et continue à le faire mais les sondages plus ou moins libres réalisés dans le pays montrent que le peuple russe soutient globalement son président. Il vote en lui donnant de confortables majorités à chaque élection présidentielle et, même si l’on considère qu’il y a sans doute un peu de fraude, ces majorités sont difficilement contestables et sont en tout cas bien plus larges que celles constatées dans les pays occidentaux.

Cela semble mystérieux aux pays occidentaux qui continuent à vouloir appliquer les principes démocratiques qui régissent encore leurs systèmes politiques. Les russes apparaissent bien plus malins dans leur tactique pour faire tomber l’occident qu’ils ne l’étaient du temps de l’URSS. Ils activent leur hard power sur différents terrains de combat (Ukraine, Syrie, Caucase, notamment) là où il est peu probable que l’Occident viennent guerroyer, et ils déclenchent avec succès leur soft power directement contre les démocraties occidentales pour leur nuire ; ils rejettent systématiquement toute critique ne se gênant pas pour nier les évidences du moment que cela sert leurs intérêts. Le pays est évidemment peu encombré par les associations de défense des droits de l’homme ou pro-démocratiques, et lorsqu’un opposant comme Navalny émerge, il est mis à l’ombre, voire pire…

L’URSS a perdu la guerre froide à la fin des années 1980, elle est en train de prendre sa revanche et l’on dirait que la grande majorité du peuple russe s’en réjouit.