Chaire : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance
Cours : Destruction créatrice et richesse des nations
Leçon : www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/course-2020-10-13-14h00.htm
Information sur le Prix Nobel 2020 décerné la veille
Le prix a été attribué le 12/10/2020 à Paul Milgrom et Robert Wilson pour leurs développement dans la théorie des enchères. Milgrom est un élève de Wilson.
Théorie du mechanism design explique la théorie des jeux, c’est-à-dire que chacun travaille sur une stratégie qui donne un résultat, et cela s’appelle un jeu. Au bout d’un moment les stratégies s’ajustent et arrivent à un équilibre des résultats. Le mechaism design instaure que l’on peut choisir le jeu pour arriver à un résultat donné. Milgrom et Wilson ont analysé le mécanisme particulier de l’enchère. Wilson comprend « la malédiction du gagnant » car il paye peut-être plus que le prix d’équilibre puisqu’il est le dernier à enchérir. Cette malédiction peut être annulée ou amoindrie si la valeur proposée est influencée par la valeur que propose les autres. Il a regardé les enchères sur les fréquences de télécommunication ou de slot d’aéroports et conclu qu’il faut moduler les enchères en fonction des biens concernés (par exemple pour maximiser le produit de l’Etat dans la vente des fréquences). La théorie influence la pratique dans cet exemple. Autres exemples : enchère sur contrats de dette, sur vente d’un bien commun à des acteurs privés.
Vagues technologiques
Le PIB décolle à partir de la 1ère révolution industrielle (la machine à vapeur) vers les années 1820 en commençant par la Grande-Bretagne, puis la France, puis les Etats-Unis puis les autres pays. Nous allons regarder pourquoi les vagues ne se diffusent pas en même temps partout.
Le taux de croissance annuel de la 2ème révolution (l’électricité) arrive avant la IIème guerre mondiale aux Etats-Unis mais seulement 20 ans plus tard en Europe et au Japon (effets du plan Marshall notamment).
Une nouvelle vague, celle des Technologies de l’information et de la communication (TIC) émerge dans années 1990 aux Etats-Unis mais seulement plus tard en Europe, et encore, pas dans tous les pays.
Analysons les causes des retards dans la diffusion des vagues technologiques.
Aux Etats-Unis le microprocesseur a été inventé dans les années 1980 mais la croissance générée par cette innovation n’est apparue qu’au milieu des années 1990.
3 conditions à la diffusion
- La technologie générique (general purpose technology) a vocation à être utilisée dans tous les secteurs de l’économie mais doit donner lieu à une succession d’innovations secondaires pour être applicable dans un secteur donné.
- Learning by doing : pour mieux maîtriser l’innovation et la rendre perfectible.
- Hégémonie de l’innovation qui a vocation à aller partout.
Innovations secondaires
Il y a des vagues d’innovations secondaires qui se traduisent par des poussées des brevets déposés concernant les innovations secondaires pour mettre en œuvre ces nouvelles technologies (électricité, TIC, etc.). Les innovations secondaires prennent du temps à être mises au point et n’avancent pas à la même vitesse partout ni dans tous les secteurs.
Délai de diffusion
Il y a aussi les délais de diffusion dans l’entreprise, une innovation doit s’insérer dans des organisations humaines qui évoluent plus ou moins facilement/rapidement. Lorsque l’électricité est arrivée dans les usines il a fallu changer les processus de production pour optimiser les effets de cette innovation vs. la roue à aube. Il faut dépasser les rigidités internes à l’entreprise. Idem avec l’informatique.
Perfectibilité
Il faut du temps pour apprendre à bien utiliser l’innovation : learning by doing. L’amélioration générée par l’innovatio n’apparaît pas immédiatement.
Adoption par les ménages
Là-aussi cela peut prendre du temps, souvent les ménages vont attendre que les prix baissent et que le voisin adopte l’innovation (effets de réseaux).
Inadéquation des institutions
Les pays européens et le japon montrent des difficultés pour mettre en place les politiques favorables au développement des innovation (enseignement, recherche…). Il y a un besoin de réformes structurelles pour attraper le train de l’innovation.
L’intelligence artificielle
A chaque révolution on craint le chômage de masse mais cela n’a pas été observé pour la machine à vapeur ou l’électricité. Ce sera de même avec l’intelligence artificielle (IA), il ne faut donc pas taxer les robots.
2 idées reçues :
- Cela va stimuler la croissance
- Cela va détruire des emplois
Cela va stimuler la croissance
On remplace le facteur limité du travail par celui du capital créé par nous, donc illimité. On recule les limites et on peut avoir en théorie une croissance infinie. L’IA permet d’automatiser des tâches que l’on pensait ne jamais pouvoir l’être (la conduite, le diagnostic médical…). Cela va encore plus loin que l’automatisation amenée par la machine à vapeur ou le micro-processeur. L’IA s’applique aussi à la création des idées elles-mêmes (learning by doing) et non seulement à la production des biens et services.
Normalement l’IA devrait vous propulser dans la croissance infinie mais cela ne se passe pas ainsi. Depuis les années 2000, notamment aux Etats-Unis, la croissance décline. Quelques explications avancées :
- Il est de plus en plus difficile de trouver de nouvelles idées, il faudrait de plus en plus de chercheurs pour maintenir la croissance. La productivité de la recherche baisse.
- La mesure est imparfaite. Plus il y aurait de destruction créatrice et moins on saurait mesurer l’apport de l’innovation à la croissance. L’extrapolation est parfois imparfaite. Chaque fois qu’un bien en remplace un autre il est difficile de mesurer statistiquement l’effet de cette substitution. On surestime alors l’inflation et on sous-estime la croissance.
- Réallocation
- Les firmes superstars : une explication avancée réside dans la concentration des grosses entreprises qui tueraient la concurrence ? En réalité, imaginons une entreprise superstar X (avec réseaux, capital social…) et une entreprise Y. La révolution des TIC arrive et nous fait gagner du temps (visioconférences, business en ligne…). Mais X est plus efficace qu’Y et va devenir hégémonique. Dans un premier temps, comme les superstars sont plus efficaces, leur croissance entraîne une amélioration générale de la productivité, mais à long terme, une fois que les superstars (les GAFAM par exemple) ont envahi tous les secteurs, elles découragent les autres de faire de l’innovation et c’est ainsi que la croissance baisse.
X inhibe les autres et les décourage, particulièrement aux Etats-Unis où la législation sur la concurrence ne s’est pas adaptée aux TIC et n’a pas pu freiner l’hégémonie de quelques-uns. La croissance est la rencontre entre les technologies et les institutions, si ces dernières ne sont pas là, la croissance ne se produit pas.
Analyse macro sur une zone d’emploi semble montrer que plus les entreprises robotisent plus elles détruisent des emplois. Mais cette théorie ne fonctionne pas au niveau micro. Quand on regarde l’effet de l’automatisation sur l’emploi au niveau des usines on s’aperçoit que les usines qui automatisent plus créent des emplois et baissent les prix. Comment cela s’explique-t-il ?
La robotisation est très significative dans l’industrie automobile qui délocalise beaucoup par ailleurs. On mesure la robotisation par la consommation énergétique des usines. Toute automatisation est favorable à l’emploi, et encore plus les grosses, et encore plus pour les emplois qualifiés !!!
Quand on automatise, les prix baissent car on devient plus productif. Par ailleurs, on analyse l’efficacité des robots en mesurant les volume d’exportation de robots par pays. Si par exemple la qualité des machines allemandes s’améliore beaucoup et qu’une usine X dépend de l’Allemagne pour ses équipements, elle va automatiser beaucoup plus. Il y a une relation causale.
En fait, l’automatisation fait augmenter les ventes, du fait de la baisse des prix, donc je recrute et l’emploi augmente. Ce sont surtout les exportateurs qui bénéficient de l’automatisation. Dans le même temps les entreprises qui n’automatisent pas détruisent des emplois et risquent d’être sorties du marché. Globalement il se peut que les entreprises qui automatisent remplacent celles qui disparaissent du fait de leur non-automatisation. Ce peut être là l’effet négatif car des entreprises non automatisantes disparaissent. Il faut donc financer la recherche et adapter les règles du marché du travail pour que toutes les entreprises automatisent. Ce ne sont pas les entreprises qui automatisent qui créent le chômage mais celles qui n’automatisent pas. Par ailleurs, les secteurs qui ont automatisé le plus tendent à délocaliser le moins. Ce n’est pas le protectionnisme qui protège un pays mais sa capacité à investir et à innover.
C’est la raison pour laquelle les révolutions industrielles n’ont jamais produit de chômage de masse. Donc taxer les robots c’est une bêtise.