Chaire : Économie des institutions, de l’innovation et de la croissance
Cours : Destruction créatrice et richesse des nations
Le débat sur les inégalités a été relancé ces dernières années, notamment par les travaux de Thomas Piketty. Les revenus qui reviennent au Top1% après avoir décru depuis le début du XXème siècle se sont accrus significativement depuis les années 1980 jusqu’aux année 2010. Qu’est ce qu’il a derrière cette évolution ?
Comment mesurer les inégalités
3 façons :
- Le coefficient GINI > courbe de Lorenz, on regard les déciles des revenus par ménage des plus pauvres au plus riches et on regarde les % des ménages. Par exemple les 20% les moins riches gagnent moins que 20% des revenus du fait des inégalités. Le GINI mesure l’écart global de la société à l’égalité parfaite (différence entre la courbe de Lorenz et la droite de l’égalité parfaite). Nombre entre 0 et 1, plus le GINI est proche de 0 plus l’égalité est parfaite.
- Part du Top1% > on totalise le revenu de 1% le plus riche que l’on divise par le revenu total. On mesure l’inégalité au niveau des riches, le 1% (ou 0,1% si l’on veut affiner).
- Inégalité dynamique > corrélation entre revenu des parents et revenus des enfants. Si élevée, cela signifie que le revenu est fortement déterminé par celui des parents, à l’inverse, cela veut dire qu’il y a beaucoup de mobilité sociale.
Il y a des relations entre ces trois mesures.
Entre les pays de l’OCDE on s’aperçoit que plus le GINI est élevé plus l’inégalité dynamique est importante : c’est la courbe de « Gatsby le Magnifique ». Les scandinaves ont un GINI faible et une inégalité dynamique réduite (mobilité sociale), par contre c’est l’inverse pour les Etats-Unis et le Royaume Uni. La France est plus proche de US-UK que des scandinaves, malgré un fort taux de prélèvement.
Si on regarde des zones d’emplois américaines et que l’on suit les revenus des parents puis des enfants 15 ans plus tard, on retrouve la même courbe de « Gatsby ».
En revanche il n’y aucune relation entre mobilité sociale et Top1%. En Californie, beaucoup de mobilité sociale mais le Top1% y est considérable vs. Alabama ou Mississipi. C’est l’effet de l’innovation, présente en Californie mais moins en Alabama.
Il ne faut pas forcément être obsédé par la richesse du Top1% comme l’est Piketty. Ce qui est aussi important est la mobilité sociale : en Suède nous avons des individus très riches mais aussi beaucoup de mobilité sociale et donc une inégalité réduite. Le Top1% ne doit pas être la seule mesure de l’inégalité.
L’innovation comme source d’inégalités au Top1%
On constate que la richesse du Top1% croit en même temps que la courbe des dépôts de brevets (mesure de l’innovation). C’est une corrélation, pas une causalité. Cette relation s’explique par plusieurs raisons.
- L’innovation déclenche les rentes de l’innovation temporairement (M. Skype est devenu riche car il a inventé Skype) et augmente la probabilité que les innovateurs vont rentrer dans le Top1% et augmenter la part de celui-ci.
- L’innovation entraîne la destruction créatrice et donc la mobilité sociale (ascenseur social). Les innovateurs deviennent riches en inventant et ils remplacent les anciens qui vont peut-être sortir du Top1%. Sur les états américains l’innovation apparaît corrélée avec le Top1% mis pas avec le GINI (mesure globale).
- On s’aperçoit également aux Etats-Unis que les fonds de recherche alloués par les comités d’appropriation aux Etats génèrent un accroissement des brevets universitaires puis industriels et la conséquence est une augmentation de la part du Top1%. C’est une causalité, plus une simple corrélation.
Quand on regarde la part du Top1% on doit prendre en compte l’effet de l’innovation, ce ne sont pas uniquement des héritiers… L’innovation n’a pas d’effet sur l’inégalité globale mesurée par le GINI car d’un côté elle augmente la part du Top1% mais de l’autre elle accroît la mobilité sociale. L’innovation est une source « sympathique » du Top1% car elle favorise aussi la croissance et la mobilité, à la différence du lobbying qui a des effets négatifs (voir supra).
L’innovation comme source de mobilité sociale
2 raisons
- Destruction créatrice > les innovateurs « montent », les autres « descendent ». Dans les zones d’emploi où il y a le plus d’innovation il y a le plus de mobilité sociale c’est-à-dire que les revenus sont moins corrélés à ceux des parents. On constate également que l’innovation par les « entrants » (les nouveaux, ceux qui n’ont pas breveté au cours des cinq dernières années) est plus corrélée avec la mobilité sociale.
- Les entreprises innovantes procurent les « bons » emplois, ceux où on progresse (perspectives de carrière, augmentations de salaire) et où on reçoit de la formation.
Il y a peu de mobilité sociale en France donc il faut tout faire pour favoriser les entreprises innovantes qui créent des « bons » emplois. Il faut inciter à l’innovation (subventionner l’apprentissage, s’ouvrir aux entreprises innovantes, etc.)
L’innovation est une source du Top1%, certes, mais elle est à préserver car elle n’augmente pas l’inégalité globale.
Les limites de l’outil fiscal
Voyons les effets des augmentations d’impôt, on regarde la mobilité des revenus sur les mêmes personnes (et non plus entre parents et enfants) en les classant par percentile, entre l’année de départ et l’année de fin de période. Plus les revenus d’aujourd’hui sont proches de ceux d’hier, plus l’échelle des revenus est rigide comme c’est le cas en France : faible mobilité des revenus. On remarque la même chose même pendant la période 2011/2013 où il y eut de fortes augmentations d’impôts. L’outil fiscal a été sans effet sur la mobilité sociale car la France était déjà à un niveau élevé de fiscalité. Il faut donc chercher d’autres sources de mobilité : éducation, formation, « bons » emplois, qui sont complémentaires du levier fiscal.
L’effet de l’outil fiscal sur l’innovation > on constate que plus le taux de rétention fiscale (1 – taux d’imposition) est élevé pour les innovateurs de qualité plus ils restent dans leurs pays d’origine. Il a été aussi analysé les conséquences de la chute de l’URSS sur la fuite de ses innovateurs russes : le choix d’émigration portait sur les pays les moins taxés. On a vu également que la baisse des impôts décidée en 1986 par Reagan aux Etats-Unis a entraîné une forte augmentation de l’arrivée de chercheurs étrangers « de qualité ». Par ailleurs la baisse de l’imposition des sociétés comme des individus génèrent une augmentation des dépôts de brevets.
Les mesures fiscales ont un effet sur l’innovation et la croissance, ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas taxer car l’Etat est un investisseur et un assureur et doit donc être financé. On a besoin d’impôts mais à partir d’un certain seuil trop d’impôt tue l’impôt !
L’exemple de la Suède > en 1991 ce pays procède à une réforme fiscale majeur avec l’instauration d’une taxation duale du capital et du travail avec la réduction du taux d’imposition marginal de 88 à 55% une taxation fixe des revenus du capital à 30%. Dans le même temps il y eut une réforme de l’Etat et une dévaluation de la monnaie. On assiste alors à une augmentation significative des dépôts de brevets (c’est une corrélation pas une causalité). Le Top1% a un peu augmenté de même que le GINI mais la Suède restant tout de même un des pays les plus égalitaires en Europe.
Lobbying
On a dit que le Top1% n’est pas si important du moment qu’il y a de la mobilité sociale. Il faut néanmoins préciser que ce Top1% a son importance dans la mesure où ses membres peuvent faire des actions de lobbying pour y rester ou pour empêcher d’autres d’y entrer ou pour retarder des réformes qui favoriseraient la concurrence par exemple. Le lobbying peut avoir un côté vertueux qui est d’informer mais il peut aussi se révéler dangereux lorsqu’il tente de réduire la concurrence. Le paradoxe schumpetérien est qu’il faut des rentes pour inciter l’innovation mais qu’ensuite leurs bénéficiaires peuvent les utiliser pour faire pression afin d’empêcher l’arrivée de nouveaux innovateurs. C’est toute la difficulté de la régulation du capitalisme.
L’exemple des GAFAM aux Etats-Unis est très parlant, ces innovateurs de l’économie numérique ont maintenant investi tous les secteurs profitant du fait que la réglementation américaine n’est pas formatée pour les technologies de l’information, notamment il n’y a aucune limite aux fusions-acquisitions et certains GAFAM sont devenus hégémoniques, décourageant les innovations des autres d’où la stagnation séculaire constatée.
Le lobbying comprend les communications orales ou écrites avec un titulaire de charge publique en vue d’influencer la prise de décisions. Dans la plupart des pays le lobbying est maintenant réglementé. Les dépenses de lobbying se chiffrent en milliards d’USD/EUR.
Généralement il y a plus de lobbying dans les secteurs peu concurrentiels et à fortes marges (typiquement des entreprises moins productives qui veulent garder leurs marges). En Italie plus la part de marché d’une entreprise est élevée plus elle « investit » dans les politiciens.
Il existe aux Etats-Unis une corrélation entre le lobbying et l’accroissement de la part du Top1%, de même qu’avec l’augmentation de l’inégalité globale (GINI). Le lobbying réduit la mobilité sociale en bloquant les entrants. Souvent les innovateurs d’hier constituent les lobbyistes d’aujourd’hui, qui vont investir dans le lobbying plus que dans l’innovation.
Le lobbying a un double coût : les entreprises lobbyistes innovent moins et empêchent les innovateurs d’émerger.