Michale Boganim est issue d’une famille juive maroco-ukrainienne installée au Maroc. Dans les années 1950, le père, Charlie, décide d’émigrer vers Israël avec les siens. Michale y est née en 1977, à Haïfa. L’arrivée en « terre promise » est rude : le pays toujours entre deux guerres est à construire entre désert et mer Méditerranée, les juifs sépharades (venant d’Afrique du Nord) baptisés « Mizrahim », bien que majoritaires en nombre, sont plutôt mal considérés par les juifs aschkenazes (venant d’Europe centrale où ils ont affronté la Shoah) qui trustent le pouvoir et l’influence dans la nouvelle nation israélienne créée en 1948. Les Mizrahim sont installés en périphérie, sans qu’on leur demande vraiment leur avis, dans des villes dîtes « de développement », où ils sont censés travailler à la construction du pays dans des conditions de vie difficiles.
Charlie militera pour tenter d’améliorer le sort des Mizrahim qui le révolte. Il est membre du mouvement des « Panthères Noires » israélien qui, sur le modèle de son jumeau américain, combat pour la reconnaissance des droits d’une communauté opprimée. Moins violent que son homologue noir-américain, le mouvement exercera quand même une influence politique en Israël avant de sombrer dans l’oubli. Finalement, la famille décide de reprendre la route de l’exil, cette fois-ci vers… la France, à Arcueil en région parisienne. Michale a 7 ans. Elle fera plus tard des études de philosophie et d’anthropologie (sous la direction de Jean Rouch).
Le présent documentaire est mené sous la forme d’un road-movie suivant la route que refait Michale, avec sa propre fille de 6 ans, du Maroc à Israël puis Antony. Elle raconte ce périple en voix off, les espérances et désillusions de ceux qui l’ont suivi, de la génération de ses parents et des suivantes.
Il s’agit bien sûr d’exil, de tout quitter pour une nouvelle vie qui n’est que rarement à la hauteur des attentes qui ont provoqué la difficile décision du départ, tout laisser derrière soi sans beaucoup d’espoir de retour. Mais il y a aussi ce concept un peu fou de « terre promise » qui a fait advenir tant de déceptions. De la Bible à la vraie vie, le fossé est parfois infranchissable. Le film nous fait repasser dans les différentes villes où fut trimballée la famille Boganim et, à chaque étape, s’exprime le sentiment d’exclusion des Mizrahim par les Achkénazes. Le plus fascinant est de voir la similitude des modes de vie entre ces sépharades élevés avant leur émigration vers Israël, depuis des générations, en terre arabe, avec les arabes israéliens, eux-aussi citoyens de seconde zone. Ils parlent les mêmes langues (l’arabe et l’hébreu), partagent la même allure physique, les mêmes habitudes alimentaires, écoutent la même musique… Ils auraient pu réussir à s’entendre pour, peut-être, bâtir une terre de paix en Israël. Hélas, les dogmes religieux et les ambitions politiques ont empêché cette réconciliation qui semblait possible, voire naturelle.
Michale Boganim montre dans ce documentaire qu’il y a les rêves et puis il y a la « vraie vie » et celle-ci n’est que rarement à hauteur des premiers. Mais peut-être que seuls les rêves les plus fous poussent l’homme à se transcender avant, progressivement, de retomber dans une routine parfois mortifère ? La création d’Israël après la Shoah est à cet égard un modèle du genre !
A sa mort, Charlie sera enterré à Jérusalem qu’il visitait chaque année depuis Antony. Seule la mort lui a permis, peut-être, de se réconcilier avec la « terre promise » pour y vivre un exil apaisé et définitif. Le film lui est dédié.