Sortie : 1958, Chez : Les Editions de Minuit.
« La question » fut un des livres clé qui fit basculer la guerre d’Algérie et comprendre à la population métropolitaine ce qui se passait vraiment dans ce « département français ». Publié en 1958, soit quatre années avant l’indépendance algérienne de 1962, le livre fut immédiatement censuré pour « atteinte au moral de l’armée » ce qui n’empêcha pas des exemplaires d’être imprimés en Suisse et de circuler largement en France.
Henry Alleg (1921-2013) était directeur du journal Alger Républicain et membre du Parti communiste français. Parti s’installer en Algérie depuis 1939 il était très proche du Partic communiste algérien et, bien entendu, en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Il fut arrêté à Alger par l’armée française en 1957, alors qu’il était déjà passé à la clandestinité, et torturé par des parachutistes durant plusieurs semaines en même temps que Maurice Audin, dont il était l’ami, qui, lui, fut finalement exécuté extrajudiciairement. Alleg pensait d’ailleurs subir le même sort :
« …j’étais convaincu qu’ils [l’armée française] préféreraient affronter le scandale de ma mort plutôt que celui des révélations que je ferais, vivant. Ils avaient dû peser cela puisque l’un des paras m’avait dit ironiquement, alors que j’étais encore incapable de me lever : ‘C’est dommage, tu aurais pu en raconter des choses, de quoi faire un gros bouquin !’ »
Le livre expose avec simplicité et réalisme les tortures qui ont été appliquées à Alleg des jours durant : électricité, brûlures, noyade, soif, violences diverses, etc. Il résista à ces méthodes de militaires à la dérive et ne parla pas. Il s’empressa par la suite d’écrire ce qu’il avait vécu en désignant nommément les militaires qui l’avaient torturé. Après l’indépendance algérienne, il poursuivra ensuite sa carrière de journaliste en France au sein du journal communiste « L’Humanité ».
Ces chapitres écrits par un militant politique ont ouvert les yeux de la France sur les méthodes de guerre mise en œuvre par son armée à qui le monde politique avait laissé les pleins pouvoirs. Et c’est bien là sans doute la grande leçon de ce livre et des évènements qu’il narre : quand, dans une démocratie, le pouvoir politique abandonne ses pouvoirs, librement ou de force, à ses militaires, l’histoire se termine souvent mal. Quand des militaires en viennent à torturer leurs nationaux, nous sommes presque en guerre civile. C’est ce qui s’est passé dans les caves des parachutistes à El-Biar (Alger).
En l’occurrence, l’armée française déjà traumatisée par sa défaite en Indochine, voyant se profiler le même sort en Algérie, y compris cette blessure d’honneur de devoir abandonner leurs alliés locaux à un sort peu enviable, va commettre l’irréparable et lancer depuis Alger un putsch en 1961 contre la République qui l’avait menée dans cette impasse. Heureusement les choses vont rapidement rentrer dans l’ordre républicain côté français et l’Algérie obtenir son indépendance.
Alleg n’instruit pas dans ce livre le procès de l’institution Armée même s’il désigne les membres de cette institution qui l’ont torturé. Il n’évoque pas plus le fantasme de « l’Algérie française » tel que le vivaient les « Français d’Algérie (les « pieds-noirs ») mais son histoire personnelle illustre mieux que tout l’aveuglement d’une partie du pouvoir politique et militaire français qui n’a pas su accompagner pacifiquement l’indépendance algérienne qui était inévitable et souhaitable.
Plutôt revancharde, la France condamna Alleg en 1960 à 10 ans de prison « pour reconstitution de ligue dissoute -le Parti communiste algérien- et atteinte à la sûreté de l’Etat ». Emprisonné à Rennes, il s’évada, passa en Suisse puis en Tchécoslovaquie. Il revint en France après les accords d’Evian entre la France et l’Algérie en 1962, tenta de relancer l’Alger républicain en Algérie avant d’y être déclaré persona non grata par le régime Boumediene issu d’un coup d’Etat… Le reste de sa vie il gardera sa foi de militant communiste, soutenant l’intervention soviétique en Afghanistan ou l’ancien dirigeant d’Allemagne de l’Est Honecker. Il se sera beaucoup trompé mais au moins pas sur le destin de l’Algérie.