Déficits, déclassement et mauvaise foi

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Avec une mauvaise foi propre au monde politique français la bataille fait rage sur la nécessité, ou pas, d’une réforme des retraites. Les opposants admettent désormais que le système est en « léger » déficit sur les prochaines années mais rivalisent d’idées alternatives pour financer ce déficit permettant d’éviter d’augmenter l’âge légal minimum de départ à la retraite de 62 à 64 ans (à taux plein) comme prévu dans le projet de loi qui a été adopté lundi par suite du rejet de deux motions de censure par l’assemblée nationale. Ces idées vont de la taxation des dividendes, à l’augmentation des cotisations patronales ou ouvrières, voire les deux en même temps, en passant par la baisse des pensions. Le gouvernement a choisi une autre option, celle d’augmenter la durée du travail.

Les sexagénaires qui prennent actuellement leur retraite ont généralement débuté leurs carrières dans les années 1980 à une période où l’âge légal de départ était de 65 ans. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ils ont vu cet âge légal baisser à 60 ans en 1982, accompagné de la réduction de la durée légale du travail hebdomadaire de 40 à 39 heures et de la création d’un « ministère du temps libre » dont la mission était de « de conduire par l’éducation populaire, une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps ». Quelques années plus tard, en 2000, une nouvelle loi, dite « Aubry », réduisait encore la durée légale du travail hebdomadaire à 35 heures

C’était le temps des illusions qui se sont assez rapidement heurtées au mur de la réalité d’où un plan en 1983 qualifié de « rigueur » alors qu’il ne consistait qu’à équilibrer les dépenses avec les recettes, c’était donc plutôt un plan de bonne gestion. Mais il n’a pas été touché à l’âge de départ en retraite.

En 1996, devant l’insoutenabilité de la dette sociale, y compris la partie liée à l’assurance vieillesse (la retraire), qui ne pouvait manifestement plus être remboursée par les seuls cotisants, cette dette est transférée à un machin créé pour l’occasion, la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) alimentée par une nouvelle taxe, la CRDS, créée pour l’occasion. Cela veut dire en clair que ce n’est plus le cotisant qui rembourse cette dette mais le contribuable. En gros, on a refourgué les déficits cumulés par la protection sociale ce qui a permis de rendre une nouvelle virginité à l’assurance retraite. La France a toujours su faire preuve de beaucoup de créativité pour masquer ses dépenses. En 2010, le mur de la réalité est toujours en béton armé et l’âge de la retraite doit être augmenté à 62 ans.

En 2022 les programmes électoraux des partis de droite de gouvernement tablaient tous sur une nouvelle augmentation de l’âge minimum à 65 ans, soit le retour à la situation de 1982 ce qui ne paraît pas intellectuellement complètement incohérent puisqu’il y a moins d’actifs aujourd’hui pour un retraité qu’il y a quarante ans. Les négociations menées avec le parlement ont abouti à revoir cet objectif à 64 ans au lieu de 65 dans le projet initial.

Malgré tout, les émeutes ont repris dans les rues des grandes villes de France. Les sondeurs frétillent en demandant aux citoyens s’ils sont satisfaits de devoir travailler deux années de plus et, oh surprise, ils répondent par la négative. Les chaînes d’information en continu ressassent ces sondages et glosent à l’infini, avec fébrilité et gourmandise les images de casseurs et de feux de poubelles. Les hommes politiques s’écharpent avec force arguments misérabilistes et reniements variés. Les partis d’opposition ne voient comme seule porte de sortie que de dépenser toujours plus d’argent public.

En réalité on n’a jamais vraiment trouvé d’autres solutions sérieuses pour accroître la richesse d’une nation que de la faire travailler plus, ce qui ne doit pas empêcher de travailler à une répartition consensuelle de cette richesse créée par le travail et la France à cet égard est dans le peloton de tête des pays occidentaux pour la redistribution via l’impôt. Mais c’est un raisonnement qui n’est pas partagé par la majorité. Comment en serait-il autrement dans un pays qui préfère financer des jeux olympiques ou une coupe du monde de rugby plutôt que ses enseignants, un pays où les campagnes électorales se déroulent sur le plateau de Cyrille Hanouna, animateur de télévision qui se vautre dans la vulgarité et le racolage, œuvrant puissamment à l’abrutissement des masses sur des fréquences attribuées gratuitement par l’Etat. C’est ainsi et c’est notre responsabilité collective, celle d’un avachissement général qui déclasse progressivement le pays. La France a mangé son pain blanc depuis des décennies, vivant largement au-dessus de ses moyens et l’une des contreparties se trouve dans le niveau de sa dette. Alors évidemment il est toujours douloureux de devoir revenir sur des avantages dont tout le monde a profité mais que nous n’avons pas su financer…

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Et le problème n’est pas que financier, il relève aussi de l’égo de la nation qui doit admettre qu’elle n’est plus le « grand pays » doté de la cinquième économie mondiale et de la puissance nucléaire qu’elle croit encore être, mais juste un pays moyen parmi les autres, plus déclassé que ses voisins car refusant de voir cette réalité. Le fameux « grand débat » organisé après les émeutes de 2018-2019 devait servir de psychothérapie de groupe, il a échoué et la contestation revient dans la rue.

Il est probable que cette situation va se régler, comme d’habitude par plus de dépenses publiques jusqu’au jour où le juge de paix, les marchés financiers, refusera de continuer à prêter à la République, ou alors ils le feront à des taux d’intérêt prohibitifs qui forceront ainsi à reprendre le contrôle de la dépense publique. Ce jour pourrait arriver plus vite que prévu, hélas ! La France n’a rarement su se réformer sans contrainte forte.