La France pas assez raisonnable

L’une des trois grandes agences de notation des dettes, « Fitch Ratings », vient de dégrader la note de la dette française sur base d’une analyse relativement classique et prévisible. Pour les critères les plus inquiétants :

  • Déficit des finances publiques supérieur aux pays comparables et « plan de stabilisation » (en français, plan de désendettement) annoncé basé sur les prévisions de croissance peu réalistes
  • Incapacité à contrôler les dépenses publiques
  • Niveau de la dette publique élevé
  • Hausse des taux d’intérêt

Lire aussi : https://www.fitchratings.com/research/sovereigns/fitch-downgrades-france-to-aa-outlook-stable-28-04-2023

Le pays n’a pas réussi à équilibrer ses dépenses publiques depuis 1974, date du dernier budget équilibré. Cela veut dire que depuis plus de cinquante ans l’Etat dépense plus qu’il ne gagne, l’ajustement se faisant par une augmentation de la dette dont nous laissons à nos enfants le soin de rembourser. L’habituelle argument des partisans de la dépense publique à tout va, « s’endetter pour investir pour le futur est une bonne chose » ne tient plus que très partiellement. On sait aujourd’hui qu’une bonne partie de cet endettement vient financer des dépenses courantes de l’Etat (sécurité sociale, salaires…) et non plus uniquement de l’investissement. On le voit tous les jours dans les médias, un ministre ou un président de la République n’existe plus qu’en annonçant de nouvelles dépenses pour de bonnes comme pour de mauvaises causes et, surtout, sans expliquer comment de nouvelles dépenses seront financées : par baisse d’autres dépenses, augmentation des impôts ou endettement additionnel.

Les débats parlementaires et politiques ubuesques qui se sont déroulés ces dernières semaines sur la réforme des retraites (report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans) ont consisté principalement pour l’opposition à conditionner ses votes favorables à l’abandon de certaines économies incluses dans le projet de réforme (en termes purement financiers, une non-recette équivaut à une dépense). Le gouvernement à la recherche du consensus a progressivement cédé et adoucit la « brutalité » de la réforme, baissant ainsi le niveau des économies que devait rapporter la réforme pour se retrouver à la fin sans les votes de ceux qui s’étaient engagés à les donner…

Il est vrai que les partis et syndicats d’opposition de gauche proposaient des pistes de financement alternatives au maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans : « taxons les dividendes versés aux actionnaires » ! La classe politique française ne sait financer de nouvelles dépenses publiques qu’en augmentant les impôts, rarement en faisant des économies par ailleurs. La proposition sur les dividendes n’était pas idéologiquement acceptable pour le gouvernement en place qui a donc réussi à faire passer l’âge légal de départ à 64 ans. Il y a déjà des candidats potentiels aux élections présidentielles de 2027 qui s’engagent à ramener cet âge légal à 60 ans s’ils sont élus. Nous verrons bien d’ici-là s’ils maintiennent ce projet et comment ils envisageront de le financer. Ils ont largement le temps « d’avaler leur chapeau » avant cette échéance.

La dégradation de la note de la dette publique française n’a pas entraîné de hausse immédiate des taux d’intérêt auxquels s’endette la République puisque les marchés l’avaient déjà intégrée dans les taux qui sont passés en quelques mois pour les nouvelles émissions de dette de 0 à 3%, et risquent de poursuivre encore leur hausse dans le court terme. S’endetter aujourd’hui coûte plus cher aux contribuables qu’hier. C’est hélas la seule situation qui peut pousser la France à « stabiliser » ses dépenses publiques. De même que faire payer plus cher l’eau ou l’électricité pour le consommateur lui font contrôler ses consommations, augmenter les taux d’intérêt devrait pousser l’Etat à une gestion plus rigoureuse de ses dépenses. Dans notre monde capitaliste, le « signal prix » est le seul qui soit vraiment efficace, pour un Etat comme pour ses citoyens.

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