Beth Gibbons – 2024/05/28 – Salle Pleyel

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Beth Gibbons (59 ans), la si mystérieuse et sincère chanteuse du groupe de trip-hop Portishead revient à Paris dans le cadre d’une tournée mondiale pour la sortie de son deuxième album solo : Lives Outgrown dont le titre (Des vies dépassées) marque bien les rivages introspectifs et mélancoliques sur lesquelles vogue toujours cette artiste si attachante. Elle fait partie de la bande de Bristol (Royaume-Uni) qui a lancé le mouvement trip-hop (Massiv Attack, Tricky…), une musique sombreet glaçante marquée par une rythmique urbaine obsessionnelle. La légende veut qu’elle ait rencontré Geoff Barrow dans la salle d’attente d’une agence de recherche d’emploi en 1991 et qu’ensemble ils aient décidé de créer Portishead avec Adrian Utley. Avec quelques autres musiciens (dont le batteur de Radiohead) le groupe a créé trois albums majeurs entre 1994 et 2008, réussites dans lesquelles le chant de Beth et sa participation aux compositions et à l’écriture des morceaux ne fut pas pour rien. Portishead semble retiré du monde la musique pour le moment mais qui sait s’ils ne reviendront pas un jour ?

Beth Gibbons avait déjà sorti un premier disque solo en 2002, Out of Season, en collaboration avec Rustin Man ex-bassiste du groupe Talk Talk : une réussite. 22 ans plus tard, Lives Outgrown est aussi le fruit d’une collaboration avec Lee Harris, le batteur de Talk Talk, et James Ford, producteur d’Artic Monkey, Blur… Une seconde réussite vertigineuse. Elle a aussi participé à nombre d’albums, dont celui de Jane Birkin en 2004 : Rendez-Vous.

Peu sensible à son apparence, elle apparaît depuis 30 ans toujours vêtue des même jeans-baskets et pull foncé un peu informe. Elle n’a pas non plus changé de coiffure depuis ses débuts avec ses cheveux roux et raides. Et elle marque toujours la même timidité face à son assistance. Elle se tourne souvent vers le fond de la scène lorsqu’elle ne chante pas, ou même stationne devant son claviériste, dos au public, comme si la vue de celui-ci la troublait. Autrefois elle fumait beaucoup sur scène, on dirait qu’elle a arrêté. Les lumières sont toujours tamisées et on sent qu’elle se cache un peu dans l’intimité de ce clair-obscur. Lorsqu’elle chante elle s’accroche à son micro avec les deux mains. Celui-ci est placé un peu plus haut que sa bouche alors elle est tendue vers lui et paraît comme une hirondelle solitaire sur son fil, prête à une grande migration vers l’inconnu.

Derrière elle, sept musiciens sont déployés en arc-de-cercle, comme pour l’entourer et la soutenir, mais elle est seule au milieu de la large scène de la salle Pleyel : Eoin Rooney – guitares, Emma Smith et Richard Jones – violon et alto (mais aussi guitares sur certains morceaux, Tom Herbert – bass, Jason Hazeley – claviers, Howard Jacobs (véritable homme-orchestre) – percussion, flute, sax, vibraphone, gong, guitare frappée avec des baguettes et bien d’autres instruments bizarres, James Ford – batterie. Tous ces musiciens dévoués à leur chanteuse-compositrice si fragile assurent aussi les chœurs.

Le show démarre sur Tell Me Who You Are Today, une intro toute en douceur jouée subtilement, comme en sourdine, sur laquelle s’élève la voix plaintive de Beth pour nous dire cette complainte.

If I could change the way I feel
If I could make my body heat

Free from all I hear inside

Come over me
Listen to me

Burden of Life qui est joué ensuite est aussi un long questionnement musical sur le poids de la vie que l’on porte sans fin mais qui a au moins l’avantage de ne jamais nous laisser seuls… Puis I’m Floating on a Moment qui nous dit l’impossibilité de comprendre où nos pas nous mènent (All going to nowhere/ To afraid… to be free) avant une reprise de l’album son premier album solo et le déchirant Lost Changes sur l’instabilité du monde et des sentiments alors que l’amour passé était si doux comme le léger sifflement qu’elle prodigue dans son micro sur le pont du morceau.

We’re all lots together
We’re fooling each other…

And all that I want you to want me
That way that you used to
And all that I want is to love you
The way that I used to

La musique est mélancolique comme une larme salée qui coule sur la joue devant le temps qui passe. Les musiciens sont unis dans la douceur et la délicatesse pour accompagner cette voix unique. L’atmosphère est feutrée dans les lumières le plus souvent bleu électrique. Beth Gibbons n’a pas voulu bien entendu copier les rythmes du trip-hop et son folk sombre se déploie sur des percussions plus classiques, discrètes, qui encadrent parfaitement l’ensemble. Les cordes amènent aussi leur touche originale et parfois lancinante, avec un petit côté oriental qui pimente cette musique.

Beth ni ses musiciens ne manifestent aucune émotion particulière, ni démonstration quelconque. Tous sont concentrés pour délivrer ce concert exceptionnel tout en réserve, tourné vers nous-mêmes. Après une deuxième reprise de Out of Season le groupe nous emmène jusqu’au terme du show avec un Whispering Love susurré dans nos oreilles et pour nos cœurs, avec ce petit grincement de violon répété à l’infini dans les aigus pour accompagner ce final à l’image de cet instant musical délicieux dont la beauté et l’élégance transcendent la tristesse qui en émane.

Leaves of our tree of life
Where the summer sun… always
Shines through… the tree of wisdom
Where the light is so pure… oh that summer sun
Moon time will linger… through the melody
Of life’s… shortening, longing view

Oh whispering love
Come to me… when you can

Le rappel reprend Roads de Portishead. Le public n’en demandait pas tant. D’autant plus que Beth remercie et nous crie en riant à plusieurs reprises « Paris, je t’aime ». En trente années de carrière, on ne l’avait jamais entendu parler ni vue sourire…

Setlist : Tell Me Who You Are Today/ Burden of Life/ Floating on a Moment/ Rewind/ For Sale/ Mysteries (Beth Gibbons & Rustin Man cover)/ Lost Changes/ Oceans/ Tom the Model (Beth Gibbons & Rustin Man cover)/ Beyond the Sun/ Whispering Love

Encore : Roads (Portishead song)/ Reaching Out

Warmup : Bill Ryder-Jones, ex-guitariste du groupe The Coral, qui joue ce soir avec une violoncelliste.

Les photos de Roberto : https://www.photosconcerts.com/beth-gibbons-paris-salle-pleyel-2024-05-27-15543

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