Portishead – 2012/06/25 – Vienne Théâtre antique

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Vienne, petite ville française de l’Isère, encaissée entre ses collines allobroges, pavoisée de drapeaux espagnols en hommage à une récente défaite de la France contre l’Espagne de fouteballe, traîne paresseusement sa misère industrielle entre les rives du Rhône et du Gère. Vienne reçoit ce soir les Portishead dans son théâtre romain avant Joan Baez demain, le festival annuel Jazz à Vienne qui ouvre le 28 juin, Simple Minds, Selah Sue et quelques autres artistes en juillet.

Vienne, dans la moiteur d’un été, s’apprête à accueillir les messies du Trip-Hop dans le cadre somptueux de son théâtre antique. Leur rareté ajoute encore à leur talent : seulement trois disques en 25 années de carrière, peu de tournées, quasiment pas d’interview, mais les Portishead sont ici ce soir, venus de Bristol, patrie de ce genre musical, où ils cohabitent avec Massive Attack, Tricky et bien d’autres. Le trio fondateur Geoff Barrow-Beth Gibbons -Adrian Utley est renforcé sur scène par John Baggott (clavier de Massive Attack), Clive Deamer (batteur de Radiohead) et un bassiste.

A la nuit tombante le logo du groupe se déploie lentement sur l’écran du fond de la scène sur le beat lent d’une bass, puis démarre l’intro brésilienne de Silence sur laquelle entrent les musiciens qui nous ouvrent les portes de leur univers pour 90 minutes.

Beth est habillée en T-shirt noir et pantalon vert-de-gris, dos au public elle regarde ses musiciens s’échauffer avant de se retourner en lançant sa voix si troublante se perdre dans le ciel étoilé de Vienne.

Derrière le groupe sont projetées les visions de la scène et des gros plans de Beth, les images sont comme brouillées par une mauvaise réception, la frimousse de la chanteuse accrochée à son pied de micro se déploie à l’infini laissant le spectateur plonger, planer, voguer dans l’atmosphère brumeuse qui émane des mots et des notes de ce groupe inventif.

Les musiciens sont attentionnés et parfaitement posés pour entourer leur chanteuse, Adrian tire des miracles aériens et mélancoliques de ses guitares, Geoff manipule des machines et des percussions avec à-propos, John œuvre sur des claviers tout en subtilité.

Et cette voix, surtout cette voix, marque l’âme de la musique des Portishead. Le théâtre chavire lorsque Beth entame Wandering Star seulement accompagnée par Adrian et Geoff (à la basse). Assise sur un tabouret, elle chante, noyée sous ses cheveux roux une bouleversante version de cette chanson extraite de leur premier album :

Please could you stay awhile to share my grief/ For its such a lovely day/ To have to always feel this way/ And the time that I will suffer less/ Is when I never have to wake/ Wandering stars, for whom it is reserved/ The blackness of darkness forever…

et de terminer cet instant de pure poésie par une vocalise qui n’en finit pas de monter dans les aigus, transperçant le cœur de tous les spectateurs.
Une bonne partie de leur catalogue nous est servie sur le site unique de ce théâtre si approprié à un parcours musical introspectif : Hunter, The RIP, Mysterons, Magic Doors… ce n’est qu’émotion, douceur et douleur. Sur Glory Box elle alterne une voix nasillarde pour l’intro :

I’m so tired of playing/ Playing with this bow and arrow/ Gonna give my heart away/ Leave it to the other girls to play/ For I’ve been a temptress too long…

avant de laisser ses musiciens donner libre cours à des solos dissonants et déchirants puis de reprendre inlassablement :

Give me a reason to love you/ Give me a reason to be a woman/ I just wanna be a woman.

Mais le groupe sait aussi s’aventurer dans sur les chemins du beat et nous servir des versions enlevées de Machine Gun, Chase The Tears et un extraodinaire We Carry On en final à la fin duquel Beth descend dans la foule puis, une Corona en main, laisse ses musiciens achever le spectacle sur le rythme obsédant de ce morceau. Un petit « thank you », le seul mot prononcé du spectacle, et le quintet nous laisse méditer sur ce moment de grâce partagée.

Portishead, le groupe sans doute le plus achevé du Trip-Hop, définitivement le plus réfléchi et émouvant ; Portishead, le son tragique de son époque !

Set list : 1. Silence/ 2. Hunter/ 3. Nylon Smile/ 4. Mysterons/ 5. The Rip/ 6. Sour Times/ 7. Magic Doors/ 8. Wandering Star/ 9. Machine Gun/ 10. Over/ 11. Glory Box/ 12. Chase the Tear/ 13. Cowboys/ 14. Threads
Encore : 15. Roads/ 16. We Carry On