NAFISI Azar, ‘Lire Lolita à Téhéran’.

par

dans Catégorie :

Sortie : 2003, Chez : Penguin Random House / Zulma.

Azar Nafisi est une écrivaine iranienne née en 1955, exilée aux Etats-Unis dont elle a obtenu la nationalité. Professeur de littérature à Téhéran elle démissionne de son poste en 1995 lorsque le régime religieux veut lui imposer le port du voile. Elle organise alors des séminaires privés chez elles pour des étudiantes avec qui elle se consacre à la lecture d’œuvres occidentales. Les quatre parties du ce récit autobiographique sont consacrés à « Lolita » de Nabokov, « Gatsby » de Fitzgerald, « Portrait de femmes » de James et « Orgueil et préjugés » d’Austen.

Il s’agit bien entendu de littérature (très) politiquement incorrecte pour le régime des mollahs au pouvoir. Ces livres « immoraux » sont l’occasion pour ces femmes de découvrir le monde occidental, les sentiments et attitudes universels y sont abordés, ceux qui restent « interdits » en Iran : l’amour, la liberté, la politique, le féminisme… Il n’y a pas d’hommes dans ces groupes mais certains apparaissent dans le roman, notamment Bijan, le mari d’Azar et « le magicien », une espèce de sage-poète auquel se réfère l’auteure pour échanger sur les sujets autant poétiques que politiques.

Mme. Nafizi anime ces groupes littéraires de femmes avec une grande affection et un professionnalisme dévoué. Ils sont aussi un moyen de résistance contre l’oppression délirante des religieux au pouvoir. Les évocations qu’elle en fait sont l’occasion de narrer la dégradation de la vie de tous les jours. L’emprisonnement puis la réapparition de certaines de ses étudiantes, l’exécution d’autres, illustrent la folie d’un régime régressif et répressif. La littérature occidentale, mais aussi la poésie perse, permettent de tenter de survire face à l’absurbe.

Toute œuvre d’art digne de ce nom, ai-je déclaré un peu pompeusement, est une célébration, un acte d’insubordination contre les trahisons, les horreurs, les infidélités de la vie. La perfection et la beauté formelle se révoltent contre la laideur et les désastres du sujet abordé. »

Azar essaye de donner à ses étudiantes les clés pour survivre face à leurs « geôliers » qui veulent à tout instant formater leurs gestes et leurs âmes. Elle aborde l’existence de la forte opposition au Chah d’Iran, d’obédience marxiste-léniniste qui s’opposa aux mollahs, perdit ce combat, alors que finalement ces deux mouvements « révolutionnaires » étaient tout aussi idéologiques et totalitaires. Elle parle de la guerre contre l’Iraq et des bombardements sur Téhéran et, surtout, elle narre la vie ordinaire de jeunes intellectuels vivant dans une capitale sous oppression religieuse. Tout ceci est terrifiant mais écrit avec humour et légèreté, rendant d’autant plus incompréhensible un régime d’une telle nature dans ce pays à la culture millénaire.

Issue d’une famille bourgeoise éduquée, son père fut maire de Téhéran, elle eut la possibilité de voyager à l’étranger au cours de ses études, puis de s’exiler pour fuir son pays et le régime d’un autre âge qui y sévit toujours. Dans un court épilogue elle parle bien sûr avec nostalgie de l’exil et de ses étudiantes qui ont connu des parcours divers mais qui, toutes, son restées inspirées par cette littérature rédemptrice.