La Géorgie et la Moldavie tiraillées entre l’Est et l’Ouest

En Géorgie (4 millions d’habitants) ce week-end les électeurs ont donné une majorité de 53% au parti prorusse Rêve géorgien laissant un peu dépités les minoritaires plutôt proeuropéens.

En Moldavie (3 millions d’habitants) le week-end dernier, un référendum sur l’Union européenne (UE) a abouti à une courte majorité en faveur de l’adhésion de 50,43%.

Dans les deux pays la tradition démocratique est assez récente et on peut facilement imaginer que le processus électoral n’a pas été d’une parfaite objectivité. L’influence russe est aussi évidente, en Géorgie comme en Moldavie qui toutes deux, non seulement partagent une frontière avec la Russie mais ont une partie de leur territoire occupé par la Russie. Ces deux pays firent partie de l’Union soviétique et Moscou voit d’un mauvais œil leur éventuel rapprochement avec l’UE. C’est pour rappeler fermement sa position que Moscou a déployé son armée dans deux provinces de Géorgie par suite de la guerre éclair de 2008 et n’a jamais lâché son occupation de la Transnistrie depuis son intervention militaire dans cette partie de la Moldavie en 1992.

Comme l’Ukraine, ces deux ex-Républiques soviétiques restent tiraillées entre l’Est et l’Ouest. Même si ces élections ont sans doute été entachées de fraude celle-ci n’a certainement pas fondamentalement changé le fait que les populations sont sérieusement divisées sur le sujet et quelle que soit l’orientation qui sera prise par ces pays elle montera la moitié de la population contre l’autre.

L’UE peut aussi se poser légitimement la question de son intérêt à intégrer un jour ces pays comme le souhaite une partie de leurs peuples. Mis à part une espèce de victoire « morale » sur la Russie qui a succédé à l’ennemi soviétique, l’adhésion de la Moldavie et de la Géorgie est une mine de difficultés (et de coûts substantiels) à venir. Faire adhérer des pays occupés par une armée étrangère est déjà arrivé avec l’intégration en 2003 de Chypre occupée par la Turquie. Est-ce une raison pour renouveler l’erreur qui est d’ailleurs en contradiction avec les règles de l’Union qui requièrent des « institutions stables » avant l’adhésion ? Difficile de plaider la stabilité quand des pays sont occupés par la Russie. Au-delà, les intérêts européens commerciaux, industriels ou financiers que rapporteraient leur adhésion sont difficiles à identifier.

Malgré tout l’UE, plus diplomatique que pragmatique, ne sait pas dire non et dès qu’un pays fait mine de se diriger vers elle, bonne mère, elle lui ouvre les bras et ses poches, négligeant ses propres intérêts le cas échéant. Et c’est ainsi que l’UE a attribué le statut de candidat à la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine avant donc de l’octroyer récemment à l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. Il suffit d’imaginer demain la table du conseil européen avec les 27 pays actuels plus les 8 candidats pour avoir au mieux, une vision d’un blocage institutionnel total, et, au pire, une idée de l’enfer politique sur terre.

Il est sans doute trop tard pour inverser le mouvement avec l’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie à qui le statut de candidat a été accordé en 2023 et, pour les deux premiers, avec qui les négociations ont officiellement démarré le 25 juin dernier. Mais pour les quatre autres (dont la Serbie prorusse, ennemie affichée de la Croatie, sans parler du Kosovo qui n’est pas encore candidat) il n’est pas sûr que leur désir d’adhésion soit tellement partagé par les populations locales et, même s’il l’était, faut-il quand même envisager les négociations ? Celles-ci ne sont pas forcé d’aboutir favorablement, le cas de la Turquie est là pour le confirmer, mais généralement, une fois engagées elles débouchent quasi mécaniquement sur l’adhésion. Pour Chypre par exemple où une « ligne rouge » de la résolution de conflit avec la Turquie avait été posée par l’UE, cette réserve de bon sens a finalement été balayée devant la faiblesse des diplomates. La Grèce qui avait bien évidement annoncé son veto a finalement été poussée à le lever et Chypre est entrée dans l’UE en 2003 avec… la moitié de son territoire occupé par la Turquie qui a créé la République turque de Chypre du Nord (RTCN). Vous remplacez Turquie par Russie et vous avez une situation très similaire avec la Géorgie et la Moldavie. Il est à craindre que les choses se terminent de la même façon, c’est-à-dire de manière défavorable aux intérêts de l’Union européenne.

L’importation du chaos au sein de l’UE est une première victoire pour la Russie. Même si sa conquête de l’Ukraine est poussive et ne concernera probablement que le Dombass, l’adhésion de l’Ukraine résiduelle sera néfaste pour l’Europe ce dont ne pourra que se réjouir le « Sud global ». Compte tenu de la guerre en cours entre Russie et Ukraine on voit mal comment les pays-membres actuels pourraient s’opposer à l’adhésion. Les obstacles structurels qui ne manqueront pas de se présenter seront probablement balayés pour des « raisons politiques ».

L’article 88.5 de la constitution française stipule :

Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne est soumis au référendum par le Président de la République.

Toutefois, par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89.

[cet article n’est pas applicable aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004]

Le moment venu, et si cet article n’est pas modifié d’ici là, le peuple, par référendum, ou le parlement, à la majorité des trois-cinquièmes, devront valider une éventuelle adhésion de l’Ukraine, comme celles de tous les autres candidats. L’UE imposant pour le moment l’unanimité pour approuver l’adhésion, en théorie le peuple français, ou ses représentants, pourraient s’y opposer.

Il sera intéressant de voir comment ces adhésions seront soumises à l’article 88.5 et les réponses qui seront apportées à ces projets d’adhésion !

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