HALIMI Gisèle, ‘Le lait de l’oranger’.

Sortie : 1988, Chez : Editions Gallimard / POCKET 11078.

Gisèle Halimi (1927-2020) est une avocate franco-tunisienne, née dans une famille juive à Tunis, devenue célèbre pour son engagement constant en faveur du féminisme et des militants de l’indépendance algérienne qu’elle a défendus au risque de sa vie puisqu’elle fut régulièrement menacée par les tenants de « l’Algérie française ».

Après la mort de son père, Edouard, en 1976, elle décide d’écrire un livre hommage dans lequel elle revient avec beaucoup d’affection et de douceur sur ce père aimant, mais aussi sur son enfance en Tunisie et les combats qu’elle a menés ensuite en faveur de la liberté. « Le lait de l’oranger » fait référence à l’oranger dans la cour de sa maison qu’elle arrosait en cachette du lait qu’elle refusait de boire le matin affirmant déjà un caractère affirmé. C’est l’incroyable destin d’une femme arcboutée sur des principes nobles et humanistes et dont les combats ont fait évoluer son époque.

Le premier de ses combats fut celui de la défense des militants algériens en lutte armée contre la France coloniale à la fin des années 1950 et jusqu’à l’indépendance acquise en 1962. Lorsqu’ils étaient arrêtés, ces militants accusés de terrorisme, étaient présentés devant une justice d’exception, celle des tribunaux militaires dont les méthodes étaient plutôt expéditives et souvent totalement illégales. En application du droit, les accusés devaient être défendus par des avocats mais souvent ceux-ci étaient commis d’office, choisis au sein du barreau local et dont la neutralité n’était pas toujours assurée. Avec un certain nombre de collègues de métropole et d’Algérie elle a fait en sorte que les accusés soient défendus selon le droit français et s’est mise ainsi à dos beaucoup de monde Algérie. Elle était évidemment en faveur de l’indépendance, comme elle le fut de celle de la Tunisie, mais elle s’est basée sur le droit dans ses stratégies de défense, un droit que les tribunaux militaires violaient sans vergogne et avec tant d’allégresse qu’elle réussit à faire inverser le cours de certains procès.

Avec l’aide d’un comité d’intellectuels français (Sartre, Beauvoir, Aragon, Germaine Thillon, et d’autres) elle a notamment sauvé la tête de Djamila Boupacha qui avait été impliquée dans une tentative d’attentat dans les rues d’Alger. Elle n’hésita pas à porter plainte contre le ministre de la défense Pierre Messmer qu’elle estimait responsable des méthodes employées par l’armée française en Algérie contre les terroristes : torture, aveux extorqués, viols… Elle a même été emprisonnée quelques jours à Alger lors de la tentative de putsch menée par des officiers français factieux en 1958, avant d’être libérée sans dommage pour elle suite à l’intervention de ses soutiens à Paris.

Elle affronta aussi le FLN algérien (Front de libération national) qui n’était pas vraiment un parangon de féminisme… En 1962, après la signature des accords d’Evian qui incluaient une amnistie générale des combattants des deux côtés, Djamila Boupacha fut libérée ; hébergée chez la famille Halimi elle fit part à Gisèle de son désir de rester en France pour y faire des études. Le FLN ne l’entendit pas de cette oreille et exigea que Djamila lui soit « livrée » pour qu’elle rentre en Algérie. Devant les menaces du FLN contre sa famille, Gisèle accepta que Djamila rejoigne Algérie, même contre sa volonté affichée.

Le second grand œuvre de sa vie fut celui de la libération de la femme à une époque où il y avait beaucoup à faire dans ce domaine. Elle partagea ses idées avec Simone de Beauvoir qui l’aida à forger sa stratégie en matière de féminisme. Elle fit beaucoup pour légaliser l’avortement. Elle devint ami de Jean-Paul Sartre qu’elle accompagna avec admiration et affection dans les dernières années de la vie du philosophe. Elle rencontra de Gaulle, Mitterrand, Giscard d’Estaing, fut élue député en 1981, occupa un poste d’ambassadeur de France à l’UNESCO.

Et cette suractivité ne l’empêcha pas d’entourer ses parents, ses enfants et la fin de son père atteint d’un cancer à qui elle permit de réaliser un dernier grand rêve : être décoré de la légion d’honneur.

C’est un parcours exceptionnel que celui de Gisèle Halimi, celui d’une femme d’honneur qui a défendu sa vie durant, avec intelligence et conviction, des principes d’humanisme. Contre vents et marées elle a combattu le colonialisme, la torture, la peine de mort, le patriarcat. Elle a été à l’origine d’avancées importantes dans ces domaines qui lui tenaient tant à cœur. Elle fut un personnage du Xxe siècle qui a participé à l’émergence de certaines des grandes idées de ce siècle. Décédée en 2020 elle eut les deux premières décennies du XXIe pour constater et, sans doute, déplorer l’affadissement intellectuel occidental d’une époque qui ne dénombre plus beaucoup de personnalités à sa hauteur.