Avec une unité désarmante la totalité des corporations, des communautés, des lobbys, des administrations, des députés, des sénateurs, des travailleurs et des retraités, tous, sans exception clament uniformément « ça manque de moyens ». Les agriculteurs, les gardiens de prison, les enseignants, les soignants, les policiers, les pompiers, les ambulanciers, les directeurs de théâtre, les bénéficiaires de niches fiscales, bref, 67 millions de Français appuyés indistinctement par tous les syndicats, les lobbys, les plateaux télévisés à grand renfort « d’éditions spéciales » et les partis politiques expliquent à longueur de radiotrottoirs larmoyants que tout s’effondre autour d’eux et si l’Etat grippe-sous ne leur octroie pas sans délai des aides, des subventions, des dotations à multiplier par deux, trois, dix ou cent versus ce qu’ils reçoivent déjà, le pays s’acheminera vers un effondrement fatal et irréversible. Toute idée d’économie est considérée comme une traîtrise sociale, sauf si elle est prévue chez les autres !
Même le syndicat patronal qui, devant l’ampleur du désastre financier dans lequel s’enfonce la République, avait envisagé au début du psychodrame parlementaro-budgétaire que les entreprises puissent aussi prendre leur part dans les nécessaires économies de dépenses publiques à faire, du moment que l’Etat fournisse également des efforts d’économie. Tout ceci est oublié et les lobbys patronaux se lamentent avec la meute à l’idée que les exonérations de charges sociales dont bénéficient leurs entreprises puissent être écornées, les conséquences annoncées sont chômage aggravé, faillites multipliées, investissements en berne, bref, tout le monde va mourir sans délai si la gabegie ne continue pas de s’accroître au même rythme.
L’intérêt général de la nation n’est plus défendu par personne, c’est devenu un concept préhistorique et incompréhensible pour la majorité des citoyens qui ouvrent de grands yeux vides, comme des vaches devant le passage à niveau, lorsqu’il est évoqué. Peut-être seule une vraie crise financière forcerait sans doute à ramener un peu de cohérence et de sens commun dans cet océan d’irrationnel mesquin et de misérables intérêts personnels. Le dialogue au parlement ou au Café du commerce est impossible, les uns hurlants « taxons les riches », les autres vociférant « favorisons l’économie de l’offre ». Personne ne s’entend plus sur rien et tout le monde demande à la République de faire ce qu’il ne fait pas chez lui ou dans son entreprise. « L’Etat paiera » semble être la nouvelle devise française.
Pour le moment les intérêts payés sur la dette augmentent, en volume comme en taux, mais la France trouve toujours des prêteurs pour financer ses déficits, donc elle ne s’en prive pas, « quoi qu’il en coûte ». A défaut de savoir gérer ses dépenses publiques, espérons que la République ne découragera pas ses créanciers à force d’engagements pris pour rassurer « M. le Marché » et qui ne sont jamais tenus. Le budget des intérêts payés aux créanciers dépasse les 50 milliards d’euros et se rapproche doucement du premier poste budgétaire, rang qu’il devrait atteindre sous peu. Les prêteurs touchent ainsi les dividendes des risques qu’ils prennent en prêtant mais cet argent sonnant et trébuchant n’est pas dépensé ailleurs. Notons d’ailleurs que sur cette dette de plus de 3 000 milliards d’euros, une petite moitié est détenue par des résidents français, dont des particuliers qui perçoivent ainsi une partie des intérêts versés.
Le chroniqueur qui a longtemps vécu en Afrique a entendu tous les matins pendant des années, chez lui comme au boulot : « ça manque de moyens patron ! » La France est sur la même voie en continuant à se rabougrir. Décadence quand tu nous tiens !