SCHULMANN Florence, ‘L’oiseau de Bergen-Belsen’.

Sortie : 2025, Chez : Grasset.

Florence Schulmann est née le 24 mars 1945 dans le camp de concentration de Bergen-Belsen où sa mère avait été déportée, enceinte. La famille Schulmann est originaire de Brzeziny, près de Lodz en Pologne. De confession juive elle été largement massacrée durant la IIe guerre mondiale et peu de ses membres ont survécu à l’extermination. Son jeune frère Yaakov a été arraché des bras de sa mère par un soldat nazi alors qu’ils étaient encore dans le ghetto de Brzeziny. Personne n’eut plus jamais de nouvelles de cet enfant, même le lieu de son assassinat reste ignoré. Il avait trois mois. Son père a été déporté au camp d’Auschwitz. De façon un peu miraculeuse, Florence et ses deux parents ont pu revenir vivants en France après la guerre. Vivants mais pas indemnes bien sûr.

Comme dans beaucoup de familles de rescapés de la Shoah, les parents Schulmann restent muets devant leur fille, désormais unique, sur les épreuves qu’ils ont traversées et auxquelles elle a participé « involontairement ». Sur son passeport était écrit qu’elle était née à « Bergen-Belsen », autour d’elle, enfant, elle disait qu’elle était de « Bergen »… en Norvège. Elle percevait la souffrance de ses parents et respectait leur besoin de silence. Ce n’est que sur son lit de mort en 1996 que sa mère lui a narré leur vraie histoire.

Elle avait déjà entrepris une plongée dans la mémoire juive de cette époque, voyagé en Israël à 17 ans, visité Yad Vashem. Elle raconte la stupeur du douanier de l’aéroport Ben Gourion lorsqu’il découvre son lieu de naissance sur son passeport. Grâce au récit de sa mère et à ses propres recherches elle a reconstitué la vie de ses parents et leur longue descente aux enfers concentrationnaires du ghetto de Brzeziny à celui de Lodz, puis Auschwitz, puis Bergen-Belsen où sa mère fait tout pour cacher sa grossesse de peur d’être assassinée par les Nazis qui ne voulaient pas s’embarrasser de nonourrissons, puis sa naissance au milieu du charnier quelques semaines avant la libération du camp par les troupes britanniques. Des années après, lors d’une cérémonie commémorative, elle rencontre un des officiers britanniques qui a libéré le camp, apprenant qui elle était il la prit dans ses bras et la « souleva de terre ».

Toute son enfance elle fait face au silence de ses parents, ne comprenant pas le douloureux dialogue, murmuré par eux, qui s’échappait la nuit de leur chambre alors que toujours et toujours ils revenaient vers l’enfer de cette barbarie, à Yaakov (dont elle n’apprit l’existence qu’à 7 ans), mais en préservait Florence qu’ils choyaient la journée.

Alors quand sa fille Karine est née, les parents de Florence l’ont accueillie dans un torrent d’émotion. Malgré tout, la vie reprenait… Et, plus tard, Karine eut trois enfants en Israël où elle réside et il est sans doute plus facile de vivre, voire de partager, un tel fardeau mémoriel.

Toute sa vie Florence a suivi le long chemin pour aboutir à ce livre émouvant qu’elle a finalement écrit à 80 ans. Après des rencontres en Israël avec d’anciens déportés, des visites à Bergen-Belsen, des recherches à Yad Vashem, au Mémorial de la Shoah, des dialogues avec des historiens, des partages avec des familles touchées par la Shoah, l’alya de sa fille Karine et, tout simplement, le temps passé, elle a rédigé cet ouvrage avec la journaliste Géraldine Meignan qui l’a aidée à « clarifier et traduire des émotions longtemps restées sous silence ».

Le prénom juif de Florence donné par sa mère était « Feiga » qui veut dire oiseau en yiddish. Après une vie de recherches et de réflexions sur l’impact de la barbarie européenne du XXe siècle sur sa vie, « l’oiseau » s’est lancé du nid pour laisser une trace derrière lui.

Il lui aura fallu 80 ans pour murir ce projet. Ce livre est un cri, celui d’une femme qui a approché le pire sans vraiment le vivre directement, mais qui sa vie durant eut à porter le poids mortifère du souvenir de cette terrible histoire. Elle a décidé de rompre le silence et d’écrire pour sa communauté, pour sa famille, pour ses parents, pour sa fille et ses petits-enfants et, certainement, pour elle et son mari. Elle a bien fait !