Un ex-président de la République française en prison

L’ancien président de la République Sarkozy a été emprisonné après sa condamnation par le tribunal correctionnel à cinq ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs ». Un appel est en cours et le condamné est donc de nouveau considéré comme innocent jusqu’au prononcé du jugement d’appel mais pour des subtilités juridiques un peu abscondes il a quand même été embastillé à la prison de la Santé dans le quartier réservé aux personnes protégées. Les spécialistes pensent qu’il devrait être libéré prochainement par suite du dépôt par ses avocats le jour de son incarcération d’une demande de libération en attendant le procès en appel.

L’affaire en question concerne les relations troubles que son clan a entretenues avec le régime libyen du dictateur Kadhafi et les soupçons de financements illicites, venant de Libye, de la campagne présidentielle de 2007 à l’issue de laquelle M. Sarkozy a été élu. D’autres personnes impliquées ont été condamnées dont un ancien secrétaire général de l’Elysée (Claude Guéant) et un ancien ministre (Brice Hortefeux) à des peines de prison, plus quelques autres comparses comme Alexandre Djouhri, affairiste sulfureux, ou Ziad Takieddine, intermédiaire douteux en armement et filouteries franco-arabes diverses, tous deux « amis » de nombre d’hommes politiques français et habitués des dorures des palais de la République. Ils sont titulaires de la double nationalité, franco-algérienne pour le premier, franco-libanaise pour son comparse. Le second est décédé au Liban où il avait fui sous le coup d’un mandat d’arrêt international, quelques jours avant le prononcé du jugement, le premier a été incarcéré le jour du jugement.

M. Sarkozy a par ailleurs été blanchi des accusations de « recel de détournement de fonds publics libyens » et de « corruption passive et financement illégal de campagne électorale ». Le tribunal a estimé que malgré les soupçons les preuves formelles qui devaient étayer ces accusations n’avaient pas été formellement réunies.

Il n’en reste pas moins que ces dix années de procès ont démontré l’incroyable imbroglio politico-financier mené par des élus et dirigeants français, avant et après l’élection présidentielle, avec l’un des plus féroces et abjectes dictateurs que la planète ait portés, M. Kadhafi, dont les services ont été, notamment, les donneurs d’ordre de l’attentat du DC-10 d’UTA qui a explosé au-dessus du Sahara tuant 170 passagers et membres d’équipage dont 142 Français, y compris les double-nationaux. Les déclarations des différents accusés ont tous confirmé et détaillé l’ampleur de ces relations malsaines. Comme ils l’ont eux-mêmes reconnu lors du procès, MM. Hortefeux et Guéant ont, notamment, rencontré à plusieurs reprises en Libye, Abdallah Senoussi, beau-frère du dictateur, chef du Service de renseignements militaires et, surtout, condamné par contumace à la prison à perpétuité par la justice française pour son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA.

Les deux impétrants ont expliqué au cours de leur procès qu’ils n’étaient pas informés par les organisateurs libyens de leurs voyages leur feraient rencontrer M. Senoussi et qu’ils n’avaient pas quitté la réunion séance tenante par peur de provoquer un « l’incident diplomatique ». Leurs déplacements en Libye étaient d’ailleurs officieux et non coordonnés avec l’ambassade de France locale. Quelques mois après l’installation de M. Sarkozy à l’Elysée, son homologue libyen était reçu en grande pompe à Paris. On se souvient des images ubuesques de la tente que le dirigeant libyen avait fait installer dans le jardin de l’hôtel Marigny, résidence officielle des invités d’Etat. Le doute subsiste pour savoir si cette invitation grotesque était une récompense offerte au dirigeant libyen pour service rendu. La France a même envisagé à l’époque de vendre à Tripoli des centrales nucléaires et des avions de combat Rafale. Heureusement ces engagements sont restés lettre morte et quelques années plus tard une coalition internationale menée par la France et le Royaume Uni mettait fin aux méfaits du dictateur, plongeant au passage le pays dans un chaos dont il n’est toujours pas sorti.

Il est désormais acté (et reconnu par eux) que les membres de l’équipe du candidat Sarkozy ont approché et négocié avec des tyrans en Libye, dont un condamné à perpétuité par la justice française. Une fois au pouvoir, le clan a déployé le tapis rouge de la République pour recevoir un clown sinistre avant de lui envoyer son armée ce qui a facilité son élimination physique par son opposition. L’aventure politique s’est terminée en 2011 par la mort de M. Kadhafi, l’aventure judiciaire se poursuit encore pour M. Sarkozy avec son passage en prison. Ses comparses ont été condamnés et certains sont aussi en prison. La responsabilité de l’ex-président français est engagée, il était le chef de ces pieds-nickelés et le tribunal a estimé que tout ce micmac d’aventuriers de rencontre n’avait pas pu être mené sans qu’il n’en soit informé. Il clame son innocence et refuse d’assumer ses responsabilités de chef. Un nouveau procès va se dérouler dans quelques mois et la Cour d’appel jugera de nouveau.

La morale de cette histoire est que lorsqu’on est un dirigeant responsable il ne faut pas transiger aussi ouvertement avec les principes de la démocratie : on ne copine pas avec des dictateurs. « Dictateur un jour, dictateur toujours », ces personnages reviennent toujours à leurs mauvaises habitudes. On peut laisser le secteur économique faire des affaires avec ce genre de pays, pourquoi pas, mais recevoir les dictateurs avec tous les fastes de l’Etat ne mène qu’à des désillusions. Négocier avec eux conduit à la perversion. M. Sarkozy l’a fait plus tard avec le président syrien El-Assad. Le président Macron a continué cette méthode avec son homologue russe Poutine. Les résultats n’ont guère été brillants. Plus récemment M. Macron a reçu le successeur syrien du président Assad, M. Ahmed al-Charaa, accueilli dans la cour de l’Elysée avec tapis rouge et gardes républicains malgré son passé de terroriste qui l’a vu frayer avec les mouvements terroristes religieux qui ont mis le Moyen-Orient à feu et à sang ces dernières années. Il est à craindre que l’issue ne soit guère différente.

Ces pratiques géopolitiques sont peut-être guidées par de « bons sentiments ». Elles ne sont pas raisonnables, certainement inefficaces, car il n’y a pas de rédemption possible pour ces dictateurs. M. Sarkozy doit actuellement méditer ce qui devrait être un précepte de la politique internationale.