La Russie constante dans sa volonté de nuire à l’Occident

En juillet 2021 le président russe a signé un long article de 15 pages qui justifiait comment l’Ukraine et la Russie ne formeraient qu’un seul et même pays que seules les forces maléfiques de « l’Occident collectif » s’évertuent à vouloir diviser pour monter la première contre la seconde.

Je suis convaincu que c’est en partenariat avec la Russie que la véritable souveraineté de l’Ukraine est possible. Nos liens spirituels, humains, civilisationnels se sont tissés depuis des siècles, remontent aux mêmes sources, se sont endurcis par les épreuves, les réalisations et victoires communes. Notre parenté se transmet de génération en génération. Elle est dans les cœurs, dans la mémoire des personnes vivant dans la Russie et l’Ukraine modernes, dans les liens du sang qui unissent des millions de nos familles. Ensemble, nous avons toujours été et serons bien plus forts et performants. Après tout, nous sommes un seul peuple.

Huit mois plus tard, en février 2022, les troupes russes envahissaient le voisin ukrainien et, presque quatre années plus tard la guerre fait toujours rage. Une partie de l’Ukraine est détruite ; on parle de centaines de milliers de morts et blessés des deux côtés ; on déplore les centaines de milliards d’euros déjà partis en fumée dans les chars et les canons ; on envisage avec crainte les centaines de milliards qu’il faudra dépenser pour reconstruire ce qui a été pulvérisé par les bombes et les obus.

Lire aussi : Le président russe et l’Histoire

Contre toutes attentes les troupes russes n’ont pas réussi à progresser en Ukraine au-delà de la partie est du pays, le Donbass frontalier avec la Russie. Elles occupent environ 20% du territoire, y compris la Crimée qui elle a été envahie en 2014. Depuis le déclenchement du conflit par Moscou le discours officiel russe consiste à asséner que c’est la Russie qui est attaquée et qu’elle est bien obligée de se défendre contre « l’Occident collectif », bien que ce soient des militaires russes qui stationnent sur le territoire ukrainien et non l’inverse.

Un certain nombre d’idéologues nationalistes, voire slavophiles, appuient largement ce discours en l’assortissant de menaces pas du tout voilées contre cet Occident qui les obsèdent. L’hebdomadaire Le Point a publié en mars 2025 une interview de Vladislav Sourkov, l’inspirateur des premières années de la stratégie déroulée par le président Poutine. Son personnage avait été repris dans le roman de Giulano da Empoli « Le Mage du Kremlin » sorti en 2022. Dans son interview Sourkov explique qu’une victoire pour la Russie serait :

L’écrasement militaire ou militaro-diplomatique de l’Ukraine. Le partage de ce quasi-Etat artificiel en ses fragments naturels. Il pourra y avoir, en cours de route, des manœuvres, des ralentissements ou des pauses. Mais cet objectif sera atteint.

Plus inquiétant il développe l’idée que « Le monde russe est partout où l’on trouve une influence russe, sous une forme ou une autre : culturelle, informationnelle, militaire, économique, idéologique ou humanitaire… C’est-à-dire qu’il est partout. […] Nous nous étendrons donc dans toutes les directions, aussi loin que Dieu le voudra et que nous en aurons la force. » C’est en termes plus sophistiqués ce que M. Poutine a affirmé à plusieurs reprises : « La Russie n’a pas de frontières, c’est là où des soldats russes ont posé leurs bottes. »

Pour M. Sourkov l’Ukraine a été entraînée dans sa rébellion contre la Russie par les deux coups d’Etats soutenus par l’Occident en 2005 et 2014. La partie antirusse de sa population est minoritaire selon lui. Il prédit par ailleurs que la culture du Grand Nord unissant la Russie, l’Europe et les Etats-Unis s’affirmera comme seul gage de survie face au développement démographique insoutenable du Sud, mais cette unité sera faite au prix de conflits et de tragédies.

Sinon, pour vous faire une idée de l’avenir de la France et des autres, vous n’avez qu’à lire Soumission, de Michel Houellebecq.

Aujourd’hui ce sont trois diplomates russes qui publient un article intitulé « Brûler jusqu’à la Manche ? Quelles garanties de sécurité efficaces à l’heure d’un affrontement historique entre la Russie et l’Occident ». Le « Brûler jusqu’à la Manche » fait référence au refrain d’une chanson écrite par un groupe de rock pro-régime. L’article se réfère à l’histoire de la Russie et des multiples conflits dans lesquels elle fut impliquée. Le ton retenu par les rédacteurs est celui de la victimisation de la Russie sous les coups de l’Occident. De Napoléon à Hitler, les ennemis historiques de la Russie restent les mêmes et sont à l’œuvre aujourd’hui pour tenter de détacher l’Ukraine de la Russie et, plus généralement, de coloniser la Russie et de « déslaviser » la région. Alors la seule façon pour la Russie de négocier sa survie est d’abord de vaincre militairement l’Occident.

Les expériences passées montrent que les pays occidentaux sont toujours mieux disposés à écouter nos propositions de refonte de l’architecture de sécurité (ou de simples garanties de sécurité) lorsque les troupes russes mettent le pied à Paris ou à Berlin.

Les rappels historiques de ce papier passent sous silence les conquêtes territoriales russes obtenues par les armes sous la dynastie des Romanov (1613-1917) période durant laquelle le territoire russe s’est significativement agrandi gagnant des accès à la mer Baltique et à la mer Noire, et vers le sud. L’Union soviétique qui lui succéda ne fut pas en reste non plus et, au-delà des conquêtes territoriales, son impérialisme fut aussi idéologique en tentant d’élargir le champ d’action du communisme et de son « avenir radieux ». Alors tous ces conflits ont opposé la Russie à l’Occident (mais aussi au Japon) se sont terminés par des victoires ou des défaites, militaires ou idéologiques, des uns et des autres. Les Russes en concluent qu’ils ont été la victime permanente de ces tragédies de l’Histoire, c’est leur vision des choses et elle semble justifier pour eux à « redoubler d’agressivité ».

Nous n’oublierons pas les leçons du passé. L’Occident n’a jamais voulu de la Russie en qualité de partenaire puissant et indépendant ; s’il la tolère, c’est comme victime ou comme trophée. L’heure est venue d’agir avec fermeté, assurance et détermination : c’est seulement alors que nous parviendrons à garantir notre sécurité et obtenir une paix durable à des conditions avantageuses pour nous. Toute hésitation et tout signe de compromis seront interprétés par nos ennemis comme une invitation à redoubler d’agressivité.

On voit que l’invasion en cours de l’Ukraine n’est qu’un élément de la stratégie russe de lutte contre l’Occident, sans doute pas le dernier. Il est probable que la Russie va faire reparler d’elle tant elle affiche une volonté « d’agir avec fermeté, assurance et détermination ». Ces « actions » seront très certainement dirigées majoritairement contre l’Occident collectif qui doit s’y préparer et, pour ce faire, accepter de sortir du confort douillet dans lequel s’endorment les nations qui le composent. L’avenir risque de secouer un peu le cocotier de son immobilisme. Les pays voisins de l’ogre russe seront sans doute les plus « secoués ».

Les sources

L’article « Brûler jusqu’à la Manche ? Quelles garanties de sécurité efficaces à l’heure d’un affrontement historique entre la Russie et l’Occident » (décembre 2025)

L’interview de Vladislav Sourkov (mars 2025)

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *