Démesure et rapacité

Le prochain départ du chef de la société Airbus déclenche les mêmes réactions étonnées sur le montant extravagant des sommes cumulées que l’impétrant devrait percevoir jusqu’à son décès. On parle d’une trentaine de millions d’euros. Evidement il y a là-dedans des actions dont les cours de vente ne peuvent pas être connus à l’heure d’aujourd’hui, mais que l’on peut néanmoins les évaluer et qui font partie de la somme. Ensuite, il y a ce fumeux concept de « retraite chapeau » qui consiste pour l’entreprise à verser une retraite additionnelle à son ancien dirigeant jusqu’à sa mort. Dans le cas de ce patron, il percevra un petit million d’euros annuel pour une vingtaine d’années compte tenue de la durée de vie moyenne d’un homme allemand (il est de cette nationalité) soit 80 ans. Comme le grand chef n’est pas le seul à bénéficier de tels avantages dans la compagnie et qu’à un moment donné il y a un dirigeant en poste mais au moins deux ou trois retraités encore en vie, on peut craindre que la société soit non seulement une industrie de construction aéronautique mais également une caisse de retraite pour VIP.

Comme toujours, le citoyen, ébahi, redécouvre ces avantages financiers extraordinaires. Comme souvent l’employeur explique que ces conditions sont celles « du marché », qu’elles sont largement supérieures aux Etats-Unis, qu’elles sont transparentes et contractuelle, que le dirigeant bénéficiaire a atteint ses objectifs, et bla-bla-bla, et bla-bla-bla.

La vraie question que doit se poser l’économie libérale serait : est-ce qu’un dirigeant payé moins cher pourrait faire le même travail avec des résultats équivalents ? La réponse est très certainement « oui » tant ces grands patrons sont interchangeables, mais le système ne veut pas tenter l’expérience, préférant garder ces avantages faramineux pour un petit groupe de happy-few au sommet de l’échelle. La mise en concurrence c’est bien pour faire baisser les prix des fournisseurs mais pas les salaires des dirigeants… Les actionnaires n’ont que peu d’états d’âme du moment que leurs dividendes sont au rendez-vous et, finalement, les rémunérations abracadabrantesques versées à leurs mandataires est importante rapportée à un individu mais peu de chose rapportée au chiffre d’affaires et aux profits des grands groupes mondialisés qui les versent. En réalité, rien ne justifie de pareilles rémunérations, ni l’intelligence, ni la compétence, ni les résultats de leurs bénéficiaires. Certains s’émeuvent de ce marqueur de l’incroyable augmentation des inégalités générée par la société capitaliste ces dernières décennies. Le chef de la société agro-industrielle Danone vient d’annoncer qu’il renonçait à sa retraite chapeau (1,2 millions d’euros/an) en ajoutant : « l’argent qu’on a ne nous appartient pas, il ne m’appartient pas. C’est l’argent de nos agriculteurs, c’est l’argent de nos consommateurs, c’est l’argent de nos salariés, c’est l’argent de la planète et c’est pour ça que cet argent restera là ». Certains patrons, français et américains notamment, ont lancé des appels pour être plus imposés. Ils restent largement minoritaires et Wall-Street ne s’est pas encore transformée en organisme humanitaire, mais ces prises de conscience sont bonnes à prendre, surtout lorsqu’elles sont suivies d’actes concrets comme dans le cas Danone. On espère que M. Danone ne va pas se rattraper autrement.