CHARLES-ROUX Edmonde, ‘Nomade j’étais – Les années africaines d’Isabelle Eberhardt’.

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Sortie : 1995, Chez : Editions Grasset & Fasquelle.

Edmonde Charles-Roux signe une magnifique biographie d’Isabelle Eberhardt, exploratrice du désert et d’absolu, journaliste et écrivain, fille illégitime d’une femme issue de la noblesse russe et d’un père arménien-anarchiste. Elle passe son enfance à Genève puis suit sa mère qui s’installe à Annaba (l’ancienne Bône), la grande ville de l’est de l’Algérie. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, l’Algérie est colonisée par la France qui y pratique un traitement différencié des populations selon qu’elles soient musulmanes ou d’origine métropolitaine. Isabelle y découvre la réalité du système colonial, guère brillante.

La biographie raconte les années 1900 à 1904. Elle meurt en octobre 1904, emportée par la crue d’un oued dans le village où Lyautey était installé pour lutter contre la rébellion marocaine. Ils ont sympathisé, beaucoup parlé ensemble. On dit qu’ils furent amants.

Isabelle parle arabe, s’est convertie à la religion musulmane et devenue membre d’une des nombreuses confréries secrètes locales au sein desquelles se mêlent religion et maraboutisme, voire, parfois, lutte anticoloniale. Elle fuit consciencieusement le monde européen et colonial pour s’intégrer aux populations arabes. Elle étudie leurs modes de vie et le Coran et, pour cela, crapahute à travers le pays. Fascinée par le Sud saharien, elle partage la dure vie des caravanes et s’exile dans des villages de bout du monde pour assouvir son besoin d’absolu.

Bien sûr, la plupart de ces territoires sont militaires et nécessitent des autorisations administratives pour les fouler. Elles seront l’occasion de rencontres avec certains officiers français, mystiques et lumineux, fascinés par le Sahara, qui vivent leur expérience du désert comme une communion, bien loin des bassesses de la colonisation.

Isabelle attise la méfiance des responsables coloniaux, civils et militaires, frisant parfois la paranoïa. Le plus souvent habillée en homme, membre d’une confrérie musulmane, une vie affective agitée avec des « indigènes », de nationalité russe ; et si elle utilisait ses relations locales pour participer à la rébellion anti-française ? Elle commettra des imprudences en laissant entraîner dans diverses affaires de complot. Elle sera explusée d’Algérie puis y reviendra après avoir acquis la nationalité française suite à son mariage avec Slimène, un sous-officier « indigène » de l’armée française.

Malgré un mode de vie des plus austères, Isabelle écrit pour laisser des traces de sa passion pour le désert et ses habitants. A la fin de sa vie elle est journaliste pour un journal algérien alternatif ce qui assure à son couple un petit revenu mais son grand-œuvre est constitué des nouvelles qu’elle écrit sur cette Algérie qu’elle vénère. Ces nouvelles et des extraits de son journal ayant survécu à cette vie d’errance seront publiés bien après sa mort.

Ce fascinant personnage d’Isabelle Eberhardt ne pouvait qu’intéresser Edmonde Charles-Roux, rebelle elle aussi à sa manière. Son style est romanesque. Avec des phrases courtes et ciselées elle sait diffuser ce parfum d’aventure qui rend le lecteur impatient de tourner la page. Ce n’est pas un roman, à peine un récit, c’est un riche mais mince aperçu de ce que fut l’incroyable vie d’une aventurière partie à la poursuite de ses rêves d’intégration dans le monde arabo-musulman et de son combat contre la colonisation. Le combat était juste et l’Algérie fut indépendante des décennies plus tard. Sa tentative d’intégration dans une communauté locale complexe, si loin des normes occidentales, fut plus délicate (elle fut victime d’une tentative d’assassinat), mais ne la découragea point. Elle semblait avoir trouvé un semblant d’équilibre dans sa vie professionnelle, son couple et sa fascination pour le Grand-Sud et ceux qui le peuple. Hélas, l’oued d’Aïn-Sefra en décida autrement le 21/10/1904 et emporta cette espérance et Isabelle qui la portait.