KLARSFELD Beate et Serge, ‘Mémoires’.

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Sortie : 2015, Chez : Le Livre de Poche n°35809.

Après moulte tergiversations et malgré un programme toujours très chargé pour enrichir la mémoire de la Shoah en France et poursuivre les nazis et leurs affidés à travers la planète, le couple Klarsfeld (une allemande non juive et un français juif) ont décidé, à presque 80 ans, d’écrire leurs mémoires. Le résultat est passionnant et on lit ces 1 000 pages en format poche comme un roman policier sauf que… ce n’est pas un roman mais le récit de l’engagement de la vie de ce couple pour que les crimes nazis commis contre les juifs ne soient pas oubliés, et puissent même être condamnés quand les coupables étaient encore vivants.

Le père de Serge est mort en déportation, celui de Beate a été soldat dans la Wehrmacht, la rencontre de ce couple improbable se fait sur un quai du métro parisien en 1960 où commence leur amour et un combat qui dure toujours. Ensemble ils ont lutté contre le retour au pouvoir d’anciens nazis (le chancelier Kiesinger en Allemagne en 1968, Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU puis président autrichien), ils ont traqué les nazis ayant fui l’Allemagne après la défaite pour se réfugier dans des dictatures et, parfois, collaborer avec les pouvoirs en place : Aloïs Brunner en Syrie, Mengele, Rauff ou Klaus Barbie en Amérique latine, ils sont arrivés à faire juger en Allemagne quelques criminels nazis de « haut vol » comme Liska ou Hagen qui menaient une vie tranquille en RFA.

Serge s’est plutôt spécialisé dans le traitement de la Shoah en France : faire reconnaître l’implication des gouvernants français dans les déportations, dans les lois anti-juives, allant même parfois au-delà des espérances nazies. Grâce à un colossal travail d’exploitation des archives ils vont à la fois confondre nombre de coupables français (Papon, Leguay, Bousquet…) et retracer en le documentant le parcours des juifs français victimes de la Shoah. Car on constate avec les auteurs que tout ou presque existait dans les archives sagement conservées par différents étages de la puissance publique : les noms de ceux qui ordonnaient les déportations, les notes manuscrites de Pétain sur le premier projet de loi anti-juive poussant à l’aggraver, les convois de la mort avec dates, horaires, numéros des wagons, listes des passagers, etc. Serge a publié plusieurs ouvrages retraçant en détails les parcours brisés de ces 76 000 juifs de France victimes de la Shoah, et particulièrement ceux des enfants

Les époux Klarsfeld ont passé 60 ans de leur vie dans les cartons d’archives, devant les tribunaux pour faire condamner les criminels nazis ou à la tête de manifestations à travers la planète pour protester contre l’impunité de certains criminels. Ils ont fait quelques séjours en prison pour avoir dépassé parfois les limites légales mais n’y sont jamais restés très longtemps. Leur incroyable ténacité leur a permis de faire changer des lois, condamner des coupables et, surtout, de soutenir et de réconforter la génération des enfants des déportés. Il n’y a guère de sujets liés à la Shoah en France où Serge Klarsfeld ne soit pas partie prenante, du Mémorial de la Shoah au discours du Vel d’Hiv du président Chirac, de la publication d’une documentation extrêmement détaillé et personnalisée sur les juifs assassinés à la politique d’indemnisation pour les orphelins.

Le style de ces mémoires est très sobre et factuel, rien de personnel ne transparaît dans ces pages uniquement consacrées à la narration des actions menées depuis 1960. Serge et Beate se passent la plume et chaque chapitre est rédigé par l’un d’eux. On sent transpirer dans ces mémoires l’incroyable et sereine volonté qui anime ce couple et lui a permis d’atteindre nombre de ses objectifs, sans haine particulière mais juste le but irrépressible de faire reconnaître les crimes commis, d’en perpétuer le souvenir et de soutenir les fils et filles des victimes.

Leur fils Arno (le prénom du père de Serge mort à Auschwitz-Birkenau), avocat comme son père, a pris le relais et les épaule déjà dans leurs actions depuis plusieurs années. Dans une postface à l’ouvrage, Serge constate qu’à plus de 80 ans sa tâche se termine mais que la mémoire de la Shoah exige que le combat se poursuive.