Sortie : 1998, Chez : Editions Denoël.
François Debré (1942-2020), fils de Michel Debré (premier ministre du général de Gaulle et rédacteur de la constitution de la Vème République), est un journaliste récipiendaire du prix Albert Londres en 1977 pour son essai sur la Khmers rouges qui a couvert nombre des grands conflits du XXème siècle, du Biafra à l’Asie du Sud-est en passant par le Moyen-Orient. Sa fréquentation de ces lieux et périodes troubles l’a aussi fait sombrer dans la drogue (opium puis héroïne) dont il ne s’est jamais vraiment sorti même s’il a su éviter une issue fatale puisqu’il est mort à 78 ans.
« Trente ans avec sursis » est en fait un roman largement autobiographique et le personnage principal, Bertrand, vit les différentes étapes vers la déchéance que François Debré a lui-même endurées. Quelques chapitres sont consacrés à des moments de journalisme de guerre pour situer le décor et le personnage, mais l’essentiel narre la descente dans l’enfer de la dépendance où il entraîna également sa femme qui, elle, en mourra prématurément, drame dont il ne se remettra jamais.
Hospitalisé durant plus d’un an à l’hôpital psychiatrique parisien de Sainte-Anne il décrit cette attirance morbide pour la drogue et la dépression, sa culpabilité d’inquiéter les siens et surtout ses deux filles, l’absence irréparable de sa femme aimée à la folie, la fréquentation des autres malades soignés ou enfermés dans cet établissement, et puis, sorti de l’hôpital, le retour au monde glauque des dealers et des interpellations par la police. Bref, la vie « ordinaire » d’un drogué qui malgré son nom et son milieu n’a pas réussi à s’extraire de la dépendance.
Le style de ce roman-vérité est simple et factuel, mais aussi terrifiant sur le niveau de déchéance auquel ces produits stupéfiants peuvent mener. François Debré y raconte avec délicatesse et fatalisme sa longue errance de la guerre du Biafra aux illusions des paradis artificiels. On pressent qu’il écrit ce livre non pas pour se justifier ou pour convaincre, mais pour expliquer sa vérité à ses deux filles et à ses proches. C’est émouvant à ce titre mais terrifiant quant au pouvoir d’attraction de ces drogues sur ceux qui s’y abandonnent, quelques soient leurs origines et modes de vie.