Oscar Kokoschka (1886-1980) est un artiste autrichien qui a traversé le siècle et fait l’objet d’une vaste et profitable rétrospective au Musée d’Art Moderne. Une bonne occasion de le découvrir pour ceux, sans doute nombreux, qui l’ignoraient. Peintre, écrivain, dramaturge et poète, il s’est surtout fait connaître pour son œuvre picturale.
Ses portraits (et autoportraits) sur des fonds sombres montrent des personnages torturés, rares sont ceux qui sourient. Ils sont présentés avec des traits accentués, un peu à la façon de Lucian Freud, peints à grands coups de brosses, souvent avec des mains surdimensionnées aux articulations noueuses et osseuses (on dirait des mains de squelettes).
Engagé dans l’armée austro-hongroise en 1914, il est blessé grièvement durant cette guerre qui le laissera profondément déprimé. Une petite salle est consacrée aux dessins et peintures que lui inspira ce conflit, des embrouillaminis confus de traits de peinture pour des paysages et des ombres de personnages évoquant ce chaos. Sa famille étant d’origine juive il va affronter la montée du nazisme dans les années 1930 et sera qualifié d’artiste « dégénéré » par le pouvoir allemand. Il fuit l’oppression nazie en se réfugiant en Grande-Bretagne. Après la guerre il poursuit son œuvre et voyage à travers en Europe et en Afrique du Nord dont il revient avec de nouvelles inspirations, parfois plus bucoliques mais toujours troublantes.
Kokoschka mène une idylle passionnée et chaotique avec Alma Malher, veuve de l’immense musicien Gustav Malher, elle-même compositrice, entre 1912 et 1915 avant qu’elle ne le quitte. Cet amour fou et sa triste fin vont lui inspirer des œuvres et des dérives : il se fait composer une poupée grandeur réelle à l’image d’Alma avec laquelle il va vivre quelques temps avant de lui trancher la tête un soir de beuverie…
Avec Kokoschka, Alma Malher, Klimt… c’est une histoire de géants au cœur de notre vieille Europe dévastée par la barbarie qu’elle n’a pas su éviter durant la XXème siècle. L’œuvre de Kokoschka illustre ce parcours d’un temps de violence mais aussi de création où l’amour, les guerres, la dépression ont inspiré cet artiste dont la peinture, moderne sans être trop contemporaine, reste accessible et profonde, même pour le néophyte. Elle marque avec talent la tragédie d’une époque et l’ampleur de son auteur. Il est décédé en 1980 à 93 ans après avoir traversé le pire d’un siècle de dévastation mais aussi participé au meilleur de sa créativité.