« Esclavage, mémoires normandes » à l’Hôtel Dubocage de Bléville du Havre

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C’est la partie havraise de l’exposition sur l’esclavage partagée entre les villes de Rouen, Honfleur et Le Havre. La traite des esclaves a considérablement enrichi les armateurs normands et toute la région, comme ce fut le cas pour les autres ports « négriers » de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Le Havre revient sur cette histoire trouble dans l’hôtel Dubocage de Bléville, du nom du navigateur-explorateur havrais (1676-1727) qui y installe une grande maison de négoce maritime après un voyage de neuf années qui l’a mené jusqu’en Chine.

L’histoire est désormais connue et documentée mais il ne fait jamais de mal d’y revenir. L’Europe disposait de colonies en Amérique (sur le territoire continental américain et les îles des Caraïbes [Saint-Domingue notamment]) qui produisent des biens (coton, bois, cacao…) qui étaient vendus sur le vieux continent qui, à l’époque, est encore « neuf ». Au début travaillaient dans les colonies des européens plus ou moins volontaires. Assez rapidement il fallut augmenter la productivité de la production et seule une force de travail « bon marché » pouvait permettre d’attendre cet objectif. Les Etats comme la France encouragent l’achat d’esclaves en Afrique et leur installation dans les colonies d’Amérique. Le « code noir » officialise en 1685 sous Louis XIV ce trafic dit « triangulaire » tout en édictant quelques limites pour le traitement des exclaves, qui furent généralement allègrement dépassées.

Les marchands esclavagistes français affrétaient des bateaux quittant les ports français chargés de « verroterie » (bracelets, bijoux de pacotille, mais aussi des armes plus ou moins antédiluviennes) qui servaient à payer les esclaves achetés à leurs propriétaires africains. L’esclavage existe bien entendu depuis des millénaires, y compris en Afrique. La traite (le « commerce » de ceux-ci) se pratique également depuis des lustres mais la « traite atlantique » va industrialiser le phénomène avec des objectifs « commerciaux » ambitieux. Pour les atteindre il va falloir déshumaniser les esclaves et les traiter comme des « intrants » au processus industriel…

L’exposition de l’Hôtel Dubocage revient sur les différentes étapes de ce trafic d’êtres humains et sur les conditions de celui-ci à travers des tableaux et des gravures d’époque. Sont également exposés des relevés « comptables » des échanges de marchandises : combien de verroterie remises aux vendeurs locaux pour acheter les esclaves. Ceux-ci étaient complètement anonymisés sur ces relevés : pas de nom, juste des valorisations. Des schémas montrent la disposition des esclaves dans les bateaux qui les transportaient d’Afrique vers les Amériques, installés tête-bêche dans les entreponts du navire où ils ne pouvaient pas même se tenir debout, ce qui n’est pas sans rappeler les châlis où étaient entassés les déportés dans les camps de concentration allemands de la seconde guerre mondiale. Cela explique les taux de mortalité de 10 à 20% constatés au bout du voyage et consciencieusement notés sur le journal de bord car venant minimiser la marge des négociants.

Les conditions de vie dans les plantations antillaises où ils étaient débarqués n’étaient guère meilleures et leurs maîtres prenaient des libertés avec le « Code noir » et avaient quasiment droit de vie ou de mort sur leurs esclaves. Certains esclaves se révoltèrent, en Haïti notamment, d’autres furent libérés, certains mêmes habitèrent aux Havre pour servir leurs maîtres en France. Il y eut tout de même des consciences pour s’élever contre l’esclavage comme l’écrivain havrais Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre qui publia « Paul et Virginie » en 1788. Ouf, cela rattrape un peu la réputation de la région…

Une exposition troublante !

Voir aussi : https://esclavage-memoires-normandes.fr/