Sortie : 2015 (1958), Chez : Les éditions du Chemin de fer.
Publié pour la première fois en 1958, ce roman de Claude Simon (1913-2005) parle du traumatisme des hommes de son temps qui ont vécu l’effondrement moral de l’Europe qui voit le fascisme y prendre le pouvoir dans les années 1930 et mener le continent à sa destruction au terme de la seconde guerre mondiale. Il a, de plus, perdu son père tué au cours de la guerre de 1914-1918. L’écrivain a fait son service militaire en 1934/1935, a voyagé ensuite, notamment en Espagne pour écrire sur la lutte à mort des Républicains contre le régime franquiste. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier par les Allemands en juin de la même année, s’évade, termine la guerre à Paris avant de mener son brillant destin d’écrivain qui le mènera jusqu’au prix Nobel de littérature en 1985.
Ce court roman se déroule dans une unité de cavalerie (à cheval et non pas avec des chars), le narrateur, sans doute proche de Claude Simon lui-même, raconte les convois interminables de ces longues files de chevaux et de leurs cavaliers sur des routes improbables, souvent de nuit et sous une pluie glacée. Les dialogues entre les soldats sont courts, parfois légers dans cette atmosphère guerrière. Mais il n’y a pas de combats, seulement la possibilité de la mort qui rode. On ne sait pas où vont ces cavaliers. Ils ne le savent pas eux-mêmes, suivant le convoi qui, parfois, s’arrête de longs moments, comme lors d’un bouchon sur la route, avant de redémarrer lentement, sans doute vers Dunkerque et, pour les plus chanceux, une évacuation vers le Royaume Uni, ou vers de nouveaux combats dont ils sortiront morts, blessés ou prisonniers.
Il y a des escales dans ce long cheminement vers l’inconnu. Parfois la troupe s’arrête dans un hameau où elle trouve un abri précaire dans des granges pour les hommes et les chevaux. Elle s’y mêle aussi à la vie des habitants qui continue. Les petits conflits locaux, des femmes qui passent et les émeuvent, des souvenirs de leur vie d’avant et des leurs laissés au village. Les guerriers partagent leur vie avec celles des chevaux qui les portent et leur sont indispensables. Une nuit l’un des chevaux, malade, agonise, couché sous un abri, veillé par les hommes qui ne sont pas complètement indifférents à sa fin. Il symbolise aussi la douloureuse défaite de l’armée française en cette année 1940.
Avec ce récit Claude Simon a posé les bases de « La route des Flandres » qui sera publié en 1960. Son style est un merveilleux équilibre entre concision des thèmes et richesse des mots (le lecteur lambda doit régulièrement consulter son dictionnaire…). Le choix des termes et des phrases dénote comme la mélancolie de cet exode à travers un pays à la dérive. La camaraderie de soldats exilés est touchante malgré leur détachement face aux évènements. Nous sommes en pleine débâcle, mais on ressent comme une certaine douceur tragique dans cette atmosphère de pré-apocalypse.
Sur leurs chevaux hagards les cavaliers-soldats parlent de Dieu !