A-t-on touché le fond de la bêtise humaine ?

On apprend qu’un « créateur de contenu », nouveau qualificatif pour « influenceur », ancien militaire français gagnant désormais sa vie en se faisant humilier et martyriser, y compris physiquement, en direct sur la plateforme « KICK » est décédé. Ce sont d’autres « créateurs de contenu » qui pratiquaient les sévices et doivent aussi probablement partager la rémunération versée par les abonnés payant sur la plateforme pour visionner ces joyeusetés.

Mais les tortures sont allées un peu loin ce 18 août et le torturé est… mort en direct. Il semble que le live était déconnecté lorsque le décès a été constaté mais tous les sévices ont bien été suivis en direct durant douze jours par des spectateurs payants. Tout un programme ! On se demande qui est le plus à plaindre, du décédé, des organisateurs ou de leurs spectateurs ? Les premiers résultats d’une autopsie pratiquée sur « l’influenceur » concluent que le décès n’aurait pas « une origine traumatique » mais serait sans doute dû à une faiblesse médicale de cette personne.

Tous sont des victimes de l’abrutissement général de notre société, des talk-show affligeants tenus sur les médias du groupe Bolloré aux photos et messages de Nabilla suivis par 9,5 millions de personnes sur Instagram, de l’héroïsation des fouteballeurs aux débats de « Café du Commerce » échangés à l’assemblée nationale, tout tire la société vers le bas, la facilité, la déresponsabilisation et l’éloigne de l’intelligence. Un petit clic sur KICK permettra assez facilement de se rendre compte que cette plateforme ne va pas pousser nos enfants à lire Raymond Aron pour comprendre le monde.

Devant l’inanité d’un tel spectacle notre monde libéral est pris à son propre piège. Le sens de la liberté qui le guide voudrait que l’on ne régule pas ce genre d’émissions, insultes à la raison, en pariant sur son élimination naturelle par l’émergence de séquences plus intelligentes, en une sorte de darwinisme cathodique. Ce n’est hélas plus le cas : Nabilla en roue libre tangente les 10 millions de followers mais il a fallu de ne pas renouveler le contrat public d’attribution de la fréquence de télévision numérique terrestre (TNT) pour faire disparaître, temporairement, le clownesque Cyril Hanouna du paysage télévisuel français (PAF) dans l’émission duquel défilaient Nabilla et aussi… le monde politique ! Hanouna doit renaître de ses cendres dès la rentrée sur une autre chaîne où il devrait poursuivre son œuvre d’insalubrité publique. On ne va pas mettre Hanouna en prison pour l’empêcher de sévir, en revanche les « créateurs de contenu » qui ont torturé leur victime risquent les foudres de la justice ce qui ne semble pas le cas pour les spectateurs.

C’est LE dilemme de notre société : comment trouver les voies et moyens pour que l’intelligence puisse stopper d’elle-même la progression de la bêtise sur les écrans ? Comment faire pour que des suiveurs de plateformes abrutissantes privilégient la lecture de Raymond Aron au visionnage d’émissions dégradantes ? Jusqu’ici on n’a pas trouvé de solution viable si ce n’est d’appliquer les méthodes de contrôle des médias russe ou chinoise, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour.

Durant les « trente glorieuses », les années 1945-1975, la France était sur la voie de la croissance, non seulement économique mais aussi celle de l’intelligence collective. Le mouvement s’inverse depuis les années 2000, le pays et sa population se rabougrissent dans l’impuissance générale. Peut-être est-ce le cycle de vie naturel d’une nation, hélas !