Massive Attack – 2025/06/09 – Paris Le Zénith

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On ne se lassera jamais des concerts de Massive Attack qui provoquent toujours un embrasement de tous nos sens, mais il va falloir commencer à faire évoluer le format et renouveler la musique. Le groupe trip-hop semble un peu négliger la nouveauté et se transforme progressivement en groupe politique, privilégiant ses engagements à la musique, ou transformant celle-là en véhicule de celle-ci. Leur dernier CD, Heligoland, date de 2010, quelques rares EP sont venus meubler le vide depuis, le site web est inaccessible, leurs pages Facebook et Instagram sont converties en organes de soutien à la cause propalestinienne et de lutte pour la transition écologique. Toutes ces convictions du groupe ne sont pas vraiment inédites mais seraient d’autant mieux défendues avec une inspiration musicale renouvelée.

Qu’importe, laissons à ces sombres créateurs la sélection de leurs choix artistiques et politiques. Leurs shows restent un brasier sur lequel s’enflamment nos sens depuis des années, même sur une musique et des mots que nous connaissons par cœur. Leurs messages politiques, eux, évoluent au gré des tristes évènements qui agitent notre monde. Cette année ils sont tournés contre les effets nauséabonds des outils numériques utilisés pour contrôler les individus et, bien sûr, vers l’insoluble et mortifère conflit au Proche-Orient.

C’est d’ailleurs un groupe palestinien qui assure la première partie : 47SOUL ; un trio composé d’un guitariste, un claviériste (sur un instrument petit modèle), un batteur jouant sur un kit électronique. Mi-rap mi-rock, le groupe chauffe la salle plus que correctement !

Le show des Massive Attack débute ensuite sur un mode classique après que les écrans ont fait défiler un déluge de fakenews qui dégoulinent sur l’immense écran en courtes lignes comme les annonces des avions dans un hall d’aéroport, dénonçant ainsi l’insondable océan de cochonneries dans lequel se noient les gogos avec délices. Elles sont sans doute en partie prélevées sur les réseaux dits « sociaux » mais aussi « créées » pour l’occasion pour illustrer l’absurdité de ce monde de la connaissance qui allie la réflexion la plus élaborée avec la bêtise la plus crasse.

Défilent également des slogans de circonstances : Am I real? Can I know? Do I matter? Can I feel? Is choice real? certains en français : Puis-je craindre l’inexistence ? Tous un peu simplistes.

Alors que les musiciens s’installent la vidéo d’intro montre et commente un singe à qui la société Neuralink (détenue et dirigée par Elon Musk) a greffé deux puces dans le cerveau, connectées à un ordinateur. En manipulant un joystick le singe accède à un smoothie à la banane. Son activité neuronale est alors enregistrée, décodée, puis l’ordinateur est débranché et le code est diffusé sans fil vers les puces Neuralink du singe qui continue à actionner le joystick comme si l’ordre venait toujours de l’ordinateur, laissant imaginer sans trop de difficultés ce que pourrait donner cette technologie si elle aboutissait dans des mains malveillantes…

Deux batteries, un claviériste épisodique, le bassiste d’anthologie, deux guitaristes qui remplacent feu Angelo Bruschini, 3D (Robert del Naja) et Daddy G (Grant Marshall), les deux chanteurs-compositeurs historiques du groupe, Horace Andy le rasta au grand cœur et, en appui, Elisabeth Fraser et Deborah Miller pour les morceaux à composantes féminies. 3D porte un t-shirt siglé PRESS sous sa veste noire avec son habituel brassard au bras gauche. Daddy G, longiligne, dégingandé sous son blouson de cuir noir, affiche une démarche chaloupée. Horace, 74 ans, intégralement vêtu de cuir noir, ses dreadlocks gris dégoulinant sur les épaules et une croix autour du cou, toujours chéri par le public, est acclamé sur Angel.

Le concert démarre (et se clot), sur In My Mind, une reprise du DJ italien Gigi D’Agostino dont il n’est joué ici que le premier couplet chanté par 3D avec une voix traitée qui la fait ressembler à celle d’un petit chanteur à la croix de bois…

And in my mind, in my head
This is where we all came from
The dreams we have, the love we share
This is what we’re waiting for
In my mind, in my head

In My Mind (Gigi D’Agostino)

S’en suivent Risingson et un concert qui est grosso-modo le même que celui que nous avons eu l’été dernier au festival Rock en Seine 2024. A défaut de surprises, la musique urbaine des Massive Attack reste fascinante et ténébreuse. C’est le son de l’underground, le rythme halluciné de la ville et la noirceur des temps de ce XXIe siècle qui voit monter les angoisses, revenir les peurs et enfler les périls.

Les mots prêtent à toutes interprétations, les écrans flashent de lumières aveuglantes, des vidéos guerrières dénoncent les violences. Sur Black Milk les écrans montrent les rues de Gaza, les champs de bataille ukrainiens, des chaînes d’usines d’armement… La « célèbre » séquence où l’on voit Yahya Sinouar cheminer avec des enfants dans les tunnels de Gaza est acclamée, l’apparition de Netanyahou sur les écrans est sifflée, celle de Staline laisse froid… et la musique obsédante continue à marteler les esprits, sans répit ni espoir et à déverser son métal en fusion sur nos âmes.

Rockwrock, reprise d’Ultravox est un déchaînement de pur rock. Mais les Massive Attack savent aussi revenir vers une mélancolique douceur avec la simplicité instrumentale et la voix sublime d’Elisabeth Fraser (ex-Cocteau Twins) sur Teardrop et ses mots d’amour dont on ne sait pas s’ils sont rêve, désir ou cauchemar.

Love, love is a verb
Love is a doing word
Feathers on my breath
Gentle impulsion
Shakes me, makes me lighter
Feathers on my breath

Teardrop on the fire
Feathers on my breath

Night, night of matter
Black flowers blossom
Feathers on my breath
Black flowers blossom
Feathers on my breath

Teardrop on the fire…

Teardrop

Sur Karmacoma, 3D et Daddy G se passent la parole, leurs voix surnagent dans le beat de bass et de la double batterie, leurs silhouettes se dessinent en contre-jour sur un éclairage tournoyant d’un blanc des plus froids. L’audience est muette de plaisir ou inquiétée par le tempo lent et sauvage. Et c’est avec ce désormais classique du trip-hop qu’ils nous emmènent vers un In My Mind, susurré dans les vocodeurs qui termine le concert. Il n’y aura pas de rappel, les musiciens applaudissent le public et se retirent discrètement laissant les spectateurs abasourdis.

La fin d’un concert de Massive Attack c’est comme refermer la dernière page de La Route de McCarty, nous savons maintenant que nous ne nous en sortirons pas !

Setlist

In My Mind (Gigi D’Agostino cover)/ Risingson/ Girl I Love You (with Horace Andy)/ Black Milk (with Elizabeth Fraser)/ Take It There/ Future Proof/ Song to the Siren (Tim Buckley cover) (with Elizabeth Fraser)/ Inertia Creeps/ Rockwrok (Ultravox cover)/ Angel (with Horace Andy)/ Safe From Harm (with Deborah Miller)/ Unfinished Sympathy (with Deborah Miller)/ Karmacoma/ Teardrop (with Elizabeth Fraser)/ Levels (Avicii cover)/ Group Four (with Elizabeth Fraser)/ In My Mind (Gigi D’Agostino cover)

Warmup : 47Soul

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