Sortie : 2025, Chez : L’Harmattan.
Récit-roman plus ou moins autobiographique, ce livre raconte le périple d’un homme engagé dans l’économie sociale et solidaire (ESS). C’est son long cheminement pour faire exister une organisation avec des volontaires qui ne sont pas habitués à ce genre de structures, certes solidaires mais devant aussi se soumettre aux règles de fonctionnement d’une entreprise devant gérer un effectif et équilibrer un budget, sans perdre de vue son objet affiché : solidarité et justice sociale. Alors il raconte la recherche permanente de financements, souvent publics, dans la jungle des structures politico-administratives, la gestion des hommes et femmes qui composent l’organisation, sans déroger à l’aspect solidaire de l’affaire, les combats de tous les jours pour faire du « social » dans un monde libéral…
Mais ce livre est aussi l’occasion pour son rédacteur d’exprimer ses idées sur « l’universalisme noir » et c’est sans doute le plus intéressant. Lui-même issu de parents immigrés du Bénin, l’auteur-narrateur développe ses sentiments sur la matière sensible de sa double-appartenance, française et béninoise, blanche et noire. Il y a de l’ambivalence dans ses mots : se sent-il béninois ou français ? C’est pour essayer de répondre à cette question qu’il lit Franz Fanon, Bukowski ou James Baldwin, admire Angela Davis, Nelson Mandela et Aimé Césaire, et fréquente avec émotion et respect les lieux du calvaire de ses ancêtres, de Harlem à l’ile de Gorée. Il manifeste une admiration perceptible pour Fanon, Malcom X ou les Black Panthers qui furent des combattants de la Cause avec leurs méthodes pas toujours très orthodoxes.
Dans les rues de Harlem il visite le « Center for research in black culture », se prend en photo devant l’Apollo theater où tous ses héros musicaux se sont produits, sur Time Square il discute avec un marchand ambulant probablement sénégalais, venu vendre des sandwichs dans les rues de New York car la pêche ne lui permettait plus de faire vivre sa famille au pays, et qui l’envie d’être né Français en France mais le narrateur lui répond :
Toi, tu as de la chance de ne pas te poser toutes ces questions sur qui tu es. Moi, je suis constamment dans ce tiraillement. Ici, je ne me sens ni vraiment français, ni vraiment béninois. Parfois, je sens que mes racines africaines sont plus proches de moi, mais en même temps je ne me sens jamais vraiment à ma place, ni en France ni ailleurs. C’est un sentiment constant.
C’est un échange un peu surnaturel entre un travailleur de rue sénégalais aux Etats-Unis (probablement en situation illégale) tourné vers sa survie et celle de sa famille restée au pays, et un Français d’origine béninoise en villégiature à New York pour se pencher sur le passé douloureux de ses ancêtres.
Lors d’une visite mémorielle sur l’Ile de Gorée, point de départ de milliers d’esclaves africains arrachés à leur continent pour être déportés vers l’Amérique durant des siècles, le narrateur rencontre un vieux sage sénégalais qui lui dit :
C’est bien de commémorer, de se souvenir, mais qu’est-ce qu’on en fait, de cette mémoire ? Si c’est juste pour pleurer sur les cendres de l’Histoire, on n’avancera jamais. Nos ancêtres ont lutté, ils ont survécu. A nous de reprendre le flambeau, pas pour pleurer, mais pour agir.
Mamadou Kébé (historien sénégalais)
Action versus lamentation, c’est le dilemme dans lequel se débat une partie de la population française « issue de la diversité », venue vivre dans le pays qui a fait le commerce de la traite négrière jusqu’à ce que l’esclavage soit définitivement aboli en France en 1848. Cet incongruité génère un mal être parfois revendicatif dans cette diaspora postcoloniale, remuée parfois aussi par les théories « décolonialistes » véhiculées par la pensée « woke ».
Cette ambiguïté est exprimée ici par Régis Pio avec modération mais sans cacher ses interrogations qui nourrissent son mal-être, heureusement pas forcément universel.


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