Festival Rock en Seine – 2007/08/24>26 – Paris Parc de Saint-Cloud

Björk en Seine

C’est l’évènement culturel et musical de la rentrée : après deux prestations dans le Sud en début de semaine qui ont embrasé les arènes de Nîmes, Björk et sa troupe glacio-technoïde s’installent à Saint-Cloud pour le final de Rock en Seine. La composition fut époustouflante, à la hauteur des plus hautes attentes des 20 000 spectateurs qui se pressaient devant une scène bariolée de drapeaux aux couleurs fluo, dessinés d’animaux divers.

A 21h40, alors que la pression (physique) devenait difficile pour les premiers rangs et l’intensité (artistique) insoutenable pour les fans en haleine, les musiciens se mettent en place : une section de cuivres-choristes islandaise composée d’une dizaine de femmes habillées en bouteille d’Orangina, aux couleurs flamboyantes du dernier album Volta, chacune un fanion rouge au dessus de la tête, un claveciniste, un batteur ainsi que Mark Bell et Damian Taylor, préposés aux machines et à l’électronique (voir encadré sur la Reactable). Une voute laser strie le ciel depuis le fond de la scène et Björk apparaît sur les premières rythmiques numériques obsédantes de Innocence. Pieds nus, vêtue d’une robe de fée à dominante dorée (très légèrement inspirée de la tenue de clown triste de Bowie sur le clip Ashes to Ashes), le front maquillé d’or et des mèches blanches dans les cheveux, elle parcourt déjà la scène de ses pas décalés et légers, dans le froufroutement inaudible des plis de sa chasuble moirée. Les bras tendus sous les lasers déchirant la nuit elle nous invite à la suivre dans une plongée au cœur de ses mystères.

Les 20 000 spectateurs hypnotisés par ce prologue libérateur vibrent déjà lorsque résonne la rumeur sinistre de l’intro de Hunter (de son avant-dernier disque Homogenic) : I’m hunting/ I’m the hunter/ (but you just don’t know me). Oui, Björk chasse inlassablement la nouveauté armée de sa seule foisonnante créativité. Elle tend à la fusion de l’électronique avec la stridence de sa voix cristalline, en une exceptionnelle unicité temporelle, visuelle et auditive. Et pour mieux nous enrôler dans cette quête, Hunter se clos sur le jaillissement soudain des mains de l’artiste d’un filet synthétique jeté vers la foule en deux cônes inextricables. Telle une Spider-woman spirituelle elle nous capte dans les rets étroits de son univers étrange et poétique, que nous n’avons d’ailleurs aucune envie de quitter, petits poissons consentants pris au piège de la pieuvre dominatrice, nous nous laissons dévorer avec délice.

S’ensuivent Joga et le déchaînement électronique de Earth Intruders. C’est le cri du centre de la terre, là où tout n’est que magma brûlant et d’où s’élève en une colonne volcanique le cri de Björk : We are the earth intruders/ We are the paratroopers/ Stampede of sharpshooters/ Voodoo… Le public captivé écoute religieusement l’éruption musicale qui s’échappe de la scène en coulées numériques et suit les pas de funambule de sa créatrice, voletant d’un incendie à une incandescence, dodelinant de la tête et contrôlant l’énergie.

Puis viennent d’autres retours aux albums du passé avec I miss you, Army of me (terrifiant), Hyperballad, Hidden place, Pagan poetry, 5 years, Pluto. Qu’elle soit à coté du claveciniste pour une bouleversante ballade, aux pieds de ses choristes pour s’unir à elles où parcourant inlassablement la scène elle fait toujours preuve d’une incroyable présence, d’une fulgurante personnalité. Seul faille à ce contrôle total sur les évènements un léger tic qui lui fait jouer avec la langue avant ses phrases.

On la croirait descendue du carrosse de Cendrillon pour nous délivrer le message d’un monde dont elle seule a les clés, celui d’une musique complexe et d’une poétique troublante. Telle une réincarnation évanescente du Petit Prince sur sa planète, elle a planté son arbre dont les racines nous enserrent dans une féérie de modernité et de subtilité.

Derrière l’image idyllique et pure de ce petit lutin de l’électronique et de la modernité se cache en réalité une artiste accomplie, au sommet d’une inspiration qui synthétise tous les courants musicaux et visuels du monde d’aujourd’hui.

L’unique rappel se termine sur un Declare Independance qui fait parler la poudre ! Les rythmes électronique s’entrechoquent et se superposent sur les hurlements libérateurs d’une Björk qui fait reprendre son hymne à tout le Parc : Raise the flag/ Raise the flag (higher, higher) ! Les écrans vidéo de chaque coté de la scène s’emballent sur des prises de la Reactable et autres écrans tactiles musicaux, machines sonores étranges manipulées par des apprentis sorciers qui en extraient des sons bouillotants et des rythmes furieux. Sous une cathédrale débridée de lasers hallucinés, les bras en croix Björk marque le beat infernal de son refrain sous une pluie de cotillons argentés puis soudainement tout s’arrête, laissant les spectateurs subjugués, mais un peu frustrés…, seulement 90 mn, l’artiste ne fait pas d’heures supplémentaires, on en aurait voulu tellement plus !

Set list : 01. Brennið Þið Vitar, 02. Innocence, 03. Hunter, 04. Immature, 05. Jóga, 06. The Pleasure Is All Mine, 07. Hidden Place, 08. Pagan Poetry, 09. Anchor Song, 10. Earth Intruders, 11. Army Of Me, 12. I Miss You, 13. Mother Heroic, 14. Five Years, 15. Wanderlust, 16. Hyperballad, 17. Pluto

Rappel: 18. Oceania, 19. Declare Independence

Un nouvel outil musical est utilisé lors de la tournée Volta : La Reactable. Il s’agit d’une table à musique électro-acoustique développée par l’Université Pompeu Fabra de Barcelone qui permet à plusieurs utilisateurs de déplacer des objets sur une surface translucide créant ainsi différents types de son interférant entre eux. Le but est de déplacer des blocs appelés tangibles sur la table ronde rétro-éclairée de différentes formes modulables en fonction de leur emplacement et de leur nombre sur la Reactable. En déplaçant et en actionnant ces tangibles, l’interaction de ces derniers créé une sorte de synthétiseur virtuel créant des rythmes musicaux et des effets sonores représentés sur la table par des cercles et des sinusoïdales. Il existe seulement deux reactables dans le monde et Björk est ainsi la première artiste à en faire un usage grand public pour les concerts de la tournée Volta. Aucun apprentissage particulier n’est nécessaire pour l’utiliser, c’est un instrument collaboratif et intuitif.

Rock en Seine – les Autres

Une bonne, une excellente cuvée 2007 pour le festival Rock en Seine, rendez-vous rock parisien de la fin de l’été, étalé sur trois jours et trois scènes cette année, pour nous remettre d’un été maussade. La programmation toujours plus remarquable, mais que vont-ils trouver l’année prochaine pour faire mieux ! La technique et l’organisation excellentes. Le Paris rock a été comblé une nouvelle fois. Seule fausse note, Huchon, président de la région Isle de France et initiateur/organisateur du festival ne résiste pas et colle sa photo en première page du programme gratuit, encravaté, stylo-or au dessus du parapheur ministériel, embonpoint républicain ; il aurait au moins pu enfiler un T-shirt Rock en Seine, cela lui aurait donné un air plus détendu, plus rock ‘n’ roll que diable !!!

Warmup le vendredi, ambiance boueuse sur la grande scène du parc Saint-Cloud mais programme revigorant : Mogwai, une espèce de progrock instrumental, agréable avec ses longues envolées de guitares et ses voix vocodées ; The Shins et ses jolies mélodies pop-folk bien emmenées par un chanteur-compositeur-guitariste de talent ; The Hives un groupe de suédois complètement cinglés, punk-garage, lookés noir et blanc, auto-satisfaits et bruyants, virtuoses et sans complexe, qui déchaînent le parc ; et, et, et… Arcade Fire, de retour à Paris, puissant et prodigieux sous la presque pleine lune, bien qu’un peu moins nature qu’à l’Olympia en mars dernier. On est à la fois heureux de les voir en plein air où le volume et l’effervescence de leur musique s’exprime à profusion, mais un peu frustrés de devoir les partager avec 20 000 spectateurs. Et puis Régine était de mauvaise humeur ce soir, toujours à chigner pour un retour pas comme elle voulait, un réglage à fignoler, mais quelle musique, quel bonheur ! La set-list était sans grand changement, sauf l’absence regrettée de Poupée de cire Poupée de son (Régine était nerveuse nous l’avons dit). Tout le monde est rentré chez soi la joie au cœur et l’âme regonflée de toute l’énergie véhiculée par cette musique du nouveau monde.

Samedi le terrain a commencé à sécher et Pravda ouvre le bal sur la scène de la Cascade : duo parisien, une bassiste style grande liane brune aux yeux bleus, habillées d’un fourreau noir, qui chante et joue de la basse comme elle tirerait à la Kalatch, son alter égo à la guitare peroxydé à la Billy Idol, une musique basique et efficace style The Kill ; Calvin Harris, un groupe écossais électro-funk énergique ; CSS et ses 5 musiciennes brésiliennes, fraîches, détendues, buvant des bières, faisant les folles, tirant des fusées à cotillons, fringuées multicolore, déchaînées sur la scène, déployant un rock dance très nouveau monde, très… Brésil ! Tout le monde est tombé sous le charme, il parait que la ministre de la culture était dans le public. CSS veut dire Cansei De Ser Sexy (Fatiguées d’Etre Sexy) mais elles sont en pleine forme les furies paulistes ; et en final les Rita Mitsouko qui ont bluffé la scène de l’Industrie avec un show très pro, très mesuré, la gestuelle contrôlée de Catherine Ringer, toujours moitié clownesque moitié déjantée, parfaitement adaptée au traitement de la musique. Fred est calme à la guitare électro-acoustique, lunettes noires et costar rayé, look mafieux barbu. La set-list est complète. Les quadras frétillent, les plus jeunes s’ennuient. Les Rita se permettent même une excellente reprise de Red Sails de Bowie avant le final sur Marcia Baila, et un dernier salut à deux au public qui, s’il avait insisté un peu plus aurait peut-être obtenu un rappel même si non programmé officiellement.

Dimanche, tout est sec, les remugles des toilettes publiques se mêlent aux senteurs des merguez, les festivaliers se préparent au final. Kings of Leon  délivre sa gouaille sudiste en plein soleil, un climat de circonstance pour ce groupe qui évolue de façon très favorable : voix déchirée par le bourbon et les cigarettes, guitares claquantes ou grinçantes, la grande scène est transformée en une immense et joyeuse salle de saloon ; Faithless est beaucoup moins séduisant, un genre de sous Massiv Attack avec rythmes obsédants et synthés démodés, conduits par Rollo Amstrong la sœur de Dido. Un afro-européen sur le devant dévide son trip-hop chaloupé en maillot Puma pendant que les indo-européens derrière assurent la logistique. Pas inoubliables bien qu’entraînant. Et puis… Björk que certains présentent comme une attraction pour bobos alors qu’elle est devenue la fiancée de Paris en ce jour inoubliable.

L’emmerdeur patenté du concert rock

Alors que le show est commencé, il tente une percée vers le premier rang un gobelet de bière tenu en équilibre au-dessus de la tête.
L’emmerdeur patenté se déplace en bande, avec une ribambelle de cinq ou six crétins qui se tiennent par la main et poussent, poussent, poussent, quoiqu’il se passe devant eux. Ils marchent sur les pieds, renversent de la bière au passage sur les spectateurs déjà pressurisés telles des sardines dans leur boîte, empêchent l’environnement proche de profiter du concert.
Comme dans notre bas monde la mauvaise éducation et la goujaterie payent souvent très bien, l’emmerdeur patenté qui n’a pas fait le pied de grue trois heures durant pour tenir sa place dans les premiers rangs, obtient finalement le même résultat, sans l’attente…
Le pire est quand l’emmerdeur patenté se rend compte qu’il ne peut plus progresser et s’arrête juste sur vos pieds. Il faut alors le persuader de poursuivre sa poussée plus loin, au besoin à coups de pieds sournois, voire à coups de coudes vicieux. Mais l’emmerdeur patenté est tellement insupportable que l’on arrive à devenir très créatif pour le chasser.