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  • « Étienne Dinet, passions algériennes » à l’Institut du monde arabe

    « Étienne Dinet, passions algériennes » à l’Institut du monde arabe

    L’IMA expose Etienne Dinet (1861-1929), peintre français dont peu de gens ont entendu parler. Représentant de la peinture orientaliste, il fait partie de ces artistes qui furent passionnés par l’Algérie et ses lumières, au point d’y passer une partie de sa vie, de se convertir à l’islam en adoptant le nom musulman de « Nasr-Eddine » et de s’être fait enterrer à Bou-Saâda aux portes du Sahara. Il apprend l’arabe, s’imprègne des légendes locales, illustre des livres publiés par des écrivains arabes.

    Les toiles présentées sont féériques, pleines des couleurs majestueuses de ces paysages qui s’étendent de la Méditerranée aux sables du désert. L’artiste a manifestement été emporté par les contrastes et la lumière de ce pays colonisé par la France au point d’en magnifier la représentation dans des toiles qui semblent parfois échappées des contes des Mille et Une Nuits. Une pièce est consacrée à des nus de femmes inspirés par les quartiers de la prostitution fréquentés, notamment, par l’armée d’occupation française. Les formes érotisées de ces femmes semblent montrer une liberté et une joie de vivre sans doute irréalistes compte tenu de leur condition réelle. Qu’importe, c’est l’œil et l’imagination du peintre qui parlent ici et cela suffit pour faire rêver le visiteur.

  • Vive la République

    Vive la République

    Depuis quelques mois, à l’initiative de l’actuelle présidente de l’assemblée nationale, Mme. Yaël Brau-Pivet, des visites gratuites de cette institution sont organisées régulièrement. Il suffit de s’inscrire sur le site web de l’assemblée, d’attendre 48 h la confirmation et le visiteur se présente Quai d’Orsay, aux pieds de la statue de Colbert (honni par le courant de pensée « décolonialiste » [mais la mention de sa participation à l’élaboration du « code noir » figure sur le socle de la statue) et l’on entre dans ce lieu emblématique de la République où tant de moments historiques se sont déroulés qui influent encore aujourd’hui sur nos vies, plus de deux siècles après sa création en 1789 dans la fureur de la révolution française.

    Une guide souriante retrace quelques-unes des grandes dates de l’assemblée et citent quelques grands personnages qui l’ont animée, tout en cheminant à travers des pièces imposantes, incroyablement décorées (des plafonds de Delacroix notamment), dans un luxe élégant qui est surtout celui du symbole de la démocratie. Il n’y a pas de session aujourd’hui alors l’accès au « cercle sacré » est autorisé, c’est-à-dire aux pièces réservées aux personnes accréditées lorsque l’assemblée siège. Le protocole a l’air aussi lourd que le bronze gigantesque représentant Mirabeau, député tiers-état, expliquant à la police du Roi lors des « Etats généraux » de 1789 que réunis par la volonté du peuple, les députés ne sortiraient que par la puissance des baïonnettes. Les ministres rentrent par telle porte et pas telle autre, les élus accèdent à telle salle et pas à celle-là, idem pour les journalistes. On passe devant la poste de l’assemblée décorée d’un immense tableau street-art représentant « la liberté guidant le peuple » de Delacroix, on déambule dans les salons, la salle des « quatre colonnes », celle des « pas perdus », tout n’est que boiserie, marbre, cuir, luxe et volupté. Il n’y a personne en cette fin de journée sans session parlementaire. La bibliothèque est fermée pour grands et longs travaux. On voit, de loin, la porte d’accès à la célèbre « buvette de l’assemblée » qui est aussi un restaurant, comme il en existe beaucoup d’autres dans les nombreux immeubles du quartier qui sont des annexes de l’assemblée nationale.

    Et l’on arrive enfin, avec émotion, dans l’hémicycle, tendu de rouge. Le lieu réel est bien plus petit que ne laissent croire les grands angles des caméras de télévision. Les sièges des députés et ministres sont étroits, sans doute peu confortables. Le fauteuil de la présidence sur le « perchoir » est aussi réputé fort peu douillet. Qu’importe, la démocratie exige quelques sacrifices que les élus sont aussi appelés à consentir.

    Au-dessus de l’hémicycle une première mezzanine est réservée au public. Chacun peut s’inscrire pour assister aux sessions de son choix. Bien entendu, le nombre de places est limité. Encore au-dessus, une autre mezzanine est réservée à la presse.

    Ce matin Robert Badinter est mort. Il n’a jamais siégé ici comme député, il ne fut que sénateur, mais, en levant la tête vers le pupitre de des orateurs le visiteur entend encore résonner le fameux discours de Badinter un jour de septembre 1981 :

    Le débat qui est ouvert aujourd’hui devant vous est d’abord un débat de conscience et le choix auquel chacun d’entre vous procédera l’engagera personnellement. (…)

    La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l’éclat des idées, des causes, de la générosité qui l’ont emporté aux moments privilégiés de son histoire. (…)

    Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées.

    À cet instant plus qu’à aucun autre, j’ai le sentiment d’assumer mon ministère, au sens ancien, au sens noble, le plus noble qui soit, c’est-à-dire au sens de ‘service’. Demain, vous voterez l’abolition de la peine de mort. Législateurs français, de tout mon cœur, je vous en remercie.

    Mais on se dit aussi que c’est dans cette salle que se déroulent si régulièrement des séances de pitreries et d’insultes déclenchées par des élus irresponsables, comme il s’en produit trop souvent, hélas ! En sortant à la nuit tombée, le visiteur chemine le long de l’hôtel de Lassay, magnifique bâtiment sur les bords de Seine servant aux réceptions de la présidence et où sont réunis les services dépendants d’elle. La présidente y dispose d’un appartement de fonction mais Mme. Braun-Pivet n’y réside pas en permanence, rejoignant sa famille dans son domicile des Yvelines, sauf en cas de session parlementaire nocturne.

    Vive la République !

  • Le Sénégal s’y met aussi

    Le Sénégal s’y met aussi

    Malgré les nombreux coups d’Etat menés par des képis en Afrique sahélienne, le Sénégal était toujours resté un relatif havre de stabilité démocratique. La République amenée à l’indépendance puis dirigée par le poète Léopold Sédar Senghor n’a même jamais connu de coup d’Etat depuis sa fondation en 1960. Il y a quelques jours, son président Macky Sall annonçait le report des élections présidentielles initialement prévues à la fin du mois de février pour des raisons un peu floues où il est question de corruption du conseil constitutionnel sénégalais. Le président Sall avait déjà annoncé qu’il renonçait à se présenter pour un troisième mandat. Il a peut-être changé d’avis et tente avec ce report de se relancer dans la course.

    Pour le moment cette agitation électorale au Sénégal est moins brutale que les coups d’Etat des galonnés du Mali, du Burkina-Faso, du Niger ou de la Guinée, mais elle marque aussi un éloignement du processus démocratique par un Etat que l’on croyait pourtant convaincu des mérites de la démocratie. Sans doute M. Sall, inspiré par l’exemple de ses petits camarades sahéliens a pensé que lui aussi pouvait se jouer d’une constitution théoriquement contraignante pour se maintenir au pouvoir ? Décidemment le XXIème siècle n’est pas celui de la démocratie pour le continent africain. Les prochaines années diront si celle-ci était un frein au développement du continent ou si celui-ci se portera mieux avec des régimes militaires ou dictatoriaux.

  • Un sénateur socialiste qui fait du sport

    Un sénateur socialiste qui fait du sport

    Dans une tribune publiée dans Le Monde le 3 février, Patrick Kanner, sénateur socialiste de 66 ans, ancien ministre des sports, s’émeut que « En cette année olympique, le sport n’est toujours pas une priorité pour le gouvernement ». Et de se lamenter sur « la responsabilité de l’Etat, qui n’a donné aucun cap, aucune stratégie lisible en matière de haute performance », et de pleurnicher sur « Le sport reste le parent pauvre de notre système éducatif » et bla-bla-bla.

    Heureusement Monsieur le Sénateur que le sport n’est pas une priorité nationale ! La France a bien d’autres sujets autrement plus prioritaires à gérer. L’énergie et les sous actuellement déployés pour les jeux olympiques de Paris 2024, après la coupe du monde de rugby en 2023, seraient mieux utilisés pour réformer l’enseignement, améliorer les institutions de santé, subventionner la « ruralité » ou rembourser le surendettement du pays qui lui fait tangenter la faillite.

    A force de tout vouloir faire « prioriser » par l’Etat on ne fait que répartir la misère d’un budget de la République déficitaire depuis 1974. Le sport est nécessaire pour une vie saine et pour améliorer la santé publique mais ce n’est pas et ne doit pas être une « priorité » de l’Etat, c’est juste une politique comme les autres. Les collectivités publiques et l’Etat subventionnent des clubs sportifs, la construction de terrains de fouteballe… très bien, mais cela ne doit pas se faire au détriment des bibliothèques publiques. En faire une « priorité » cela implique que le sport passera avant d’autres politiques et ce n’est pas souhaitable en ces temps de budgets très sérieusement contraints.

    Evidemment il est toujours difficile pour un homme politique français d’aujourd’hui, qui n’existe que par le montant des fonds publics qu’il distribue, il est difficile d’intégrer que s’il existe des sujets prioritaires c’est donc bien qu’il en a qui ne sont pas prioritaires et que si les sous vont aux premiers il y en aura moins pour les seconds. C’est ainsi, ce sont les conditions de la vie, on ne peut pas tout faire. Sans doute M. Kanner comprend ces règles pour la gestion de son budget ménager, il a manifestement des difficultés à l’appliquer à la gestion des finances publiques.

  • « La zone d’intérêt » de Jonathan Glazer

    « La zone d’intérêt » de Jonathan Glazer

    C’est un très bon film réalisé par le britannique Jonathan Glazer sur la vie domestique dans la maison du commandant du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, située aux pieds du mur qui la sépare des miradors du lager. Le thème de la vie « normale » de la population allemande, y compris celle résidant aux abords de camps, alors que la « solution finale » était en œuvre a été déjà abordé de nombreuses fois. Il l’est ici tracé de façon encore plus radicale et glaçante puisqu’il ne s’agit pas d’Allemands ordinaires mais de la propre famille de l’exécutant en chef avide d’améliorer la productivité de son entreprise morbide.

    Sa femme et leurs enfants sont d’une blondeur tout aryenne et organisent des goûters autour de la piscine dans le jardin aménagé avec amour avec l’aide d’un personnel mené à la baguette, sans doute extrait du camp, sous les fenêtres grillagées du camp et des cheminées crachant nuit et jour la fumée des corps qui y sont incinérés. Et quand Höss annonce à sa femme qu’il est muté ailleurs elle se désespère de devoir quitter ce petit « paradis » composé avec tout son art de femme d’intérieur. Sa mère, par contre, venue les visiter semble comprendre ce qui se passe et s’enfuit un matin sans demander son reste.

    Le génocide qui se déroule à deux pas de la piscine n’est jamais montré, seulement évoqué par le rougeoiement des cheminées et les bruits qui proviennent de derrière les murs, des bruits de répression, des hurlements, des coups de feu. Le spectateur averti sait évidement ce qu’il s’est passé derrière ces murs et réalise d’autant mieux l’anachronisme de la cohabitation entre la petite vie de la famille du commandant Höss et l’ampleur des tueries qu’il dirige à quelques mètres de là. Il n’est pas sûr que les plus jeunes qui iraient voir ce long métrage réalisent bien précisément de quoi il s’agit.

    Le film repose la question de ce que savait, ne savait pas ou ne voulait pas savoir le peuple allemand du génocide mené par le pouvoir qu’il avait porté aux commandes du pays via des élections régulières. Cette question est d’autant plus prégnante dans le cadre encore plus particulier de la famille Höss. Les psychologues freudiens parlent de « clivage », l’existence de deux « moi », l’un qui tient compte de la réalité, l’autre qui la « dénie et la remplace par une réalité produit par son désir », un mécanisme de défense permettant « d’éviter la tension psychique que la prise en compte par la conscience aurait provoqué[1] ». Peut-être un moyen d’accepter des ordres répugnants à tout être humain, de faire primer la discipline sur l’humanité…, on sait néanmoins que certains nazis exécuteurs de la « Shoah par balles » (mise en œuvre avant la mise ne service du gazage industriel des condamnés, notamment lors des premiers mois de l’avance des troupes allemandes vers l’Est en 1941) ont rencontré certains troubles devant l’ampleur des tueries qu’on leur demandait d’exécuter.

    Ce ne fut manifestement pas le cas de la famille Höss même si toutefois sa fiche Wikipédia indique que le commandant a souffert de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « burn-out » durant quelques mois, sans que l’on sache s’il fut provoqué par un excès de « travail » ou un excès de remords. La même fiche indique que lors de ses confessions qu’il déroula en 1946 entre son arrestation et son exécution (sur le lieu de ses méfaits) Höss révéla qu’après avoir expliqué à son épouse la nature exacte de ses activités, celle-ci se refusa physiquement à lui. Ce point n’est pas abordé dans le film qui évoque néanmoins une relation sexuelle de Höss avec une détenue, sans doute juive, et le montre se laver consciencieusement ensuite de cette « souillure ».

    Ce film aborde, sans y répondre, les insondables questions que posent toujours la représentation ou l’évocation des camps de concentration et d’extermination mis en place au cœur de la vieille Europe au mitan du XXème siècle, dont un dans l’Alsace occupée. Comment cela fut-il possible ? Un tel mécanisme de mise à mort aurait-il été possible en France ? Le peuple français aurait-il exécuté de pareilles instructions avec la même discipline ? Et moi, comment me serais-je comporté face à des ordres et des processus aussi abjects ? Chacun se plaît à répondre de façon certaine et optimiste à ces interrogations, se référant à son « niveau de civilisation », mais le comportement humain est en fait un vertigineux mystère, tout spécialement dans des conditions aussi tragiques.

    Petit détail, l’acteur jouant Höss est coiffé à la mode de l’époque, touffu sur le crâne et bien rasé derrière les oreilles… une mode qui a été reprise par les punks dans les années 1970, l’extrême droite dans les années 1980-2000 et, aujourd’hui, par les fouteballeurs et hélas, les millions de jeunes qui les vénèrent et ignorent certainement à quoi se réfère cette coiffure. Triste chose car ils n’iront sans doute pas voir le film.

    Christian Friedel dans le rôle de Rudolph Höss

    [1] Psychologueparis-7.fr/mecanismes-de-defense-clivage/


  • « Corps à corps – Histoire(s) de la photographie » au centre Pompidou (Beaubourg)

    « Corps à corps – Histoire(s) de la photographie » au centre Pompidou (Beaubourg)

    Le centre Pompidou présente une vaste perspective de l’évolution de la photographie-portait depuis le début du XXème siècle. Des noms de photographes célèbres (Cartier-Bresson, Dorothea Lange, Boltanski, Weegee) et d’autres moins connus ont été retenus pour cette fresque du genre humain, du noir-et-blanc à la couleur, tous formats confondus, plus de cinq cents tirages sont sous nos yeux. Beaucoup, tournés vers la noirceur du monde, montrent la misère des milieux ouvriers au début des années 1900, le travail des enfants, la violence politique, l’exploitation de l’homme par l’homme… tous traduisent cette désolation au travers de visages et de regards pris sous tous les angles par des photographes inspirés. On découvre même des photographies prises par l’écrivain Claude Simon dans sa jeunesse à Madagascar où il est né.

    Heureusement, une pièce consacrée aux surréalistes vient apporter un peu de diversion avec Dora Maar photographiant Nush Eluard (clichés retenus pour l’illustration du tragique et déchirant poème « Le temps déborde » écrit par Paul après le décès de sa femme) ou Man Ray illustrant un roman d’Aragon, Breton s’auto-portraiturant…

    La photo c’est l’instinct de chasse sans l’envie de tuer. C’est la chasse des anges… On traque, on vise, on tire et… clac ! au lieu d’un mort, on fait un éternel.

    Chris Marker (1966)

    Une belle revue qui marque la puissance du média photographie pour restituer l’humain !

  • « Présence de Claude Simon » à la Maison de la poésie

    « Présence de Claude Simon » à la Maison de la poésie

    La soirée est organisée autour de Claude Simon (1913-2005) en coproduction avec l’Association des lecteurs de Claude Simon dont l’actuel président, David Zemmour, en profite aimablement pour appeler au recrutement de nouveaux membres. La petite salle du IIIème arrondissement est bondée. Alaistair Duncan, professeur écossais de littérature française anime un débat avec trois écrivains : Maylis de Kerangal, Christine Montabelti et Marc Graciano. Duncan est bavard mais finit par donner la parole à ses invités qui racontent alors leur découverte de Claude Simon.

    Pour Granciano ce fut à l’occasion du prix Nobel de littérature octroyé à l’écrivain en 1985, il a alors 19 ans, intéressé beaucoup par le football mais déjà un peu par la littérature. Son professeur de français l’a mis en garde de « ne pas faire du Proust sans l’avoir lu »… Il est frappé par la phrase descriptive de Simon qui fait naître le réel. Une espèce d’hallucination des mots, de remémoration de ce qui a été vu dans le passé pour créer du réalisme.

    De Kerangal est venue à Claude Simon du fait de l’aura qui l’entourait. Quelque peu intimidée elle découvre une langue « magmatique, convulsive » au gré de pages noircies par des blocs de lignes noires. Alors étudiante en histoire & géographie elle pense qu’elle « ne méritait pas » un tel auteur. Elle y reviendra 20 ans plus tard après avoir commencé à se forger une expérience de la littérature.

    Montabelti a 17 ans quand son petit frère lui offre « La Bataille de Pharsale », elle est alors fascinée par « l’étymologie de la lumière » qu’irradie cet auteur lui-même passionnément tourné vers la lumière naturelle. La longueur de ses phrases lui apparaît motrice, dynamisante pour le lecteur, un souffle « d’énergie désirable » qui a emporté Montabelti.

    Les trois auteurs lisent et commentent alors chacun quelques paragraphes de livres qui les ont marqués, en l’occurrence, « Leçons de chose », « L’Acacia » et « Le cheval ». On y retrouve la hantise de la guerre, très prégnante dans l’œuvre de Simon (il fut mobilisé en 1940 puis fait prisonnier par les Allemands avant de s’évader), et ces phrases qui donnent la sensation d’envelopper le lecteur qui se laisse emporter et enserrer par les mots dans lesquels il s’immerge. « Le bâti des phrases fonde l’œuvre comme un palais » exprime Montabelti. Elles sont une « mélopée ».

    S’en suit un débat un peu technique sur l’utilisation des parenthèses par Claude Simon qui « attestent la puissance en réserve de la phrase » car elles font surtout apparaître les parenthèses qui ne sont pas là selon Kerangal. Ces parenthèses créent un « effet ressac » pour Montabelti, qui aident le lecteur.

    Les invités planchent alors sur la question posée par l’animateur de savoir si Claude Simon est un auteur « difficile ». Avec un bel ensemble ils répondent, contre toute évidence, « non ». Le débat tourne alors quelque peu vers un verbiage légèrement germanopratin où il est question de désir qui dissout cette soi-disant difficulté qui n’est en rien décourageante face à la fadeur et la platitude de certaines autres catégories de la littérature. Au contraire, selon Kerangal, la « synesthésie » (association de deux ou plusieurs sens NDLR) de la lecture des descriptions fines écrites par Simon permet de mêler le son, le registre visuel, le descriptif, les souvenirs. C’est une expérience physique, intimidante parfois, mais certainement pas « difficile ».

    Une dernière citation permet de clore la table ronde, extraite du discours prononcé à Stockholm par l’écrivain après avoir reçu son prix Nobel :

    Eh bien, lorsque je me trouve devant ma page blanche, je suis confronté à deux choses : d’une part le trouble magma d’émotions, de souvenirs, d’images qui se trouve en moi, d’autre part la langue, les mots que je vais chercher pour le dire, la syntaxe par laquelle ils vont être ordonnés et au sein de laquelle ils vont en quelque sorte se cristalliser.

    Et, tout de suite, un premier constat : c’est que l’on n’écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s’est passé avant le travail d’écrire, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci, et résulte, non pas du conflit entre le très vague projet initial et la langue, mais au contraire d’une symbiose entre les deux qui fait, du moins chez moi, que le résultat est infiniment plus riche que l’intention.

    https://www.nobelprize.org/prizes/literature/1985/simon/25233-claude-simon-nobel-lecture-1985/


    Il y a dix ans, à l’occasion de la célébration du centenaire de la naissance de Claude Simon avait été organisé une exposition intitulée « Claude Simon – L’inépuisable chaos du monde » comme le rappelle Dominique Viart, professeur de littérature, essayiste et critique littéraire, qui a réalisé un film d’une heure trente sur cette exposition dont il présente ce soir un extrait de trente minutes. On y découvre l’aspect très iconique des plans des livres de Simon pour lesquels il utilisait un code couleurs dont chaque élément correspondait à l’un des personnages et qui étaient ensuite mêlées en une tache chromatique devant chaque titre de chapitre. Les miracles de la numérisation ont ainsi permisau réalisateur du film de composer un montage singulier durant quelques secondes en jouant de toutes ces taches sans plus les lier à leurs chapitres. Sont également montrés les cartes qu’il dessinait des lieux narrés dans ses romans avec les formes des maisons, des routes, des fleuves. On reste ébahi devant le travail préparatoire, presque scientifique, de cette littérature.

    Voir aussi : Claude Simon – L’inépuisable chaos du monde (2014)

    On fait également la connaissance de Rea Simon (1928-2017), grecque délicieuse, qui fut la seconde femme de Claude et l’accompagna tout au long d’une grande partie de son œuvre. Déjà assez âgée au moment de l’interview, une cigarette à la main, elle raconte de sa voix rocailleuse de vieille fumeuse, l’œil complice, les petits évènements qui peuplèrent leur vie commune : la « récupération » du bureau de Claude, avec l’aide de Jérôme Lindon, dans l’appartement de sa première épouse en son absence, Beckett qui buvait beaucoup, la relecture des manuscrits de Claude, les rares chamailleries sur le choix de certains mots…

    Le film dans son intégralité est disponible avec le livre éponyme dirigé par Viart qui synthétise les différentes rencontres tenues à l’occasion de l’exposition. Certains intervenants expliquent le rôle très large joué par Simon dans la littérature, bien au-delà du seul nouveau roman auquel on a parfois limité son influence. Successeur de Proust, il fut un écrivain géographe, rattaché à la terre qu’il n’a cessé de découvrir et de décrire comme un explorateur.

    C’est aussi l’occasion de se souvenir que Simon fut parfois, dans sa jeunesse, peintre et photographe. Une série de ses clichés pris à Madagascar où il est né sont exposés en ce moment à Beaubourg dans l’exposition « Corps à corps – Histoire(s) de la photographie ».

  • « May December » de Todd Haynes

    « May December » de Todd Haynes

    Basé sur une histoire vraie, le film retrace le parcours d’une actrice (Elisabeth jouée par Nathalie Portman) qui doit interpréter le rôle d’une femme (Gracie jouée par Juliane Moore) qui a causé un scandale des années auparavant en épousant un jeune américano-coréen d’une vingtaine d’années plus jeune qu’elle, éleveur de papillons, Joe. Par souci de vérité pour le futur rôle qu’elle doit incarner elle veut s’imprégner de la personnalité de son modèle et va alors découvrir les zones d’ombre de cette famille recomposée. Avec l’accord de Gracie elle rencontre son premier mari et les enfants issus de cette union, son employeur de l’époque, les enfants nés avec son nouveau et jeune mari, ses amis… Elle passe même une soirée torride avec Joe sans que l’on ne devine bien si c’est juste une question de désir ou de volonté de coller au personnage qu’elle doit jouer. La scène finale montre d’ailleurs la séance de séduction d’origine filmée et jouée par Elisabeth qui caresse un serpent qui la sépare de l’acteur jouant Jo…

    Comme souvent les films sur le cinéma sont troublants avec le vrai qui s’emmêle dans le faux et la fiction qui s’enroule autour de la réalité. Tout est possible et Haynes en profite pour ajouter sa vision des névroses qui agitent les personnages de son film sans que l’on ne sache vraiment si elles caractérisaient aussi les vraies personnes. Un film à voir.

  • L’église catholique face à l’homosexualité

    L’église catholique face à l’homosexualité

    Malgré des efforts méritoires, le pape n’arrive pas à faire passer dans ses troupes l’idée que l’Eglise puisse bénir les couples homosexuels le désirant. Dans un document alambiqué intitulé « DICASTÈRE POUR LA DOCTRINE DE LA FOI Déclaration Fiducia supplicans sur la signification pastorale des bénédictions » publié le 18/12/2023 par le Vatican la papauté s’emberlificote dans dix pages pour expliquer que la bénédiction des « couples en situation irrégulière et des couples de même sexe » n’est pas un mariage et que « la bénédiction exige que ce qui est béni soit conforme à la volonté de Dieu telle qu’elle est exprimée dans les enseignements de l’Église. »

    Le document qui explique la position du pape François 1er confirme :

    …il est possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage. Dans ces cas, on donne une bénédiction qui n’a pas seulement une valeur ascendante, mais qui est aussi l’invocation d’une bénédiction descendante de Dieu lui-même sur ceux qui, se reconnaissant indigents et ayant besoin de son aide, ne revendiquent pas la légitimité de leur propre statut, mais demandent que tout ce qui est vrai, bon et humainement valable dans leur vie et dans leurs relations soit investi, guéri et élevé par la présence de l’Esprit Saint. Ces formes de bénédiction expriment une supplication à Dieu pour qu’il accorde les aides qui proviennent des impulsions de son Esprit – que la théologie classique appelle « grâces actuelles » – afin que les relations humaines puissent mûrir et grandir dans la fidélité au message de l’Évangile, se libérer de leurs imperfections et de leurs fragilités et s’exprimer dans la dimension toujours plus grande de l’amour divin.

    (https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_ddf_doc_20231218_fiducia-supplicans_fr.html#)

    Et c’est ainsi que :

    L’Église est ainsi le sacrement de l’amour infini de Dieu. C’est pourquoi, même lorsque la relation avec Dieu est obscurcie par le péché, il est toujours possible de demander une bénédiction, en lui tendant la main, comme l’a fait Pierre dans la tempête lorsqu’il a crié à Jésus : « Seigneur, sauve-moi ! » (Mt 14, 30).

    Le problème de l’Eglise romaine et que cette argumentation en dix pages ne semble pas avoir convaincu beaucoup de monde dans les arcanes catholiques à travers le monde à commencer par les évêques français qui, dans leur déclaration du 10/01/2024, rappellent que :

    …le Christ Seigneur » (n° 11), comprend le mariage comme « union exclusive, stable et indissoluble, entre un homme et une femme, naturellement ouverte à la génération d’enfants » (n° 4). C’est ce que nous recevons de Jésus lui-même sur le mariage et son indissolubilité (cf. Mt 19, 3-9).

    https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2024/01/20240110-CP-Conseil-Permanent-Declaration-Fiducia-Supplicans.pdf

    Avant de jouer sur les mots et préciser leur engagement à « bénir » les personnes sans parler des couples.

    Plus radicaux, les évêques d’Afrique se cachent derrière les lois de leurs pays pour expliquer que les couples homosexuels sont interdits dans nombre d’entre eux et que, dans ces conditions, il n’est pas question de les bénir (https://www.vaticannews.va/fr/eglise/news/2023-12/fiducia-supplicans-des-reactions-des-eveques-d-afrique.html).

    Bref, le statut de couple homosexuel ou divorcé est considéré comme « irrégulier » par l’église catholique. Malgré le progressisme affiché par le pape argentin en poste, ses troupes ne semblent pas vouloir le suivre sur le simple détail de pouvoir bénir ces couples qui le souhaitent. Le rejet de l’homosexualité et du divorce reste un élément fondamental de la religion catholique. C’est ainsi. Vouloir aller contre aujourd’hui c’est un peu comme attendre d’un stalinien qu’il tresse des louanges à Trotski, c’est juste peine perdue. Il reste à conseiller aux couples « irréguliers » qui ont vraiment le besoin de se marier, de se contenter du mariage généreusement offert par la République, au moins en France, ou de changer de religion, il semble que les protestants ou les bouddhistes soient plus souples à ce sujet.

  • « Le dernier des juifs » de Noé Debré

    « Le dernier des juifs » de Noé Debré

    Un film émouvant et délicat sur une mère et son fils juifs habitant une cité de Sarcelles peuplée de personnes plutôt issues de l’immigration africaine. Tous les habitants de confession juive ont progressivement quitté le coin qui s’est communautarisé. Belisha y mène une vie paisible et inactive, au milieu de ses potes « noirs et arabes », cachant consciencieusement à sa mère, jouée par Agnès Jaoui, qu’ils sont les derniers juifs de la cité et que si les comportements individuels de leurs voisins sont bienveillants, il n’en est pas de même du sentiment antisémite diffus qui anime la collectivité.

    Le scénario est parsemé de petits détails légers et drôles : le bureau de l’adjoint au maire qui veut faire ami-ami avec Belisha et le reçois dans un bureau aux murs décorés avec des affiches militantes pro-palestiennes, Belisha qui ment à sa mère en lui jurant que le poulet a été acheté chez le magasin casher alors que celui-ci a fermé récemment, la décoration de leur appartement avec le plastique pour protéger les coussins, la mezouzah qui empêche l’électricien musulman d’entrer faire une réparation et que Belischa faillit oublier au moment de rendre les clés du HLM, la mère qui se demande « mais où sont passés les arabes, il n’y a plus que des noirs ? », etc.

    Michael Zindel joue à la perfection son personnage de Belisha, plein de tendresse, semblant planner bien haut au-dessus des querelles religieuses, tout entier dédié à protéger sa Maman. Il ne la sauvera pas et le générique de fin démarre sur l’image de Belisha quittant la cité avec sa valise pour une destination inconnue après une émouvante scène où les voisines arabophones sonnent à la porte de l’appartement pour rendre hommage à la défunte et à son fils avec, selon la tradition, de la nourriture.

    C’est le premier long métrage de Noé Debré, scénariste reconnu, et représentant de la branche juive alsacienne des Debré, la branche parisienne « étant convertie depuis longtemps » comme il l’explique au Monde (27/01/2024). Il aborde, tout en douceur et subtilité, le dilemme de l’exil intérieur et de la communautarisation qui sévit en France.

  • Le Mali, le Burkina-Faso et le Niger se retirent de la CEDEAO

    Le Mali, le Burkina-Faso et le Niger se retirent de la CEDEAO

    Dans un communiqué commun, les trois pays du Sahel dirigés par des juntes militaires ont annoncé, sur la télévision nigérienne, leur décision de quitter la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ils accusent cette organisation multilatérale d’avoir mis en place des « sanctions illégitimes, illégales, inhumaines et irresponsables » contre leurs trois pays à la suite des coups d’Etat militaires qui s’y sont déroulés ces derniers mois pour faire face à des « hordes de terroristes instrumentalisées et téléguidées… »

    La CEDEAO sous l’influence des puissances étrangères s’est éloignée de ses principes fondateurs est devenue une menace pour ses Etats-membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur…
    [les trois présidents] prenant toutes leurs responsabilités devant l’histoire et répondant aux attentes, préoccupations et inspirations de leurs populations décident en toute souveraineté le retrait sans délai… de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest…

    https://twitter.com/AESinfos/status/1751594957754728816

    Après le coup d’Etat au Niger, la CDEAO s’était distinguée en demandant à ses chefs galonnés loyalistes d’étudier les voies et moyens pour rétablir le président nigérien démocratiquement élu, au besoin par la force. Bien entendu cette menace n’avait jamais été mise en œuvre et l’institution multilatérale s’était juste décrédibilisée sur le plan de ses convictions mais heureusement pas sur le terrain de combat.

    Il semble que statutairement le retrait ne soit effectif qu’un an après réception d’une lettre par le siège de la CEDEAO mais, qu’importe, les trois pays sahéliens ont pris le parti de s’isoler de l’Occident et de l’embryon de communauté économique auquel ils appartenaient.L’accusation de « téléguidage » du terrorisme vise clairement la France avec qui les relations sont d’ores et déjà rompues ou très sérieusement dégradées. Il est maintenant souhaitable que ces trois pays sortent de la zone monétaire du « Franc CFA » puisque son démantèlement déjà décidé il y a plusieurs années tarde à être mis en œuvre.

    C’est ainsi, le divorce est prononcé, chacun repart avec ses acquis pour un avenir séparé. Les trois Etats ont même créé une Alliance des Etats du Sahel (AES) avec un compte X (anciennement Twitter, https://twitter.com/AESinfos) qui permettra de suivre les nouvelles aventures de ces pays qui, peut-être, seront rejoint par d’autres.

    Lire aussi : Mais de quoi se mêle-t-on ? – Total Blam Blam (rehve.fr)
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  • Annecy

    Annecy

    Le plateau des Glières

    Plateau des Glières, 1 400 mètres d’altitude, de grands pans de neige subsistent sur le plateau au pied des monts escarpés et bien plus enneigés. Les pistes de skis de fond croisent celles des marcheurs sur lequel se presse tout un petit monde en anoraks aux couleurs chamarrées qui se retrouve dans les anciennes fermes d’alpage transformées depuis en bars-restaurants servant fromage et charcuterie si fameux en Haute-Savoie.

    Le paysage est majestueux et l’atmosphère est douce. On en oublierait presque que ce plateau fut un haut lieu de la résistance durant la seconde guerre mondiale en 1943-1944. Difficile d’accès par les chemins, site idéal pour parachuter des armes, celles-ci étaient réceptionnées par les réseaux de résistance de la région jusqu’à ce que les Allemands se lassent et attaquent les Glières en mars 1944 avec des forces significatives faisant plus de 120 morts dans les rangs des maquisards.

    Un monument à leur mémoire est construit en 1973 par le sculpteur Emile Gilioli, inauguré par André Malraux, symbolisant le V de la victoire. Installés à la terrasse de « Chez Constance » dont la grand-mère nourrissait les résistants, souvenons-nous de ce moment d’histoire !

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  • « Danse Sinfonia Eroïca » sur la scène Bonlieu (Annecy)

    « Danse Sinfonia Eroïca » sur la scène Bonlieu (Annecy)

    Neuf danseurs, cinq femmes et quatre hommes (et un chien) se produisent au théâtre Bonlieu d’Annecy, sous la direction de la chorégraphe belge Michèle Anne de Mey. Une improbable tyrolienne est tendue au milieu de la scène dépouillée. Le fond musical est majoritairement composé de la symphonie Héroïque de Beethoven, parfois en alternance avec d’autres œuvres dont l’inattendu Foxy Lady interprété par Jimi Hendrix à grand renfort de feedback sur sa légendaire guitare.

    Les jeunes danseuses sont belles, leurs collègues masculins sont élégamment musclés, quatre couples se font et se défont mais, toujours, une femme reste seule. Le ballet est alternativement classique et moderne, les entrechats succèdent aux roulades hip-hop sur le sol et aux descentes en tyrolienne. A la fin de la soirée le sol est inondé à grands renfort de sceaux d’eau qui y sont projetés. Les danseurs sont torses nus, roulant des abdominaux, les danseuses sont habillées plus légèrement, tout ce petit monde se lance dans de grandes glissades arrosées, la soirée tourne au concours de T-shirts mouillés, ce qui n’est pas le moment le plus désagréable du show…

    Toute cette jeunesse est enthousiaste et souriante, professionnelle et entraînée. Même le chien courant après des balles de tennis est dans le rythme. L’idée subliminale de ce spectacle porte sans doute sur la question du couple, qui varie, se compose et se décompose au gré du temps avec toujours quelqu’un abandonné sur le bas-côté. Après cette prestation virevoltante les sexagénaires (et plus…), majoritaires dans les rangs, sortent de Bonlieu de bonne humeur.

  • ROLIN Dominique, ‘Moi qui ne suit qu’amour’.

    ROLIN Dominique, ‘Moi qui ne suit qu’amour’.

    Sortie : 1948, Chez : Editions Denoël.

    Dominique Rolin (1913-2012) est une écrivaine belge qui a beaucoup vécu en France où elle rencontra nombre des hommes de sa vie. C’est son aventure avec l’un d’entre eux qui aurait inspiré le roman « Moi qui ne suit qu’amour ».

    Publié en 1948 ce roman d’amour se déroule dans une petite ville de province qui paresse autour d’un fleuve et où vit Colombe avec son mari et ses deux enfants. Une vie bien rangée et sans trop d’originalité jusqu’à ce que Colombe rencontre un sculpteur installé non loin de sa maison familiale. Elle rentre alors dans une folle histoire d’amour qui se termine par la chute finale et la trahison de son amoureux. Pendant cette embardée sentimentale elle affronte la rébellion et la fuite de son fils aîné, la passivité de son mari qu’elle aurait voulu voir se révolter et, bien sûr, l’injustice qu’elle subit à sa naissance quand sa mère est morte en couches.

    Le roman date de 1948, son style est un peu suranné mais la tragédie amoureuse est éternelle. Elle est narrée avec finesse par la romancière qui use même de termes un peu crus pour l’époque lorsqu’elle aborde les phases charnelles de cet amour fou. Elle analyse avec la même lucidité le reflux de l’amour, la panique de celui qui est abandonné, la lâcheté de celui qui abandonne. C’est une très vieille histoire.

    Dominique Rolin est l’auteure de nombreux romans qui ont été régulièrement primés en France. Elle a entretenu une relation au moins littéraire avec Philipe Sollers et leur correspondance a été publiée après sa mort.

    Une lectrice attentive nous signale que cette relation n’a pas été que littéraire.

    Lire aussi : La France médaille d’or de la dépense publique – Total Blam Blam (rehve.fr)
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  • Ruralité bla-bla-bla…

    Ruralité bla-bla-bla…

    On ne dit plus « paysannerie » ou la « campagne », mais on emploie le terme « ruralité ». C’est mieux, plus moderne, plus « inclusif » et englobant, moins dénoté « plouc de campagne ». Le dictionnaire de l’académie française en donne la définition suivante :

    Didact. Caractère de ce qui est rural, de ce qui se rapporte à la campagne, par opposition à Urbanité, ou de ce qui se rapporte au monde agricole. La ruralité d’une région.

    https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R3224

    quand la paysannerie est défini dans le même dictionnaire comme :

    L’ensemble des paysans d’une région, d’un pays ; le groupe social constitué par les paysans. (En termes économiques ou politiques, on dit plutôt Paysannat.) La paysannerie française sous l’Ancien Régime était composée de manouvriers ou journaliers, de métayers et de laboureurs. Petite, moyenne paysannerie. Une histoire de la paysannerie.

    https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9P1105

    Paysannerie ça fait « ancien régime », il faut donc changer de mot !

  • Donald Trump de nouveau en course pour la Maison Blanche

    Donald Trump de nouveau en course pour la Maison Blanche

    Les élections primaires du parti républicain aux Etats-Unis d’Amérique ont démarré et se sont déjà soldées par un triomphe de Donald Trump dans l’état de l’Iowa où il a écrasé ses concurrents en remportant 51% des suffrages. On apprend d’ailleurs ce matin que l’un d’entre eux, Ron DeSantis, vient de jeter l’éponge et de se rallier à l’ex-président. L’Amérique reste très divisée mais côté Républicains les pro-Trump semblent à la manœuvre. En dépit des menaces de procès qui s’amoncellent contre leur mentor, malgré l’insurrection contre le capitole du 06/01/2021 qu’il a largement provoquée par ses déclarations vengeresses en refusant de reconnaître la victoire dans les urnes de Joe Biden, malgré ses théories de Café du commerce il semble avoir de bonnes chances d’être réélu président des Etats-Unis en novembre prochain, et avec lui son cortège de simplismes assénés par lui-même et un entourage à sa mesure.

    Trump (77 ans) présente plutôt un bilan économique flatteur pour sa première présidence (2017-2021), au moins sur le court terme. Ses jugements à l’emporte-pièces sur l’immigration, la Corée du nord, l’Europe, ses adversaires démocrates et quasiment tous les sujets relevant de la présidence, lui ont assuré un solide soutien dans l’électorat populaire au point qu’une bande de furieux a pris d’assaut le capitole en 2021 pour tenter d’empêcher la certification de l’élection de son successeur Joe Biden. L’opération a échoué mais a tout de même fait cinq morts dont un policier. Il s’en est fallu de peu que les émeutiers empêchent la validation de l’élection du nouveau président. Les images de l’évacuation des sénateurs et des représentants par les sous-sols du bâtiment ainsi que celles des furieux saccageant et pillant des bureaux des élus qu’ils haïssent sont hallucinantes. Les insurgés voulaient « pendre Mike Pence » le vice-président chargé de la validation de l’élection et qui avait écrit qu’il n’avait pas les moyens constitutionnels de s’y opposer, se désolidarisant ainsi de son président. On n’ose imaginer ce qui se serait effectivement passé s’il était tombé aux mains de la foule hystérique ? Nombre des militants insurgés impliqués dans les violences ont depuis été lourdement condamnés par la justice américaine. Il n’est pas exclu que si leur héros revenait au pouvoir leurs peines puissent être adoucies, voire annulées.

    Le camp républicain est toujours animé des mêmes convictions et, en son sein, les anti-Trump sont très minoritaires. Il semble donc probable que s’il est investi par son parti l’ex-président affronte à Joe Biden (81 ans) avec de sérieuses chances d’être réélu. C’est ainsi, le parti démocrate n’a pas su identifier un candidat plus jeune et charismatique susceptible de faire face au populisme trumpiste et d’emporter le ralliement des électeurs démocrates. Le cas des Etats-Unis n’est pas unique en Occident. Non loin de Washington on vient de voir un nouveau président libertaire élu en Argentine affichant une tronçonneuse comme symbole de sa politique économique consistant à « réduire » le rôle et les dépenses de l’Etat. En France, les politiques en quête de voix aux élections se font interviewer par Cyril Hanouna. Au Royaume-Uni, les électeurs croyant aux billevesées des brexiteurs ont voté et obtenu la sortie de leur pays de l’Union européenne. Et l’histoire n’est sans doute pas finie. Nous l’écrivions déjà dans ces colonnes il y a quatre ans c’est : Le crépuscule des bobos, l’envol des ploucs !

    Donald Trump n’a pas dit son dernier mot :

    Riss / Charlie Hebdo (13/01/2021)
  • L’académie française travaille

    L’académie française travaille

    L’académie française a été créée en 1635. L’article XXIV de ses « Statuts et Règlements » n’a pas changé, il stipule que :

    « La principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences »

    C’est ainsi que l’académie a décidé que l’on disait « la » Covid et non « le » Covid. Cette décision du 07/05/2020 est documentée et justifiée mais quasiment personne ne suit cette directive, disons plutôt cette « recommandation ». On notera l’utilisation du conditionnel dans la dernière phrase : « …l’emploi du féminin serait préférable… »

    Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer français) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.

    https://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19

    Dans le même ordre d’idée, cette noble institution a émis une déclaration à l’unanimité de ses membres le 26/10/2027 concernant l’écriture inclusive :

    Prenant acte de la diffusion d’une « écriture inclusive » qui prétend s’imposer comme norme, l’Académie française élève à l’unanimité une solennelle mise en garde. La multiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs.

    Pus que toute autre institution, l’Académie française est sensible aux évolutions et aux innovations de la langue, puisqu’elle a pour mission de les codifier. En cette occasion, c’est moins en gardienne de la norme qu’en garante de l’avenir qu’elle lance un cri d’alarme : devant cette aberration « inclusive », la langue française se trouve désormais en péril mortel, ce dont notre nation est dès aujourd’hui comptable devant les générations futures.

    Il est déjà difficile d’acquérir une langue, qu’en sera-t-il si l’usage y ajoute des formes secondes et altérées ? Comment les générations à venir pourront-elles grandir en intimité avec notre patrimoine écrit ? Quant aux promesses de la francophonie, elles seront anéanties si la langue française s’empêche elle-même par ce redoublement de complexité, au bénéfice d’autres langues qui en tireront profit pour prévaloir sur la planète.

    https://www.academie-francaise.fr/actualites/declaration-de-lacademie-francaise-sur-lecriture-dite-inclusive

    Il est de bon ton au Café de Flore de taxer l’académie française d’être un repaire de gens âgés qui somnolent gentiment dans une enceinte bien chauffée au bord de la Seine. Ces deux recommandations picorées au hasard du site web de l’académie semblent frappées au coin du bon sens, même si écrites par des académiciens « âgés ». La lecture de la rubrique « Dire, Ne pas dire » est un délice de l’esprit et un plaisir des sens tant la réflexion sur l’usage de la langue française est une espèce de conquête de l’inutile qui laisse rêveur.

  • TABARLY Eric, ‘Mémoires du large’.

    TABARLY Eric, ‘Mémoires du large’.

    Sortie :1997, Chez : Editions de Fallois.

    Éric Tabarly (1931-1998), grand navigateur des années 1960-1980, donne ici quelques éléments biographiques de sa vie sur toutes les mers du globe, surtout, et, parfois aussi sur la terre ferme. On se souvient du côté taiseux de sa personne quand il paraissait sur les médias à la suite de ses brillantes victoires, on ne s’étonne donc pas que ces « Mémoires » ne soient pas particulièrement intimistes.

    C’est l’histoire d’une passion, celle d’un homme pour le grand large et un bateau, le Pen Duick, construit en 1898, le seul qui ne porte pas de numéro. C’est pour remettre celui-ci à flot qu’il rentre dans la marine militaire. Une fois diplômé de l’aéronavale il fit un séjour en Indochine où il pilotait des avions de transport. Il restera officier toute sa carrière mais le ministère des armées le détache auprès du ministère des sports pour qu’il puisse défendre les couleurs de la France dans les compétitions maritimes internationales. En réalité c’est un statut préférentiel car il concourt en son nom et non en celui du pays, mais qu’importe la Royale sera souvent présente pour lui donner un coup de pouce pour certaines de ses courses.

    Tabarly a couru à une époque où les marins calculaient leur route avec un sextant et n’utilisait pas de radio pour communiquer avec la terre… Et à ce jeu il était très fort, remportant nombre de courses grâce aux astucieuses innovations techniques dont il a équipé ses différents bateaux qui tous s’appelaient Pen Duick X (pen-duick veut dire « petite tête noire » et désigne la mésange noire en breton). Assez rapidement il s’est associé avec un fidèle équipier qui s’est occupé de la recherche de financement et de l’intendance pendant qu’Éric courrait sur les océans contre les éléments. Pour les courses en équipage, il a embarqué et formé des équipiers qui ont ensuite pris sa succession sur les sentiers de la gloire.

    Son cœur était tout entier offert à la mer et à la navigation hauturière, c’était celui d’un marin sans attache terrestre. Il aborde en quelques lignes l’arrivée de Jaqueline, martiniquaise, et Marie leur fille. Incroyable coup du sort, quelques mois après la publication de cet ouvrage, Tabarly trouve la mort dans la Manche lors d’une manœuvre dirigée à bord de son Pen Duick favori qui se rendait en Angleterre. Renversé par un coup de la baume, son corps sera retrouvé des semaines plus tard. Le héros avait aussi ses faiblesses, notamment celle de ne jamais porter de harnais de sécurité.

    Lire aussi : Moitessier Bernard, ‘La longue route’.

  • En passant

    En passant

  • SIMON Claude, ‘Le cheval’.

    SIMON Claude, ‘Le cheval’.

    Sortie : 2015 (1958), Chez : Les éditions du Chemin de fer.

    Publié pour la première fois en 1958, ce roman de Claude Simon (1913-2005) parle du traumatisme des hommes de son temps qui ont vécu l’effondrement moral de l’Europe qui voit le fascisme y prendre le pouvoir dans les années 1930 et mener le continent à sa destruction au terme de la seconde guerre mondiale. Il a, de plus, perdu son père tué au cours de la guerre de 1914-1918. L’écrivain a fait son service militaire en 1934/1935, a voyagé ensuite, notamment en Espagne pour écrire sur la lutte à mort des Républicains contre le régime franquiste. Mobilisé en 1940, il est fait prisonnier par les Allemands en juin de la même année, s’évade, termine la guerre à Paris avant de mener son brillant destin d’écrivain qui le mènera jusqu’au prix Nobel de littérature en 1985.

    Ce court roman se déroule dans une unité de cavalerie (à cheval et non pas avec des chars), le narrateur, sans doute proche de Claude Simon lui-même, raconte les convois interminables de ces longues files de chevaux et de leurs cavaliers sur des routes improbables, souvent de nuit et sous une pluie glacée. Les dialogues entre les soldats sont courts, parfois légers dans cette atmosphère guerrière. Mais il n’y a pas de combats, seulement la possibilité de la mort qui rode. On ne sait pas où vont ces cavaliers. Ils ne le savent pas eux-mêmes, suivant le convoi qui, parfois, s’arrête de longs moments, comme lors d’un bouchon sur la route, avant de redémarrer lentement, sans doute vers Dunkerque et, pour les plus chanceux, une évacuation vers le Royaume Uni, ou vers de nouveaux combats dont ils sortiront morts, blessés ou prisonniers.

    Il y a des escales dans ce long cheminement vers l’inconnu. Parfois la troupe s’arrête dans un hameau où elle trouve un abri précaire dans des granges pour les hommes et les chevaux. Elle s’y mêle aussi à la vie des habitants qui continue. Les petits conflits locaux, des femmes qui passent et les émeuvent, des souvenirs de leur vie d’avant et des leurs laissés au village. Les guerriers partagent leur vie avec celles des chevaux qui les portent et leur sont indispensables. Une nuit l’un des chevaux, malade, agonise, couché sous un abri, veillé par les hommes qui ne sont pas complètement indifférents à sa fin. Il symbolise aussi la douloureuse défaite de l’armée française en cette année 1940.

    Avec ce récit Claude Simon a posé les bases de « La route des Flandres » qui sera publié en 1960. Son style est un merveilleux équilibre entre concision des thèmes et richesse des mots (le lecteur lambda doit régulièrement consulter son dictionnaire…). Le choix des termes et des phrases dénote comme la mélancolie de cet exode à travers un pays à la dérive. La camaraderie de soldats exilés est touchante malgré leur détachement face aux évènements. Nous sommes en pleine débâcle, mais on ressent comme une certaine douceur tragique dans cette atmosphère de pré-apocalypse.

    Sur leurs chevaux hagards les cavaliers-soldats parlent de Dieu !